La saison pour enrichir ses lectures avec  un grand prix littéraire est indiscutablement celle de l’automne de chaque année. Suivant un calendrier bien établi, on ne connait les heureux lauréats qu’à partir de la fin du mois d’octobre. D’ici là, les listes des heureux sélectionnés sont savamment distillés dans le médias. Ces listes et les réactions qu’elles suscitent correspondent d’une certaine manière à une sorte de teasing permettant aux éditeurs, et à leurs jurés affiliés,  de jauger avant l’heure le succès potentiel de tel ou tel titre.

Cette évaluation est souvent faite en fonction de leur plus ou moins bonne concordance avec l’air du temps. Raison pour laquelle, cet air du temps étant par nature volatile, bien des ouvrages primés se retrouvent au bout de quelques années plongés dans un purgatoire dont leurs auteurs ont le plus grand mal à sortir.

Qui se souvient encore, sans faire de mauvais esprit, du roman d’Olivier Bourdeaut, « En attendant Bojangles  » paru en 2016 et lauréat de nombreux prix ? Depuis, l’auteur a publié trois autres ouvrages chez le même éditeur qui n’ont pas eu le même succès.

Comme quoi être récompensé par un prix peut aussi avoir quelques inconvénients. Dés lors, il peut être intéressant de naviguer sur les vagues de tous ces ouvrages sélectionnés et d’essayer de repérer celui qui fera date un jour ou l’autre. Qu’il soit récompensé par un prix ou non.

C’est le but et le sens de la liste qui suit.

Calendrier des grands prix littéraires de l’automne 2025

Prix littéraire Décembre, 28 octobre

YVES BERGE - coollibri.com
YVES BERGE – coollibri.com

Crée en 1989, doté d’une récompense de 15 000 euros par la fondation Yves Bergé-Yves Saint Laurent, le prix Décembre, au jury duquel on note, entre autres, la présence d’Amélie Nothomb et de Charles Dantzig, a publié le 3 septembre une liste des 11 titres.  Ce ne sont pas que des romans et ils correspondent à sa première sélection. 

La seconde sélection est prévue le 14 octobre avant la proclamation du résultat final le 28 octobre. Sans avoir avoir l’impact éditorial d’autres grands prix comme le prix Goncourt, le prix Décembre, c’est quand même pour son auteur la quasi assurance d’écouler, en moyenne, 20 000 exemplaires.

Parmi les ouvrages figurant dans la première liste, « Le Bel obscur » de Caroline Lamarche, publié aux éditions du Seul est souvent cité par les critiques littéraires. L’autrice n’est pas une inconnue.  Née en 1955, à Liège, elle a déjà pas publié pas mal de choses dans des genres très différents. 

Avec « Le bel obscur », quasi oxymore, elle revient au roman.  Elle y raconte l’histoire d’une femme qui entreprend des recherches sur un de ses ancêtres rejeté et banni par sa famille.

Occasion pour elle de s’interroger sur sa propre histoire et notamment sur les répercussions qu’a eu sur celle-ci la révélation de l’homosexualité de son mari.

Prix littéraire de l’Académie française, 30 octobre 

Il s’agit bien sûr ici du grand prix du roman de l’Académie française créé en 1914. Traditionnellement c’est lui qui ouvre la saison des prix. Il est doté de 10 000 euros et il est décerné au romancier dont l’Académie juge qu’il a publié le meilleur roman de l’année. 

En 2024, le lauréat a été le franco vénézuélien Miguel Bonnefoy, avec  » Le rêve du jaguar « , publié chez Rivage. En général, les jurés du grand prix du roman privilégient des romans publiés par de grandes maisons d’édition comme Gallimard ou Grasset. 

Pour le grand prix du roman 2025, la première sélection est prévue le jeudi 2 octobre et la seconde le jeudi 16 octobre.

Prix littéraire Fémina, 3 novembre

COUVERTURE ROMAN LA CONQUETE DE JERUSALEM – coollibri.com

Comme chacun sait, le prix Fémina est décerné par un jury uniquement composé de femmes. Quant à la proclamation de son lauréat, homme ou femme, elle précède toujours d’un jour, pour des raisons historiques, celle du Goncourt.

Dès l’origine, le prix s’est voulu un « anti Goncourt ». Tant dans ses choix d’auteur et que dans celui de ses critères esthétiques. Avant de proclamer le 3 novembre son choix final, les membres du jury Fémina vont procéder à à trois sélections le 9 septembre, le 30 septembre et le 21 octobre.

Il y a de fortes chances pour que le lauréat se trouve dans la liste établie pour le prix Goncourt et probablement écarté par ses jurés. Et peut-être, ou sans doute, le lauréat ou  la lauréate aura-t-elle su faire montre dans son roman du même  ADN que le premier roman récompensé par le prix, celui de Myriam Harry, « La conquête de Jérusalem« . 

La lecture du premier prix Fémina est d’autant plus intéressante que, souvent, des auteurs aujourd’hui oubliés le sont bien à tort. De fait,  ils peuvent être toujours aussi inspirants, voire même plus.  Ce qui est le cas avec le roman de  Myriam Harry. Ils  méritent ainsi largement d’être redécouverts. 

Prix littéraire Goncourt, 4 novembre

La première sélection du prestigieux prix Goncourt a été rendue publique le 3 septembre. La liste des premiers nominés comprend quinze titres. Une deuxième sélection est prévue pour le 7 octobre pour la réduire de moitié, puis encore une autre fois, le 28 octobre, avant la sélection  finale du 4 novembre.

En 2024, le lauréat a été Kamel Daoud pour son roman « Houris ». Chose rarissime, cela n’a pas été sans peine, ni conséquences. La politique s’en est mêlée. Au point d’en faire une quasi affaire d’Etat. Et à titre civil, Kamel Daoud a du faire face à des accusations de violations de la vie privée d’autrui. 

En tout cas, le Goncourt 2024 a suscité suffisamment de polémiques pour en faire une excellente lecture d’été ou d’automne au cas où on l’aurait oublié. Rien de tel pour les nominés 2025. On y trouve quelques noms qui semblent déjà rallier tous les suffrages. 

Citons, entre autres, Natacha Appanah, d’origine mauricienne, née en 1973, journaliste et romancière qui a déjà publié de nombreux romans et obtenus de non moins nombreux prix. Son dernier roman, « La nuit au cœur« ,  publié par Gallimard, figure en bonne place dans la première sélection pour le Goncourt 2025, 

Après les relations incestueuses dont les histoires ont  trusté l’attention des jurys littéraires les années précédentes, il s’agit ici d’histoire de féminicides. Ou de conjugicides. Dans sa note de présentation l’éditeur indique ainsi que :

La nuit au cœur entrelace trois histoires de femmes victimes de la violence de leur compagnon. Sur le fil entre force et humilité, Natacha Appanah scrute l’énigme insupportable du féminicide conjugal, quand la nuit noire prend la place de l’amour.

Notons au passage que l’expression « nuit noire », quasi pléonasme, on parle aussi de « nuit obscure » n’est pas qu’une figure de style, mais renvoie à un état de l’âme, bien identifié par les auteurs mystiques, de profonde désespérance et de désidentification.

Prix littéraire Renaudot, 4 novembre

THEOPHRASTE RENAUDOT - coollibri.com
THEOPHRASTE RENAUDOT – coollibri.com

C’est le prix des journalistes. Il a été créé par une dizaine d’entre eux en 1926. Du moins par ceux qui attendaient à l’époque les résultats du Goncourt à proximité de ses éminents jurés. Evidemment, il est avant tout honorifique. Pas de récompense à la clef, mais, ce qui est bien mieux l’assurance d’avoir de bonnes critiques. 

La liste des 15 romans sélectionnés le 4 septembre est pour l’essentiel composée de romans tournés ver l’intime, paternel ou surtout maternel. Ainsi d’Anne Berest qui parle de son père dans « Finistère« , publié par Albin Michel, de Jakuta Alikanovazovic, fascinée par ce qu’elle appelle l’énigme d’une mère qui publie « Au grand jamais« , chez Gallimard.  Ou encore Justine Lévy qui fait la biographie de sa mère dans « Drôle de peine« , publiée chez Stock.

Parmi ces 15 romans, on ne saurait manquer « Les ombres du monde » de l’écrivain à succès Michel Bussi. Il livre ici un remarquable roman mêlant petite et grande histoire sur fond de guerre civile au Rwanda. Ajoutons enfin à ces quinze romans, les onze essais qui concourent pour le prix dans la catégorie essais. 

Prochaines étapes, 2ème sélection, le 7 octobre, 3ème, le 28 octobre et sélection finale, le 4 novembre.

Prix littéraire Médicis, 6 novembre

Créé en 1958 par le fils de Jean Giraudoux et la mécène d’origine russe Gala Barbisan, le prix Médicis se décline en trois versions, le Médicis étranger, le Médicis essai et le Médicis proprement dit. 

Le premier est réservé aux auteurs traduits en français. En 2024, le lauréat a été le guatémaltèque Eduardo Alfon pour son roman « Tarentule« .  Le second consacre des œuvres de réflexion de premier plan.  Comme la biographie monumentale de Franz Kafka, qui a valu son prix en 2024 à Reiner Stach.

Quant au troisième, il s’attache à valoriser des auteurs méritant une plus grande notoriété que celle dont ils bénéficient habituellement. 

Dans ce dernier format, Le prix Médicis a été attribué en 2024 à Julia Deck pour son roman autobiographique « Ann d’Angleterre« . Elle y raconte comment sa mère issue d’un milieu modeste parvient néanmoins grâce aux livres à s’émanciper et se forger un destin remarquable.

Pour le prix Médicis 2025, la publication des sélections est prévue les 12 septembre et 16 octobre. La proclamation finale est annoncée pour le 6 novembre.

Prix littéraire Interallié, 12 novembre

CERCLE DE L'UNION INTERALLIEE - coollibri.com
CERCLE DE L’UNION INTERALLIEE – coollibri.com

Dernier des grands prix littéraires de l’automne, l’Interallié. Il a consacré en 2024 la piété filiale et le temps qui passe avec « Cœur« .  Le beau roman familial écrit par Thibault de Montaigu. Outre la toujours intéressante relation père fils, on y trouve aussi la nostalgie d’un monde qui s’efface irrémédiablement sans qu’on sache véritablement par quoi il va être remplacé. 

La première sélection du prix Interallié, qui date de 1930, sera dévoilée le 3 octobre. Peut-être y figurera le déjà très demandé « Kolkhoze » d’Emmanuel Carrère. Publié par P.O.L, qui raconte l’histoire de ses parents et notamment celle de sa mère, Hélène Carrère d’Encausse.

De manière surprenante, d’invisibles liens semblent lier les deux ouvrages autour d’un même constat.

Notre sélection de 10 titres parmi les ouvrages sélectionnés pour un prix littéraire

Nombre des prix littéraires

Pour la rentrée 2025, les éditeurs ont fait fort. Sans atteindre, et de loin, le record de 2010 où ils avaient publié plus de 700 romans, ils en ont publié quand même près de 500. Soit une bonne quarantaine de plus que l’an dernier. Et parmi ceux-ci, ce qui ne manque pas d’intérêt, pas mal de nouveaux romans . 

Dans ces conditions, se contenter des sélections, première, deuxième ou troisième, des « Big Six », autrement dit, des six grands prix, est forcément très réducteur. On peut donc être tenté d’aller voir ailleurs.  Et fort heureusement, cet ailleurs existe.

Ce ne sont, en effet, pas moins de 2000 prix qui sont attribués chaque année. Que ce soit par une institution ou par une autre : département, ville, médiathèque, associations, etc.

Si on fait le rapport entre le nombre d’auteurs professionnels et le nombre de prix auxquels ils peuvent prétendre, on se rend vite compte qu’ils ont un peu plus de 6 chances sur 100 d’être lauréat. Cela peut paraître faible, mais quand on y réfléchit, ce n’est pas si mal.

Car, c’est au fond la même proportion que celle que l’on observe pour la réussite à un concours.

Sélection de 10 titres et + hors grands prix ou presque

Sans se perdre dans les multiples méandres des prix littéraires en France, dont c’est une des spécialités, on peut néanmoins s’intéresser à d’autres prix.  Citons, par exemple, ceux du journal le Monde, de la Fnac, des deux magots, de Paul Morand, de la langue française. Ou encore, celui du Titre. Ce qui donne la liste suivante, tout à fait arbitraire et privilégiant les petits éditeurs : 

  • Le pays dont tu as marché la terre, Daniel Bourrion, éditions Héloïse d’Ormesson
  • Voyage, voyage, Victor Pouchet, L’Arbalète
  • Clamser à Tataouine, Raphaël Quenard, Flammarion
  • Le grand horizon, Lola Nicolle, Phébus
  • Le monde est fatigué, Joseph Incardona, Finitude
  • Les forces, Laura Vasquez, Sous Sol
  • Paranoïa, Lise Charles, P.O.L
  • Les promesses orphelines, Gilles Marchand, Aux Forges de Vulcain
  • Quatre jours sans ma mère, Ramsès Kefi, Philippe Rey
  • L’étrange tumulte de nos vies, Claire Messud, Christian Bourgois Editeur
  • Le parlement de l’eau, Wendy Delorme, éditions Cambourakis
  • Perpétuité, Guillaume Poix, Verticales
  • L’adieu au visage, David Deneufgermain,  Marchialy.

Notre roman préféré pour la rentrée 2025

« Je voulais vivre », Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Grasset. 

On trouve le roman d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre dans plusieurs sélections. On l’a, pour notre part, déjà signalé dans un précédent post sur les livres d’été. 

En reparler ici, c’est l’occasion de compléter notre précédent commentaire. En effet, ce roman est bien plus qu’un énième livre féministe ou de nature féministe. 

Ce qui en fait la force, selon nous, c’est qu’il reprend l’histoire d’un personnage vilipendé. Cela depuis des décennies, pour le replacer dans une perspective très actuelle.  Et de fait, à bien des égards, fort peu conventionnelle. 

Milady, la « reine noire » des Trois Mousquetaires, puisque c’est d’elle dont il s’agit, n’a pas voulu accepter le destin tout tracé pour elle. Le monde dont elle est issue ne l’inclut que si elle en respecte les codes. Or ceux-ci, de son point de vue, semblent n’être faits que pour la rabaisser. 

D’où l’ostracisme et le rejet avec lesquels elle doit vivre. Mais, surtout, apprendre à surmonter. Et pour cela, elle doit prendre tous les risques.

Cette façon de voir, qui fait toute la force du roman, peut s’appliquer à bien des attitudes.  Et de nombreux hommes ou femmes d’aujourd’hui, seulement mus par leur volonté de ne pas accepter les codes du moment, quels qu’ils soient, peuvent ainsi l’avoir en partage.

Le roman d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre peut ainsi être perçu comme un hymne à la liberté.

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