L’irruption des intelligences artificielles évoluées et toujours plus performantes affolent les rédactions et pas seulement celles des journaux spécialisés. C’est que l’IA 3.0 capable d’écrire n’importe quel texte à la demande, ça y est, ça existe ! Que vont devenir dans ce nouveau contexte les pauvres auteurs déjà bien malmenés par les éditeurs, ne vont-ils pas être remplacés à terme ? Le fait est que les différences de qualité entre des textes écrits par une IA et ceux écrits par beaucoup d’auteurs s’amenuisent jour après jour. Au point que l’apport de l’auteur utilisant les services d’une IA se réduit de plus en plus à celui de sélectionner les paramètres à lui donner. Mais, alors dans ce cas, à qui appartiennent les droits d’auteur ?

C’est quoi les droits d’auteur ? 

C'est quoi les droits d'auteur ?
C’est quoi les droits d’auteur ?

Un petit rappel n’est pas inutile, même si tout auteur croit savoir de quoi il s’agit. Donc les droits d’auteur, c’est ce qu’un éditeur donne à un auteur en échange de l’œuvre qu’il lui remet en contrepartie de la cession de ses droits. 

Bon, mais les choses ne sont pas, en vérité, aussi simples. Pourquoi? Parce que ce que cède un auteur à un éditeur peut se décomposer en plusieurs parties. Pour faire court, les juristes distinguent ce qui relève de la commande de l’œuvre de ce qui relève de son exploitation. Ce n’est pas tout à fait pareil. 

De sorte, par exemple, que l’à-valoir versé parfois au moment de la signature d’un contrat d’édition peut s’analyser juridiquement comme un prêt que l’éditeur consent à l’auteur. Tiens donc !

Compliquons encore un peu tout ça. A supposer qu’une IA bien « drivée » par l’auteur contribue de manière significative à la création de l’œuvre par l’auteur, qu’est-ce qu’il peut réellement protéger ? Car c’est bien le champ couvert par cette protection qui détermine les limites de la propriété qu’il cède et les droits qu’il peut en retirer.

Eh bien, une récente décision du Copyright Office américain, datant du 21 février 2023, vient de mettre le feu aux poudres. 

Le travail d’une IA peut-il générer des droits d’auteur ?

Le travail d'une IA peut-il générer des droits d'auteur ?
Le travail d’une IA peut-il générer des droits d’auteur ?

La question est d’importance.  Car, enfin, imaginons qu’on demande à une IA  ultra perfectionnée; c’est pour bientôt, dit-on;  d’écrire un super livre qui se vende super bien, grâce aux super paramètres qu’on lui aura fournis; il faut quand même travailler un peu;  c’est le « pied » non ?

C’est même l’expression pure de l’entreprise bien menée, celle où on obtient le maximum de profits avec le minimum d’efforts ou de charges.  Las, si l’on comprend bien le sens  de la décision du Copyright Office US, il semblerait que non. 

Comment un copyright peut-il protéger des droits d’auteur ?

Mince alors, où est donc le problème ? Le copyright, c’est comme les droits d’auteur, non ! Ben, plutôt, oui et non ! Tout le monde connaît bien la formule accompagnée du petit symbole c, inscrit dans un cercle,  signifiant « Tous droits réservés  » ou « Toute reproduction interdite ». 

Là on comprend sans peine que l’œuvre est protégée. Oui, mais protégée comment ? Avec un copyright, c’est l’œuvre stricto sensu qui est protégée, pas l’auteur en tant que tel. Bof, et alors ? Dans un cas, on ne prend en compte que la protection économique de l’œuvre, dans l’autre, on y ajoute son « esprit ». La belle affaire !

Les auteurs qui s’estiment trahit plus souvent qu’à leur tour dans la reproduction de leur œuvre apprécieront. Pas sûr qu’on entende leur plainte dans les pays anglo-saxons, pays où règne le copyright.

Rappel de l’affaire Zaria of the dawn. 

Cette différence fondée sur la réalité économique de l’œuvre apparaît nettement dans la récente affaire de copyright touchant une bande dessinée créée par Kristina Kashtanova. 

La particularité de « Zaria of the dawn », c’est le nom de la BD en question, c’est que toutes les images ont été réalisées par l’IA Midjourney, à laquelle son auteur s’est simplement contenté de fournir les paramètres nécessaires.   

Dans un premier temps, l’office américain de copyright a inscrit sur son registre la totalité de l’œuvre conformément à la demande de l’auteur. Textes et images compris, donc. On est le 15 septembre 2022. Mais, voilà, quelques semaines plus tard, l’office se rend compte que les images de l’œuvre protégée n’ont pas été créées par son auteur, mais par une IA. 

Il est donc revenu sur sa première décision et a produit, le 21 février 2023,  un nouveau certificat de dépôt au bénéfice de Kristina Kashtanova. Désormais, disent ses rédacteurs :

Nous sommes parvenus à la conclusion que Mme Kashtanova est l’autrice des textes de l’œuvre, mas aussi de la sélection, de la coordination et de l’organisation de éléments écrits et visuels de l’œuvre. 

Mais, c’est pareil !  dites-vous. Humm, pas tout à fait. Comme le précise l’office étasunien, un peu plus loin dans son courrier :

Les images générées par la technologie Midjourney ne sont pas le fruit d’une création humaine.

Conséquence : n’importe qui peut utiliser, une par une, les images produites par Midjourney. Elles ne sont pas couvertes par le copyright. Evidement, Mme Kashtonova n’est pas contente. Elle a donc fait savoir que :

Ses avocats évaluent les suites possibles pour expliquer au Copyright Office que chaque image produite par Midjourney est l’expression directe de (sa) créativité et qu’elles peuvent donc être couvertes par le copyright. 

On lui souhaite bon courage. D’autres affaires du même type actuellement en cours, comme celle impliquant l’ingénieur Stephen Thaler ne sont guère encourageantes pour reconnaître la part de l’IA, cette fois en tant que telle, dans une création.

Prudence des plateformes spécialisées

En tout cas, les plateformes spécialisées dans la vente d’images, comme, par exemple, Getty Images, se refusent à mettre des images générées par des IA dans leur catalogue. « Because » gros problèmes de droits d’auteur potentiels. Plus même. Getty Images est en procès avec Stability IA qui s’est servi gloutonnement dans son catalogue pour générer des images composites. 

Position de la France avec le CSPLA

En France, on réfléchit à cette question depuis un moment déjà. Au moins depuis la parution du rapport du conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) rendu public en 2020. 

Pour les auteurs du rapport, Alexandra Bensamoun, Joelle Farchy, Paul François Schira, les problèmes sont multiples. Ils vont de l’utilisation des algorithmes pour faire des recommandations jusqu’aux droits d’auteur.

Sur ce dernier point, s’ils n’écartent pas l’idée d’une modification appropriée des droits d’auteur pour y inclure les créations de l’IA, ils ne voient pas comment une telle intégration pourrait se faire dans un cadre autre qu’international. 

Vu les récentes décisions de l’US Copyright Office, c’est pas demain la veille. Bref, ça phosphore à tous les étages. Alors que peut-on faire en attendant ? 

Comment protéger ses droits 

Comment protéger ses droits
Comment protéger ses droits

Cela dit, la protection des droits d’auteur est de plus en plus nécessaire, même si  la protection ne préjuge pas de la réalité de la propriété. Et de fait, c’est toujours utile de faire savoir que ce que l’on a écrit, ou dessiné, est protégé. Certes, par principe, tout auteur relève de l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) lequel dispose que : 

L’auteur d’une œuvre  de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. 

Dont acte. Mais, reste à le prouver.   » – Ah là là en voilà une idée qu’elle est bonne ! dit le plagiaire patenté avant de s’emparer de l’idée en question. – Oui, mais cette idée est à moi, répond l’auteur présumé. – Ah, bon répond l’autre, c’est écrit où ? » Et voilà le tour est joué.

Si l’auteur présumé n’a pris aucune mesure de protection de son idée, même la plus sommaire, il aura bien du mal à prouver l’existence de la propriété qu’il revendique. Qu’on pense, par exemple, pour en comprendre les conséquences aux tribulations ayant entouré la naissance de Facebook.

L’idée en est venue d’abord à Aaron Greenspan avant d’être développée par Marc Zuckerberg. Qui donc est devenu milliardaire avec cette idée ? Pas celui qui l’a eu en premier, en tout cas. Comme il ne l’avait pas protégée. il ne lui reste plus qu’à batailler sans fin pour faire reconnaître ses droits.

Les différentes formules de protection d’une œuvre de l’esprit 

Les histoires à la Facebook sont d’autant plus dommageables que la protection d’une œuvre de l’esprit ne nécessite pas des effort surhumains, ni des dépenses extraordinaires.  Non, la principale difficulté à surmonter consiste tout simplement  à être convaincu que son œuvre peut finalement valoir quelque chose.

Pas facile à faire quand on ne cesse de recevoir des réponses négatives suite à l’envoi de son manuscrit à de multiples éditeurs. Et encore, quand ils veulent bien répondre au bout de quelques mois !

Mais bon, passons. Quoi qu’il advienne, il faut rester optimiste et on peut donc protéger son œuvre à moindre frais  avec par exemple :

  • L’envoi d’un courrier recommandé à soi-même.
  • Ou encore, et c’est gratuit, l’envoi à soi-même d’un mail avec son œuvre en pièce jointe.
  • Plus sophistiqué, mais c’est très bon marché et c’est officiel, on peut acheter une enveloppe Soleau à l’INPI.
  • Bon, on peut faire plus « dur », si on croit avoir trouvé l’idée du siècle, et faire un dépôt auprès d’un notaire ou dans une société d’auteurs comme la Société des gens de lettres ( SGDL).
  • Ah, et tiens, si on veut faire « moderne », on peut enfin utiliser les services d’une société de dépôt en ligne utilisant la technologie de la blockchain. Certaines, comme Edith et nous, propose, outre l’enregistrement du dépôt de l’œuvre, la mise en contact avec un certain nombre d’éditeurs partenaires. Evidemment, ce n’est pas gratuit. Mais, l’abonnement basique reste supportable. 
  • Etc.

En bref

Quand on écrit une œuvre et qu’on a l’intention de la publier, c’est faire preuve du bon sens le plus élémentaire que de la protéger a minima. Sans s’occuper, dans l’immédiat, de ce qui peut revenir à une IA ou pas. On verra bien. 

Cette question s’ajoute aux autres questions, du même ordre juridique, qui ne peuvent manquer de se poser à tout auteur. Parmi ces autres questions, rappelons toutes celles qui se rapportent à la liberté d’expression et à ce qu’il est licite, ou pas, d’écrire. 

Ce dernier point comporte tout ce qu’il convient de savoir pour un auteur et qui concerne, par exemple, le droit de citation et les dispositions légales luttant contre toute forme de discrimination.

Evidemment, on peut s’attendre à ce qu’un contrat d’édition présente plus de garanties dans ce domaine que n’importe quel autre. C’est oublier que la plupart des plateformes spécialisées dans l’autoédition ont aussi des comités de lecture dans lesquels on peut trouver aussi des lecteurs de sensibilité

Sauf qu’au final, dans ce cas, la décision de publier, ou non, appartient toujours à l’auteur qui s’autoédite. Et comme un auteur averti en vaut bien deux, c’est encore mieux.

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