Qu’elle soit source d’effroi ou source de rédemption, la mer a toujours été une puissante source d’inspiration. Pour les auteurs de la célèbre tapisserie de l’Apocalypse, datant de la fin du XIV -ème siècle, comme pour la plupart des hommes du moyen âge, de la mer, il ne pouvait rien sortir de bon. Sous son étendue agitée ou impavide, il ne pouvait surgir que des démons ou des créatures effrayantes.

A la Renaissance, parallèlement aux grandes découvertes et le regain d’optimisme qui les a accompagnées, la mer commence à prendre un autre visage pour les artistes. Un des plus célèbres, Sandro Botticelli en fera notamment le monde d’où nait une sublime Venus. 

D’hier à aujourd’hui, que ce soit en peinture ou en littérature, la mer est un thème récurrent qui inspire toujours autant les créateurs. Les auteurs classiques qui en ont fait le cadre de leurs fictions sont nombreux et il est intéressant de voir de quelle manière ils ont pu la traiter. De quoi donner des idées à tout auteur que la mer fascine.

L’Odyssée, d’Homère

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L’Odyssée, d’Homère – coollibri.com

« A tout seigneur, tout honneur », Homère est le premier grand auteur à avoir fait de la mer le fil rouge des aventures qu’il raconte dans son Odyssée. Celle du retour chez eux, difficile, des guerriers grecs après leur victoire sur les troyens.

Même si on aurait tendance à l’oublier,  le texte est incontestablement un des fondamentaux de la civilisation européenne. Car cette Odyssée, c’est celle de peuples n’ayant peur de rien, convaincus de pouvoir tout vaincre pour peu qu’ils aient du courage, de l’opiniâtreté et qu’ils aient confiance dans leur ingéniosité.

Comme tous les auteurs antiques, sa redécouverte est contemporaine de la Renaissance. Epoque bienvenue où il s’agissait pour les meilleurs esprits d’échapper à la chappe de plomb idéologique qu’au nom de la religion un clergé dominateur avait finie par imposer aux populations occidentales. Tout un symbole !

Un des plus brillants de ces esprits fut sans aucun doute Poggio Braccioloni (1380-1459), dit le Pogge. On lui doit la redécouverte du De rerum natura, de Lucrèce, de même que celle de l’émergence avec d’autres esprits tout aussi brillants de la première république des lettres.

L’histoire de cette redécouverte est admirablement racontée par Stephen Greenblatt dans son livre intitulé « Quattrocento« . 

Sinbad le marin, de Anonyme

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Sinbad le marin, de Anonyme – coollibri.com

On connait son histoire grâce aux contes des mille et une nuits dont il est une fraction, la 536ème pour être précis. La mer y est la cadre d’un monde fantastique.

Dans cette histoire écrite bien longtemps après  l’Odyssée, autour du 8ème siècle après JC, exact pendant de celle de l’Odyssée écrite au 8ème siècle avant JC, on a affaire à une princesse, Shéhérazade, qui raconte des histoires pour endormir son malheureux époux, trahis par son épouse précédente et qui ne s’en remet pas. On ne fait pas ça à un sultan !

Un exemple de mise en abyme

Au demeurant on a là une parfaite  illustration d’une technique littéraire. Celle que les spécialistes appellent la mise en abyme ou le récit cadre. Autrement dit, celle du récit dans le récit. Voire même du récit dans le récit d’un récit.

Donc, on a tout d’abord Shéhérazade, fille du Vizir d’une lointaine principauté indienne, qui veut mettre fin à la misogynie démente de son sultan d’époux, victime des infidélités, comme son frère également sultan, de leurs premières épouses respectives.

Courageuse et indignée par une telle misogynie, elle l’a épousé pour mettre fin à la folie meurtrière de son époux laquelle s’exerce chaque nuit contre de pauvres jeunes filles. Astucieuse, elle lui raconte des histoires si captivantes qu’il en oublie les jeunes filles. Elles échappent ainsi au sort funeste qui devait être le leur.

Les histoires racontées par Sinbad racontées par Shéhérazade

Sinbad le marin est l’une de ces histoires. Elle est découpée en 7 voyages. Comme il s’agit d’une rédemption, on peut admirer en passant l’usage de la symbolique du chiffre 7. Dans cette histoire dans l’histoire, Sinbad raconte ses voyages à un pauvre hère qui ne comprend pas pourquoi lui est si riche et lui si pauvre. 

Réponse : tout vient de la mer. Source de tous les dangers, mais aussi source de toutes les richesses, si on y survit. De quoi en décourager plus d’un. Mais, l’affaire ne s’arrête pas là. Les mille et une nuits nous parlent aussi du pouvoir de la narration. Laquelle va bien au-delà de celui de la richesse en tant que telle.

Car, c’est parce que Shéhérazade réussit, grâce à son souci de bien enchaîner ses récits, à captiver littéralement son auditeur, qui doit toujours attendre le lendemain pour en connaître la fin, que petit à petit, elle parvient à le transformer moralement et à stopper ainsi sa folie furieuse.

Il y faudra quand même mille et une nuits !

20 000 lieux sous les mers, de Jules Verne

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20 000 lieux sous les mers, de Jules Verne – coollibri.com

Avec Jules Verne, on fait un saut le temps, de près de 1000 ans, mais la mer est toujours ce lieu étonnant, plein de mystères, qu’on n’aborde pas sans risque. Le roman a été écrit par Jules Verne sous la pression de son éditeur en manque de publication et celle, amicale, de Georges Sand qui avait beaucoup apprécié deux de ses  romans précédents « 5 semaines en ballon » et « Voyage au centre de la terre ».

Après des histoires mettant se déroulant dans les airs et sous la terre, il paraissait presque évident qu’il fallait passer à cet autre élément primordial que constitue l’eau, de tout temps. Dans une lettre qu’elle lui adresse le 25 juillet 2865 :

J’espère, dit-elle, que vous nous conduirez bientôt dans les profondeurs de la mer.

Vœu que l’auteur exaucera quatre ans plus tard en s’inspirant de l’actualité du moment et des avancées techniques de l’époque. Intitulé d’abord « voyage sous les eaux », le livre iconique qui deviendra à sa parution « Vingt mille lieues sous les mers » raconte l’histoire du capitaine Nemo et de son submersible révolutionnaire le Nautilus.

La mer comme champs d’expérience technique

La mer n’y est plus une source d’effroi, bien qu’elle recèle en son sein quelques monstres, mais au contraire un monde formidable où vivre en toute indépendance et capable de fournir toutes les ressources nécessaires à celle-ci.

Evidemment, le narrateur, le professeur Arannax arrivé à bord contre sa volonté, ainsi que ses deux acolytes, son domestique Conseil, on est au XIXème siècle, et le marin harponneur Ned Land, qui n’aspire, comme son nom l’indique, qu’à remettre les pieds sur terre, ne voient pas tout à fait les choses de la même façon. 

Ce qui fait l’intérêt toujours renouvelé de ce roman, c’est que les problématiques qu’il soulève ne sont pas très éloignées de celles suscitées par les progrès techniques du monde contemporain. 

De fait, on peut ainsi se demander si Elon Musk dans sa course aux étoiles et ses rêves d’une civilisation multiplanétaire n’est pas une sorte de nouveau Nemo  en guerre avec une société qu’au fond il exècre.

Moby Dick, de Hermann Melville

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Moby Dick, de Hermann Melville – coollibri.com

Mêmes mystères, mâtinés de démarche initiatique, avec Moby Dick. C’est le nom du grand cachalot blanc que poursuit le capitaine Achab sur toutes les mers du globe. Plus que la recherche d’un profit, à l’époque l’huile de baleine valait de l’or, c’est la vengeance qui anime le capitaine du Pequod, baleinier typique de l’île de Nantucket au XIXème siècle.

En écrivant ce roman, aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands en langue anglaise, Hermann Melville (1819-1891) avait l’ambition d’écrire quelque chose à valeur universelle. Biblique, même. Achab, c’est aussi le nom d’un personnage clé de la Bible, comme Ismaël, le narrateur et seul survivant de ce qui s’apparente à une quête mystique.

La mer comme quête mystique

Véritable monstre des mers, Moby Dick  peut être vu comme l’incarnation de toutes les peurs qui entravent l’esprit humain. En l’affrontant, on peut certes parvenir à s’en libérer, mais on peut aussi y perdre la raison. Ce qui arrive au capitaine Achab. 

Tout dépend de la capacité de chacun à passer outre à ce combat et à se focaliser sur ce qui est l’essentiel. Autrement dit, sur ce qui permet de grandir et de cheminer dans la vie en pleine conscience.

Dans  Moby Dick, la mer est vivante et sa symbolique est forte. La vraie richesse, ce n’est pas ce que l’on peut en retirer de matériel, mais quelque chose de primordial et de plus substantiel. Celui, au fond, qui permet d’aborder les fins dernières. Ce que résume bien la formule du romancier pour qui ;

Le monde est un vaisseau dans un voyage sans retour.

Publié en 1851, il faudra néanmoins attendre le siècle suivant et les années 20 pour que le roman prenne son envol. Le fait est que la catastrophe de la 1ère guerre mondiale était passée par là et que le grand cachalot blanc pouvait être largement perçu comme le Léviathan biblique dévorateur d’une humanité un peu trop sûre d’elle même. 

Les piliers de la mer, de Sylvain Tesson

Les piliers de la mer, de Sylvain Tesson  - coollibri.com
Les piliers de la mer, de Sylvain Tesson  – coollibri.com

Sylvain Tesson dont le succès ne se dément pas auprès de dizaines de milliers de lecteurs a écrit une étonnant ouvrage, « Les piliers de la mer », qui se situe  dans le prolongement de  » Avec les fées », où il raconte son expérience de ses nombreuses escalades de stacks. 

Dans « Avec les fées », il s’est efforcé de faire toucher du doigt à ses lecteurs cette réalité au-delà du réel qui réside dans les subtiles sensations qui accompagnent un éclat du soleil sur une vague, un vol de mouettes au petit matin, toutes choses qu’une navigation, entre autres, peut aider à reconnaître. Ce sont des choses, dit-il, qui :

apparaissent parce qu’on regarde la nature avec déférence. Soudain un signal. La beauté d’une forme éclate. Je donne le nom de fée à ce jaillissement. 

Pendant 5 ans, ce jaillissement il est allé le provoquer en escaladant avec, notamment, son ami Daniel du Lac pas moins de 106 stacks aux quatre coins du monde. Un stack c’est un bloc de falaise laissé là, face à la côte où il est né, par les mouvements de la terre et sculpté par les vents marins et les coups de butoir des vagues. 

La mer comme source d’expérience métaphysique

Son tour des stacks, il l’a commencé par l’Aiguille creuse d’Etretat, d’abord en pensée, puis en réalité. Celle-là même qui a inspiré à Maurice Leblanc l’écriture de son roman éponyme pour y dérouler une énième aventure d’Arsène lupin,  son héros iconique. 

Dans chaque stack dont il a fait l’ascension, Sylvain Tessin y a vu une échelle vers un lieu inédit, la plupart du temps quasiment vierge de toute présence humaine, d’où il puisse contempler l’immensité tout à son aise. Comme il le dit :

Le sommet du stack est toujours une frontière miraculeuse.

Mais, pas seulement. 

Le processus qu’il met en branle à chaque fois et dont le souvenir le marque à jamais, c’est ce qu’il nomme le stackisme. Vu sous cet angle, un stack, c’est un morceau du réel qui signifie à tout ce qui l’entoure qu’il poursuit son existence solitaire en marge de l’ensemble dont à un moment donné il a fait partie.

Autrement dit, le stackisme est une philosophie de vie qui incite à adopter une manière de vivre qui se moque des dogmes, des idéologies et des conventions voulus par d’autres pour des raisons finalement rarement bienveillantes.

Son écriture qui privilégie les apophtegmes et les aphorismes en facilite la compréhension.

On peut, bien sûr, y voir aussi une volonté de relayer les « cris » de la mer dont le littoral se meurt par une surexploitation de ses plages et de ses côtes.

Ecrire la mer

INTERIEUR MAISON - coollibri.com
INTERIEUR MAISON – coollibri.com

On peut raconter son expérience de la mer de bien des façons. Dans une anthologie rassemblant 130 textes, intitulée « Ecrire la mer« , publiée par Citadelle et Mazenod en 2020, Daniel Bergez, écrivain d’art et critique littéraire, montre combien la mer a su de tout temps inspirer peintres et écrivains. Les uns se fondant sur les autres et vive versa pour construire leur œuvre. 

A cette anthologie qui peut donner bien des idées à tout auteur fasciné par la mer et cherchant une thématique appropriée à son état d’esprit, on peut ajouter les volumes de la passionnante collection intitulée « Les demeures de l’esprit », publiés année après année par la maison d’édition Fayard.

Celui-ci précise dans sa présentation que :

Les Demeures de l’esprit sont celles où l’intelligence, l’art, le talent, le génie parfois, ont pris leur quartier pour y naître, y mourir, y habiter quelques mois ou bien toute une vie : maisons d’écrivains, de compositeurs,, d’artistes, de savants, de fondateurs de religion, de doctrine ou de théorie.

La maison de Pierre Loti (1850-1923), grand marin devant l’éternel, s’il en est, auteur des inoubliables, entre autres, « Pêcheur d’Islande « ou  « Ramuntcho« , vient d’être réouverte au public, à Rochefort, en Saintonge, après plus de 13 ans de restauration.

Autant dire une splendeur et sans doute une des plus belles maisons d’écrivain. Tous les rêves de Pierre Loti, toutes les visions que ses courses en mer lui ont dévoilées s’y trouvent matérialisées comme par un coup de baguette magique.

Pour l’un de ses visiteurs :

La maison devient le prolongement de lui-même, un musée vivant de ses rêves, de ses voyages et de ses souvenirs.

Renaud Camus, le maître d’œuvre de la collection publiée par Fayard y consacre un chapitre dans le deuxième volume des Demeures de l’esprit – La France du Sud-Ouest. Il y écrit ainsi que :

La maison de Pierre Loti à Rochefort est exemplaire : elle n’est pas un musée Loti (même si l’on y apprend beaucoup sur Loti), elle n’est en aucune façon une reconstitution : […] une œuvre en soi, tout à fait au même degré que les livres […] Nous avons bien affaire ici à une maison d’écrivain au sens le plus méticuleusement et plaisamment fétichiste du terme .

Entre les quelques exemples de grands livres sur la mer, les pistes données par l’anthologie de Citadelle et Mazenod et celles des Demeures de l’esprit de la collection Fayard, voilà de quoi être poussé à se lancer dans l’écriture sur un sujet, la mer, bien ancré en soi depuis longtemps. 

Les conseils pratiques réunis par le blog de CooLlibri  peuvent y constituer une aide précieuse.

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