Alors que la relation mère-fille est, d’évidence, une source inépuisable d’inspiration pour les écrivains, il semble qu’il n’en soit pas de même pour la relation père-fils. On ne compte plus les ouvrages sur  les mères qui sont soit terrifiantes, soit en adoration devant leur progéniture. Sans compter tous ceux qui s’efforcent de donner les bons conseils pour que cette relation soit apaisée et débarrassée de tous ses éléments de conflictualité possibles et imaginables. Aucune trace d’une telle profusion pour ce qui concerne la relation père-fils.

Est ce à dire qu’il n’y a justement rien à dire sur celle-ci ? Et si finalement, c’était le contraire ? Bien plus, peut-être, que le rôle de la mère, celui du père a considérablement évolué au cours des dernières décennies. Le recul sur cette évolution est désormais suffisamment important pour que les écrivains puissent en brosser un état des lieux à partir de leur propre vécu ou de celui de ceux qu’ils ont pu observer de près.

Les quatre âges de la relation père-fils

D’une manière générale, on peut distinguer, semble-t-il, quatre grands schémas structurant la relation père-fils. Suivant les époques, la prédominance de l’un par rapport aux autres a, bien évidemment, changé. Quoi qu’il en soit on peut dire que cette relation va d’un père correspondant à une figure tutélaire, quasi divine et la plus ancienne, pour le fils, à un père qui se situe aux antipodes, souvent qualifié de déconstruit, la plus récente, aux contours mal définis, en passant par un père endossant le rôle d’un héros aux allures presque mythiques ou celui d’un père patriarche, chef de clan ou de tribu.

Une relation père-fils à connotation sacrificielle

Ce type de relation, c’est celui qu’on trouve notamment dans la Bible. C’est celui où le père a quasiment droit de vie ou de mort sur son fils, mais où le fils devient aussi le dépositaire privilégié d’un message spirituel unique. C’est celui incarné dans l’ancien Testament par Abraham prêt à sacrifier son fils Isaac pour montrer sa foi dans le nouvel ordre divin.

On retrouve le même schéma, mais en beaucoup plus universel, en tout cas, en beaucoup plus sophistiqué, avec la Passion du Christ, transmuté en sauveur de l’humanité du fait de son sacrifice. Là aussi voulu par son Père, mais un Père totalement transcendant et métaphysique.

Dans l’un et l’autre cas, on peut dire qu’au delà du sacrifice du fils et pour se rapprocher de préoccupations plus communes, il s’agit également d’illustrer par cela même, la volonté de transmettre plus globalement un héritage spirituel.

Un père vu comme un héros et un modèle de vie par son fils

Cette relation est peut-être plus ancienne que celle exposée dans la Bible. C’est celle qui a son origine dans les mythes datant de l’époque de bronze, quelques 1500 ans avant JC. Les héros qui servent de modèles sont ceux chantés par Homère dans l’Illiade et l’Odyssée

Ils illustrent les vertus de courage, de gloire et de loyauté au clan auquel on appartient de même qu’aux dieux que l’on célèbre. De l’âge de bronze, ils traversent les siècles et l’espace jusqu’au Moyen Âge avec ses chevaliers et l’amour courtois. Ou encore, avec les bardes celtes ou scandinaves récitant les dizaines de milliers de vers des ballades d’Ossian, le fils de Fingal l’écossais ou du Kalevala finnois.

Auxquels vont succéder les hommes d’honneur de l’Ancien Régime mis en scène par Corneille et bientôt remplacés par les grandes figures du roman national dessinés par Ernest Lavisse et les hussards noirs de la République, après la Révolution.

A la jonction de tous ces courants, le héros moderne se substituera au héros antique et archaïque incarné par Hector ou Achille et prendra la forme de Jean Baptiste Colbert. Pour des générations d’écoliers, au moins  de 1870 à 1970, ce dernier va représenter l’idéal de travail, d’ordre et d’ambition que chaque père s’efforcera de transmettre à son fils.

Le père patriarche figure centrale d’un mode de vie dominé par la vie des champs

Le père patriarche est celui auquel s’adressent la plupart des critiques modernes. Formaté par la civilisation agricole dominante, on lui doit un fonctionnement familial patriarcal dans les campagnes et paternaliste dans l’industrie. Ou dans l’action publique. Le général de Gaulle en ayant été une des illustrations les plus emblématiques.

Le modèle qu’il incarne est celui que les boomers des années 68  ont combattu avec la plus grande détermination. Avec succès, puisqu’il n’en reste plus aujourd’hui que des lambeaux. Mais, on peut aussi dire que ce succès est autant du à l’action résolue des boomers qu’à la désertification du monde rural. Sinon plus.

Le père déconstruit de la période post moderne

Avec la période post moderne qui débute à la fin des années 70, la notion de sens est remise en question. Tout est égal à tout. Sens et non sens, c’est la même chose. Il n’y a plus de vérité qui tienne. Toutes les vérités se valent.

Dans ces conditions, le rôle du père devient peu à peu indistinct et sa relation avec le fils ne suit plus de schémas préétablis et n’est plus qu’affaire de circonstances et d’influences disparates.

Nature de la conflictualité père fils

Comme il y a une conflictualité mère fille, il y a une conflictualité père fils. Ce n’est évidemment pas la même. Mais, d’un point de vue littéraire, dans un cas comme dans l’autre, c’est elle qui est la principale source d’inspiration des auteurs de roman qui s’intéressent à cette relation. 

Quelles en sont les formes ? Quelle est sa généalogie ? A quand remonte elle ? Quelles sont les circonstances qui l’ont fait naître et l’ont entretenue ? Qu’ont fait les différents protagonistes pour tenter d’y mettre fin ? A quelles conditions y sont-ils parvenus ? Ou au contraire, pourquoi ont-ils échoué ?

Par les réponses apportées à toutes ces questions, l’écrivain devient, d’abord, souvent pour lui-même, et ensuite, naturellement, pour ses lecteurs, une sorte de psychothérapeute. Grâce à ses mises en scène littéraires, il met des mots sur les non dits et les malentendus qui polluent une relation. Quelle qu’elle soit.

Ce faisant, il fait œuvre de clarification et souvent de rédemption. Suivant les âges et le vécu des auteurs, la nature de la conflictualité varie, mais elle est toujours latente. Rien ne l’exprime mieux que l’évocation de l’intemporel complexe d’Œdipe

Il y a ainsi un champs ouvert à l’écriture qui mérite d’être plus largement exploré qu’il ne l’est actuellement. Et cela d’autant plus que le dernier âge post moderne proposant un modèle de relation père-fils basé sur un père déconstruit ne peut que susciter questionnement et interrogations.

Romans et texte poétique illustrant la conflictualité dans la relation père-fils

Fils sacrifié par le père et fils dépositaire d'un  héritage spirituel - coollibri.com
Fils sacrifié par le père et fils dépositaire d’un  héritage spirituel – coollibri.com

Fils sacrifié par le père et fils dépositaire d’un  héritage spirituel

Dans le roman « Au nom du père » d’Ulf  Kvensler, l’auteur, de nationalité suédoise et également auteur d’un remarquable polar, raconte l’histoire d’un père qui sacrifie son fils pour poursuivre sa carrière d’artiste peintre. Le sacrifice, c’est celui de l’abandon du fils par le père après un incendie qui détruit la maison familiale et fait périr la mère et la fille.

L’héritage, c’est celui qui est transmis par le père au fils quand celui-ci devenu un peintre mondialement connu reprend contact avec son fils avant de mourir; Atteint d’une maladie incurable, il invite son fils, Isak, à le rejoindre, avec sa petite amie Madde, dans la propriété qu’il possède dans le Gotland.

Après bien des hésitations, le fils qui jouit d’une existence tranquille avec Madde, accepte. Evidemment, tout ne se passe pas au mieux et les réminiscences du passé jointes aux rancœurs accumulées créent un cocktail explosif.

« Le professeur d’histoire« , de Vladimir Volkoff, raconte une histoire un peu similaire. En moins tragique ou moins noir. Comme le présente l’éditeur :

Tout parent est professeur d’histoire. C’est ainsi que perdure la civilisation, grâce à l’entrelac continu des générations. Foncrest est le professeur d’histoire par excellence. Il l’est de métier. En outre, c’est un hobereau, un royaliste, un catholique qui s’est fixé un but : témoigner pour le passé. En face de lui, son fils Joël, adopté par un américain (le second mari de sa mère) vit – sans enthousiasme – à l’heure de la drogue et de la liberté sexuelle. La rencontre entre ce père et ce fils qui ne se connaissent pas va poser le problème crucial de la transmission des héritages spirituels.

Le père un héros antique ou un modèle de vie bourgeois

La fiction d’un père vu comme un héros

Dans ce registre, on ne peut manquer de lire ou de relire le célèbre poème de Victor Hugo « Après la bataille ». Il y évoque la figure de son père, le général Hugo. Le poème que beaucoup de petits écoliers ont appris par cœur à une certaine époque, tant il correspondait à l’idéologie nationale du moment commence ainsi :

Mon père, ce héros au sourire si doux, 

Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous

Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,

parcourait à cheval, le soir d’une bataille,

le champ couvert de morts sur qui tom-

bait la nuit.

L’image est belle, valeureuse et romantique à souhait. S’ensuit la scène où le général tombe sur un soldat blessé de l’armée espagnole qui vient d’être défaite et qui demande à boire. Il demande alors à son housard de lui donner sa gourde. Mais, au moment où il la lui tend, le blessé se redresse et tire un coup de pistolet sur le général. Le coup le manque, mais le général, bon prince, demande quand même à son housard de lui donner sa gourde. 

On imagine sans peine combien de fois l’histoire a du être racontée au petit Victor pour faire son édification. Sur la grandeur de son père et sur ce qu’est une noble attitude. Sauf que dans son livre sur les Hugo, Henri Gourdin n’y va pas de main morte et n’est pas du tout de cet avis.

La réalité d’un père absent

L’histoire du général Hugo parcourant le champ de bataille, une fois celle-ci terminée, est peut-être vraie, mais il s’agit d’une bataille anti insurrectionnelle qui ressemble beaucoup  à ces coups de mains menés par le républicains contre les vendéens pendant la révolution. Quant au général Hugo, il ne brilla guère dans les Etats majors impériaux, mais finit quand même comte.

On a ici un bel exemple d’une idéalisation un peu forcée d’un père, qui s’intéressait en fait assez peu à ses trois garçons qu’il avait eu de sa femme, Sophie Trébuchet, issue d’une honnête famille bourgeoise nantaise.

De plus, on peut douter de la filiation réelle de Victor, le général Hugo ayant, à l’époque de sa conception, une maîtresse et sa femme, probablement un amant. Victor connaissait probablement l’histoire, ou s’en doutait, et lui-même, se comporta assez mal avec son premier né Léopold qui ne survécut pas aux manques de soins de sa nourrice. 

Bref, de l’image héroïque à la réalité, il y a comme toujours un abîme dans ce genre de modélisation. Mais, ça marche quand même. Et le petit Hugo s’efforça d’être lui aussi à la hauteur de l’image qu’il s’était faite de son père. Il voulut être un grand écrivain et il le fut.

Crise de la relation père-fils 

A lire les titres des nombreux ouvrages publiés ces derniers temps sur la relation père-fils, on peut se demander si elle a encore droit de cité et si elle n’est pas tout simplement en fin de vie. En tout cas, ses formulations anciennes sont largement remises en cause. Sans pour autant aboutir à une nouvelle formulation qui fasse consensus.

Dans ces conditions, il est, semble-t-il, de la responsabilité des écrivains, notamment masculins, d’examiner de façon littéraire ce que cette situation peut avoir d’inédit et d’essayer d’imaginer les conséquences que cela peut engendrer. Un petit garçon ayant toujours, quoi qu’il en soit, besoin d’un modèle à suivre.

Si on en juge par les politiques éditoriales de beaucoup de maisons d’édition, on a de bonnes raisons de penser que cet examen trouvera plus facilement sa place sur les plate formes d’autoédition pour pouvoir être édité et diffusé.

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