Avec Olympe de Gouges, l’auteur de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, guillotinée le 3 novembre 1793 à Paris, ayant sans doute par trop heurté la pudibonderie de Robespierre l’Incorruptible, débute une nouvelle période où la femme de lettres va pouvoir s’illustrer. Mais, contrairement, à ce qu’on aurait pu croire, justement grâce à Olympe de Gouges, cette émergence ne s’est pas traduite par une réelle libération de la femme écrivain. Du moins, au tout début du premier siècle post révolutionnaire.
Et même, d’une certaine façon, les salonnières du XVIII ème siècle ont été sans doute plus libres que les femmes de lettres qui sont venues après elles et dont les plus talentueuses ont du se résoudre à écrire sous un pseudonyme masculin. Curieusement, pour les voir s’imposer sans fard, c’est en Angleterre qu’il faut se rendre avec des auteurs aussi célèbres que Jane Austen (1775-1817) ou les sœurs Brontë, Charlotte (1816-1855), Emily (1818-1848) et Anne (1820-1849).
De la littérature dans ses rapport avec les institutions sociales, de Germaine de Staël (1766 – 1817)
Germaine de Staël est un ovni dans la société de son temps. Très tôt, elle ne ressemble à aucune autre jeune fille de la société aristocratique dans laquelle elle se meut avec la plus grande facilité et cela, dès son adolescence.
Germaine de Staël, une brillante femme de lettres
Fille du puissant ministre de finances de Louis XVI, le genevois et richissime Necker, devenue baronne de Staël après son mariage avec un noble suédois désargenté, beaucoup plus vieux qu’elle, mais qui a au moins le mérite et l’intelligence de la laisser faire ce qu’elle veut. Bien dans l’esprit de son siècle, le XVIII ème, en l’occurrence, elle dira de lui :
De tous les hommes que je n’aime pas, c’est celui que je préfère.
Quoi qu’il en soit, véritable moulin à paroles et souvent vêtue de manière extravagante, elle étonne son entourage par son implication dans le mouvement des idées de la Révolution et de l’Empire et les aléas politiques qu’elles suscitent. Malgré ses tentatives pour le séduire, Napoléon ne l’aimera guère et préfèrera la voir loin de Paris dans son château de Coppet. En Suisse …
A bien des égards, elle est le prototype même de ces femmes de lettres engagées et pro européennes qui vont dominer le monde de l’édition bien des années plus tard.
Germaine de Staël, une des premières romantiques
On peut considérer son « De la littérature« , paru en 1800, comme la première ode au romantisme du nouveau siècle où s’affirmeront les géants de ce nouveau courant que sont, entre autres, Chateaubriand et Lamartine. Mais, pas que.
Cela dit, à cet essai où elle défend quoi qu’il en soit les idées des Lumières, on peut préférer sa correspondance. Ss lettres en font effectivement une une grande épistolière, à l’égale de ses devancières comme madame de Sévigné ou de madame du Deffand.
On peut aussi lui préférer ses romans à thèses comme Delphine qui parait en 1802 et se veut un plaidoyer en faveur de la libération des femmes.
Benjamin Constant qui sera un temps son amant défendra sn auteur contre les critiques venimeuses d’un siècle de moins en moins porté sur l’indépendance féminine. Raison sans doute pour laquelle, la pauvre Delphine ne pourra se libérer des contraintes que son milieu veut lui imposer que par une fin tragique, mais, ô combien, romantique.
Les malheurs de Sophie, de la comtesse de Ségur (1799-1874)
Avec la comtesse de Ségur, on entre de plain-pied dans le XIXème siècle et les misères de la condition féminine et enfantine. La comtesse de Ségur est née à Saint-Pétersbourg au sein d’une très grande famille d’aristocrates russes. Son père a été ministre des affaires étrangères du tsar Paul 1er et le défenseur de Moscou contre les armées napoléoniennes en 1812. C’est à lui qu’on doit notamment l’incendie de la ville qui a contraint celles-ci à battre en retraite, mais lui a valu d’être disgracié. On ne lui a pas pardonné les énormes destructions que cet incendie a provoqué.
Les débuts d’écrivain de la comtesse de Ségur
C’est donc à Paris que la famille finit par trouver refuge et que Sofia Rostopchine devient la comtesse de Ségur. Enfant, Sofia n’a pas été heureuse, femme mariée, elle ne l’a pas été davantage. A partir de 1822, elle « s’exile » dans la campagne normande, entourée de ses enfants et petits-enfants, et va résider de longues années, pratiquement jusqu’à sa mort, au Château des Nouettes. C’est là qu’elle va écrire l’essentiel de son œuvre avec un seul mot d’ordre :
N’écris que ce que tu as vu.
Les malheurs de Sophie ne sont pas son premier livre, mais celui qui va confirmer ses talents d’écrivain pour la jeunesse. Le livre fait partie d’une trilogie, « la trilogie de Fleurville », qui outre Les malheurs de Sophie comprend Les petites filles modèles et Les vacances.
Le propre des récits pour la jeunesse écrits par la comtesse de Ségur est qu’ils ont été écrits assez tardivement- elle avait passé 50 ans quand elle a écrit le premier – et qu’ils sont centrés sur des choses vues, et notamment sur le rejet des méthodes « éducatives », pour le moins expéditives, dont, entre autres, les châtiments corporels, alors très courant s’agissant de l’éducation des enfants.
Les origines de la Bibliothèque rose
A noter que les récits de la comtesse de Ségur ont accompagné le développement des chemins de fer et celui de sa bibliothèque des chemins de fer, devenue ultérieurement la Bibliothèque rose sous l’impulsion de la maison d’édition Hachette.
Même si Les malheurs de Sophie peuvent paraître datés à bien des égards, il n’en reste pas moins un beau témoignage sur l’enfance dans les milieux huppés du XIXè siècle et sur les tourments, ou les rêves, de celle-ci et de leurs parents qui sont de tout temps. Rien d’étonnant donc qu’on continue à lire la Comtesse de Ségur et que plus d’une trentaine de millions de ses livres aient été vendus depuis la parution du premier.
Indiana, de George Sand (1804-1876)
Auteur prolifique, George Sand – à partir de 1829 – est née sous le nom d’Aurore Dupin. D’origine à la fois aristocratique, par son père qui descend du maréchal de Saxe, et populaire, par sa mère, George Sand comme toutes les femmes de cette époque devra lutter pour « vivre sa vie ». Ce ne sera pas sans mal et elle devra compter sur les nombreux romans qu’elle publiera tout au long de sa vie, près de 70, pour assurer sa subsistance.
Indiana qu’elle publie en 1832 est son premier roman et celui qui lui assurera une notoriété immédiate. C’est celui où elle met le plus avant les difficultés de la condition féminine à l’époque du roi Louis Philippe. A la suite de ce roman, elle s’intéressera plus particulièrement à la question paysanne avec La mare au diable, François le Champi ou encore La petite fadette.
Bien qu’en butte à bien des critiques masculines, notamment celles de Baudelaire ou de Barbey d’Aurevilly qui n’apprécient guère ses façons de faire, George Sand sera de tous les combats pour essayer de faire avancer la cause féminine et celles des autres catégories sociales méprisées de son temps. Par ailleurs, dans son château de Nohant où elle passera l’essentiel de son existence, George Sand recevra tout ce que l’Europe aura produit de plus beaux esprits de son vivant : Liszt, Chopin, Balzac, Alfred de Musset, etc.
Le cœur innombrable, d’Anna de Noailles (1876 – 1933)
Le cœur innombrable est le premier recueil de poèmes publié par Anna de Noailles qui lui vaut à l’époque, en 1901, un certain succès. On ne lit plus guère aujourd’hui Anna de Noailles et pourtant elle a marqué les esprits et son temps. Première présidente du prix vie heureuse, devenu prix Fémina en 1922, Anna de Noailles fut aussi la première femme a être commandeur de la légion d’honneur.
Sa poésie, lyrique et naturaliste, n’en reste pas moins d’une facture plutôt académique qui lui donne un côté un peu emphatique et déclamatoire. Son poème A la nuit qui figure dans le recueil le cœur innombrable commence ainsi :
Nuits où meurent l’azur, les bruits et les contours,
Où les vives clarté s’éteignent une à une,
Ô nuit, urne profonde où les cendres du jour
Descendent mollement et dansent à la lune.
C’est indéniablement bien académique, mais tellement représentatif d’une personnalité sensible portée sur l’égocentrisme et habituée à être admirée par son entourage. Le fait est qu’elle était issue d’une famille très riche de l’aristocratie roumaine et que son mariage l’a fait entrer dans une des familles les plus anciennes de la noblesse française.
Cela dit, on peut encore aimer ses vers et lire ses romans, notamment « Le visage émerveillé », paru en 1904. Après tout comme l’a écrit un de ses lecteurs, avec ses poèmes :
Il semblait qu’Anna redonnait le goût de la poésie à un public lassé de tous les excès, comme de tous les conformismes, issus de Parnasse, du symbolisme et du naturalisme.
Et puis, avec Anna de Noailles, c’est l’occasion de partir avec Proust, qui l’admirait beaucoup, à la recherche du temps perdu et de ressentir à nouveau l’atmosphère d’une époque complètement disparue.
Nélida, de Marie d’Agout, femme de lettres alias Daniel Stern (1805-1876)
Marie d’Agout ne nait véritablement qu’avec sa liaison passionnée avec Franz Liszt. On a peine à imaginer aujourd’hui ce qu’a pu être cette liaison avec un pianiste virtuose unanimement reconnu par ses contemporains et une femme de la haute société qui quitte tout, mari et enfant, pour le suivre. L’affaire, qui fit naturellement grand bruit, débuta en 1833 et dura jusqu’en 1844.
Ce n’est qu’après sa rupture avec Franz Liszt que Marie d’Agout devint femme de lettres sous le nom de Daniel Stern. De sa liaison, elle aura trois enfants, dont la célèbre Cosima qui épousera Richard Wagner.
Son roman Nélida, anagramme de Daniel, du nom d’un de ses trois enfants mort de tuberculose, paru en 1846 et qui est sa première œuvre publiée, est largement inspiré de cette passion. D’abord, partagée, c’est pour Marie d’Agout que Franz Liszt composera, notamment, ses pièces pour piano « Années de pèlerinage« , puis, source de déchirements.
Outre ses romans, Marie d’Agout, que n’aimait guère Victor Hugo, sans doute était-elle trop libre pour lui, a écrit, entre autres, deux ouvrages remarquables qui illustrent aussi son engagement républicain « L’histoire de la révolution de 1848 » et « Essai sur la liberté« .
Pour en savoir plus sur Marie d’Agout, on peut lire la très belle biographie que lui a consacré Marie Octave Monod, co-fondatrice avec Marie Bonnet, de l’association des femmes diplômées des universités.
L’inconstante, de Marie de Régnier, femme de lettres, alias Gérard d’Houville (1875-1963)
Marie de Régnier est la fille de l’académicien José Maria de Héredia et l’épouse de l’académicien Henri de Régnier. Elle se marie avec ce dernier pour éponger les dettes de son père bien qu’elle préfère Pierre Louÿs, avec lequel il est en compétition – Marie est très belle et très libre – et dont elle deviendra la maîtresse attitrée. C’est en quelque sorte le deal !
Curiosa, un film réalisé par Lou Jeunet et sorti en 2019 avec Noémie Merlant dans le rôle de Marie de Régnier en retrace brillamment l’histoire, celle de Marie de Régnier et celle du cercle d’hommes et de femmes de lettres dans lequel elle évolua.
L’inconstante est son premier roman qu’elle publia en 1903 sous la signature de Gérard d’Houville. Elle en écrivit 16 au total de 1903 à 1946. A ceux-ci, il faut ajouter 2 recueils de nouvelles, 2 livres pour la jeunesse, 3 recueils de poésie et 9 pièces de théâtre, sans compter les nombreux articles parus dans différents journaux et revues.
En bref, comme s’est plu à le rappeler Robert Fleury qui lui a consacré une très belle biographie, justement sous le titre de L’inconstante, Marie de Régnier est l’illustration parfaite d’une :
évasion dans le lyrisme de la Belle époque
Les premiers vers de son poème « La solitude des femmes » en donne d’ailleurs un bel exemple :
As-tu peur ? Te voici seule avec le silence …
Aucun souffle … Aucun pas … Nulle voix et nul bruit …
Seule comme une fleur que nul vent ne balance,
Seule avec ton parfum et ton rêve et la nuit.
Emergence de la femme de lettres
A noter pour finir, que de Germaine de Staël à Marie de Régnier, de la Révolution à la Belle Epoque, les femmes écrivains, un temps corsetées dans les conventions issues de la Révolution, malgré les coups de butoir d’une Olympe de Gouges, parviennent quand même à s’en libérer, au moment où la République triomphe. Cela dit, surtout quand elles sont d’un milieu aisé. Elles rejoignent alors leurs devancières de l’Ancien Régime et tiennent des salons dont l’influence n’a rien à leur envier.