Il y a classiques et classiques. Il y a ceux qu’on trouve pratiquement dans toute les listes des « 50 meilleurs, etc. » ou des « 10 plus grands, etc. », mais que deviennent les autres ? Ceux dont on ne parle plus aujourd’hui, mais qui ont eu leur heure de gloire en leur temps. Ont-ils encore quelque chose à nous dire ? Peuvent-ils être une bonne source d’inspiration ? Hé, peut-être bien que oui ! Rembobinons un instant le film. Chaque époque est marquée par des « tics » éditoriaux. Quand ces « tics » deviennent envahissants, ils laissent peu de place à la création d’œuvres réellement originales. On peut avoir alors l’impression que toutes les politiques éditoriales finissent par se ressembler. Ce n’est pas sans conséquences, comme on peut bien l’imaginer. Mais, à y regarder de près, ce peut être une chance pour les nouvelles plumes et de surcroît les nouvelles plumes autoéditées.
Tendance des politiques éditoriales à s’uniformiser
Qu’est-ce que cette uniformisation veut dire ?
Elle signifie qu’à de rares exceptions près, les maisons d’édition ont toutes plus ou moins tendance à observer les mêmes « guide lines » éditoriales. Autrement dit, indépendamment de leur sectorisation suivant leurs thèmes de prédilection, elles tendent toutes à respecter des standards communs sur ce qu’il convient de dire ou de ne pas dire, sur la façon de dire ou de ne pas dire les choses, etc.
Quelles sont les causes de cette uniformisation éditoriale ?
Il y en a deux principales. L’une est technique et récente. L’autre est le résultat d’une lente évolution de la nature de ce qui constitue la liberté d’expression. L’une, l’autre se renforcent pour faire progressivement de la production littéraire un vaste « gloubi-boulga » de plus en plus indigeste et au mieux insipide.
Pour ce qui est de la première, on l’aura compris, on veut parler de l’irruption réussie de l’Intelligence Artificielle dans le domaine de l’édition et de l’écriture. De jour en jour, la qualité de la production d’une IA comme ChatGPT progresse. De fait, elle s’enrichit naturellement de tout ce qu’elle « ingère ».
Dans le même temps, bien des productions humaines régressent par conformisme ou tout simplement manque de créativité. Ce mouvement de ciseau n’atteint pas encore vraiment les grandes maisons d’édition, mais à coup sûr la rédaction web. Beaucoup de sites web qui se veulent avant tout informatifs n’auront bientôt plus besoin de rédacteurs web en tant que tel. Sauf si Mr Google maintient sa politique visant à privilégier la pertinence et l’originalité pour répondre aux requêtes qui lui sont adressées.
Pour ce qui est de la seconde, elle est liée à l‘autocensure que les auteurs et les éditeurs en viennent à pratiquer, sans même souvent, s’en rendre compte, du simple fait de leur crainte d’avoir à faire face à une éventuelle mise en cause judiciaire de ce qu’ils écrivent ou font paraître. De sorte qu’on pourrait croire que l’heure n’est plus à une liberté d’expression, pleine et entière, mais au respect quasi obligatoire d’un cadre particulier de pensée. Cela dit, notons cependant que dans bien des cas, là aussi, on ne s’en plaindra pas.
Les conséquences de l’uniformisation des politiques éditoriales
L’uniformisation des politiques éditoriales, évidemment inconsciente, a au moins trois conséquences.
Fuite des lecteurs chevronnés vers les classiques
La première, c’est qu’elle finit par lasser les lecteurs chevronnés. Ces derniers en viennent à se détourner massivement des productions du moment. En effet, la plupart du temps, ce ne sont que de simples, sinon, simplissimes, écrits de circonstances. Lesquels, d’une manière ou d’une autre, finissent tous par se ressembler.
D’où le mouvement qui consiste à se rabattre, de façon inconditionnelle, sur les valeurs sûres et intemporelles que sont les « classiques« . Autrement dit, les livres qui ont pu résister à l’épreuve du temps et dont on parle encore plusieurs décennies, voire plus, et même beaucoup plus, après leur première édition.
Dépérissement de la qualité éditoriale
La deuxième conséquence, c’est qu’un ouvrage cochant toutes les cases de ces politiques éditoriales uniformisées ne peut se vendre qu’à coup de marketing envahissant, de merchandising éhonté et de story telling « pipolisé », au maximum. On en est ainsi arrivé à un stade où le contexte est devenu plus important que le texte lui-même.
Surcroît d’intérêt pour l’autoédition
Dernière conséquence, somme toute réjouissante, tant elle est inattendue, c’est que l’autoédition devient alors un espace de liberté que beaucoup de maisons d’édition classiques ne peuvent plus garantir, quand ce n’est pas tout simplement offrir. « Business is business ».
Les classiques oubliés : Une solution pour trouver une nouvelle source d’inspiration
Dés lors qu’on a compris qu’on pouvait se passer, sans grand dommage, des « guidelines » éditoriales quand celles-ci ne sont plus guère que des manuels de conformisme et de marketing, on est à même de respirer à nouveau l’air vivifiant qui entoure toujours le plaisir d’écrire.
Faut-il regretter cet évitement des grands courants éditoriaux ? Bien sûr que non ! Car enfin, sur les dizaines de milliers de livres publiés chaque année bien peu parviennent à rémunérer leur auteur à la hauteur de leur travail. Pas de quoi donc sacrifier sa liberté d’écriture pour un si piètre résultat !
Comment les classiques oubliés peuvent-ils être une source d’inspiration ?
Par suite, de ce point de vue, se plonger dans quelques ouvrages comme ceux heureusement rassemblés par une maison d’édition – un peu à part, ça existe ! – comme les éditions Glyphe, ce peut n’être que du bonheur. Une citation, tirée d’un derniers ouvrages publiés, « Le livre de Caliban« , d’Emile Bergerat, dans sa collection dédiée justement aux classiques oubliés, en donne le ton :
Médiocratie : colique de la démocratie qui dicte ce qui s’écrit, inspire ce qui se fait, suggère ce qui se dit et modère ce qui se pense.
Quelques classiques oubliés pour trouver une source d’inspiration
Récréations littéraires, d’Albert Cim
Avec ces récréations littéraires, on peut sauter à cœur joie dans les « flaques » laissées par les innombrables auteurs, renommés ou pas, qui ne sont rien d’autres – les flaques, pas les auteurs ! – que des énormités à mourir de rire. Et qu’on se le dise, ça aide ! A quoi ? Mais, à ramener chacun dans ses « starting blocks » et, surtout, à ne pas se laisser intimider par quelque auteur que ce soit. C’est déjà ça, non ?
Albert Cim (1845-1924), de son vrai nom, Albert-Antoine Cimochowski est ce qu’on appelle, au sens propre, un lettré. Autrement dit, quelqu’un qui ne vit que par et pour les livres selon la définition qu’en donne, avec justesse, William Marx dans sa « vie du lettré« . Il est l’auteur du monumental « Le livre » dont la lecture donne à son lecteur tout ce qu’il est possible et imaginable de savoir sur le livre. Et cela, bien avant le remarquable « L’infini dan le roseau » d’Irène Vallejo.
Avec lui, aucun risque de se laisser prendre par un lyrisme à l’emporte-pièce qui fait dire à certains auteurs peu inspirés, justement, par exemple :
Qu’il ne faut cesser de frapper avec le marteau de la réflexion sur l’enclume de la méditation.
Waouh ! Qu’elle est belle l’image ! Lol.
Epigrammes, de Bussy-Rabutin
Là, il ne s’agit pas de se moquer, mais de parler d’amour avec concupiscence, mais aussi avec grâce. L’époque dans laquelle Bussy-Rabutin « sévit » est celle de Louis XIV. Il en paiera, un peu, le prix puisque son histoire amoureuse des Gaules lui vaudra d’aller faire un séjour à la Bastille, avant d’être définitivement exilé dans son beau château de la Côte d’or.
Quoi qu’il en soit, comme l’écrit aimablement leur éditeur, Christophe Blanquié :
Evoquant les plaisirs de la chair avec intelligence et sans fausse pudeur, les épigrammes ajoutent des bonheurs de lecture aux plaisirs amoureux.
Nul besoin, pour cela, de « s’enfoncer » dans des narrations fourmillant de détails plus indigestes les uns que les autres comme se croient obligés de le faire bien des auteurs contemporains, dont certains « trustent » les classements des meilleures ventes. En lisant les épigrammes de Bussy-Rabutin, pleines d’esprit et composées pendant son exil, on se demande bien pourquoi.
Les dictionnaires de l’Académie de l’humour français peuvent-ils être aussi une source d’inspiration ?
Voilà un ouvrage on ne peut plus original qui date de 1934. On le doit à un défi lancé au cours d’un déjeuner, comme il se doit, à neuf écrivains, en 1923, par Georges Geiger. Comme l’indiquent les éditions Glyphe, il reprend, en fait, les entrées les plus amusantes, les plus inattendues, de cinq dictionnaires publiés par la fine équipe de 1934 à 1947. On peut y voir un vrai florilège de l’esprit à la française.
En tout cas, ça peut aider à passer le cap des époques moroses. Leurs auteurs en savaient quelque chose. Notons cette entrée qui ravira tous les auteurs, du moins on l’espère :
Auteur : Un monsieur qui gagne à être connu.
Les conseils aux auteurs de la maison d’édition Glyphe
Compte tenu de ce qui vient d’être dit, on aurait tort de s’en priver. Les éditions Glyphe les placent sous l’autorité de Rainer Maria Rilke qui dans ses « lettres à un jeune poète » interpelle les apprentis auteurs et décrit ce que doit être, selon lui, leur source d’inspiration :
Cherchez en vous-mêmes. Explorez la raison qui vous commande d’écrire; examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre cœur; faite-vous cet aveu : devriez-vous mourir s’il vous était interdit d’écrire.
A cette aune, les I.A rédactrices ont, a priori, bien peu de chances de passer la rampe. Mais, bon, le éditions Glyphe sont indulgentes et rappellent qu’écrire suppose aussi de respecter un certain nombre de conventions. Ajoutons qu’on a aussi tout intérêt à les respecter quand on envisage de pratiquer l’autoédition.
Et les I.A, comme ChatGPT, peuvent-elles trouver dans tout ça une source d’inspiration?
On peut conseiller à toute I.A rédactrice, soucieuse d’élargir son savoir-faire de se rapprocher de ces auteurs aujourd’hui inconnus. Mais, on doute que ses algorithmes l’y conduisent. Il faudrait pour cela qu’ils reviennent en pleine lumière. Ce qui n’est pas demain la veille. On doute également qu’elle puisse s’y retrouver dans les formules choc répertoriés, par exemple, par Albert Cim dans ses récréations littéraires et y percevoir tout l’humour sous-jacent. D’ailleurs, pour tout dire, il y a de fortes chances pour qu’elle en produise involontairement, elle-même, de fort savoureuses. Du style, par exemple :
Le lapin est un animal timide et nourrissant.