Quelles sont les femmes de lettres du XXème siècle dont on peut considérer que l’œuvre fait partie des  grands classiques de la littérature française ? Rappelons que la notion de « classique  » est éminemment subjective. Elle dépend largement de l’histoire de la littérature telle qu’elle est écrite par les spécialistes.

Or qu’est-ce qui préside à leurs choix de retenir telle œuvre et d’exclure telle autre ? Souvent, mais heureusement pas toujours, l’air du temps dans lequel ils baignent. Quand ce n’est pas tout simplement la manifestation d’un pur conformisme ! Certes, la sélection d’œuvres classiques proposée ici reflète ces choix, par la force des choses, mais certaines œuvres sont de toute façon par elles-mêmes incontournables. Avec le soutien, ou pas, des critiques. Et d’autres, quant à elles, méritent bien d’être tirées de l’oubli où elles ont pu être reléguées bien à tort.

Quant aux œuvres des femmes de lettres du XXIème siècle, il est encore trop tôt pour savoir lesquelles mériteront de passer à la postérité. En tout cas, l’attribution d’un prix, si prestigieux soit-il, ne constitue en rien une garantie dans ce domaine. Qui se souvient encore, sans être cruel, par exemple, de Vintila Horia, lauréate du Prix Goncourt en 1960  ? Ou de Pascale Roze, lauréate du même prix en 1996 ? 

Le blé en herbe, de Colette (1873 – 1954)

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Là, il n’y a pas photo ! Indiscutablement, Colette fait partie des femmes de lettres  classiques reconnues par tous, mais, de plus, son roman « Le blé en herbe » peut être aussi considéré, à juste titre, comme le classique des classiques des amours entre adolescents. Il fait partie de ces livres que les prof de français abordent à un moment ou  un autre avec leurs élèves. Sans surprise, il est l’objet d’un grand nombre d’analyses. Toutes plus savantes les unes que les autres.

Mais, au fait, qui était Colette ? La question est d’importance car la plupart de ses romans sont de nature autobiographique. De ce point de vue, on peut sans doute dire que Colette est, d’une certaine façon, une des premières à avoir pratiqué l’autofiction. Et d’évidence, la source d’inspiration du « blé en herbe » est sa propre histoire avec Bertrand de Jouvenel, le fils de son second mari. Comment ne pas voir, en effet, dans le personnage de Mme Dalleray, le  double romanesque  de Colette ?

Colette, telle qu’en elle-même

D’abord, à la différence de ses devancières en littérature, Colette ne s’est engagée en rien pour quelque cause que ce soit.  Ni féministe, ni politique. Aux prises de position, aux grandes déclarations, elle a préféré se battre pour vivre sa vie comme elle l’entendait. Sexuellement, sentimentalement et professionnellement. Et pour y parvenir, elle a osé prendre tous les risques. Sans craindre aucun scandale.  

Chaque fois qu’on a cherché à lui en imposer, elle s’est libérée de ces contraintes. Libre et indépendante, elle s’est mariée trois fois, a aimé autant qu’elle a pu, jusqu’au soir de sa vie, s’est donnée en spectacle dans des cabarets, a écrit  un nombre  considérable de romans et d’ouvrages divers et a su, néanmoins, restée fidèle en amitié.

Colette, un monument de la littérature française et une des meilleures de ses femmes de lettres

Si on ne retient que cet aspect pour qualifier Colette d’écrivain illustre, on peut dire qu’elle a cumulé les plus grands honneurs que peut recevoir un écrivain. Ceux de la République qui lui a conféré les plus hauts grades de la légion d’honneur et lui a organisé des funérailles nationales après son décès.  

Ceux aussi de la République des lettres qui lui a permis de rencontrer et de fréquenter les plus beaux esprit de son temps et de présider de 1949 jusqu’à sa mort, la prestigieuse académie Goncourt.

Pour en savoir plus sur Colette, on peut lire le petit livre que lui a consacré Antoine Compagnon dans la collection « un été avec. »

Les chansons et les heures, de Marie Noel (1883 – 1967) 

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On peut passer toute sa vie dans sa maison natale à Auxerre, et ne jamais se marier, ni avoir d’aventure amoureuse, ni connaître quelque aventure que ce soit d’ailleurs, et pourtant, être reconnue comme une des plus grandes poétesses de son temps par ses nombreux correspondants, dont le général de Gaulle. D’une de ses œuvres, ce dernier lui écrira, dans une lettre du 10 décembre 1961 :

Vos chants d’arrière-saison, ils m’ont accompagné, touché aux larmes, ennobli tout au long de ce Dimanche

Les chansons et les heures constituent une des œuvres maîtresses de Marie Noel. leur recueil  donne envie d’aimer écrit un de ses meilleurs critiques. Ses qualités de poétesse s’y manifestent avec force et naturel. Dans les vers qui suivent, on peut entendre le tic-tac d’une horloge comtoise plongée dans la pénombre d’une vieille demeure auxerroise :

Quand il est entré dans mon logis clos,

J’ourlais un drap lourd près de la fenêtre,

L’hiver dans les doigts, l’ombre sur le dos …

Sais-je depuis quand j’étais là sans être ?

Admirable, n’est-ce pas ? Cela dit, ces vers, surtout le dernier, renvoient d’une certaine façon à cet autre ouvrage, beaucoup plus tourmenté, d’évidence mystique, que sont ses « Notes intimes« . Là, s’y livre un combat féroce entre sa foi et son scepticisme. 

Marie Noël a été couronnée par de nombreux prix et nommée commandeur des arts et des lettres, ainsi que chevalier de la légion d’honneur. Et parmi toute les femmes de lettres de son époque, elle a été encensée par les plus grands intellectuels de celle-ci. Citons, entre autres,  Montherlant, Mauriac, Cocteau, Valery. Marie Noel est morte en odeur de sainteté et une enquête est en cours en vue de sa béatification

Sa maison a été labellisée maison des illustres. La société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne en assure la conservation. De même, d’ailleurs, que celle de son œuvre. Comme quoi on peut atteindre le sommet des femmes de lettres, tout en restant chez soi et sans chercher à choquer personne. 

Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar (1903 – 1987)

PHOTO L’ILE DES MONTS DESERTS DANS LE MAINE USA  – coollibri.com

Avec Marguerite Yourcenar, on entre de plain-pied dans le XXème siècle. Et autant dire, d’emblée, que son premier roman « Mémoires d’Hadrien« , qu’elle publie en 1951, est une œuvre magistrale. Le livre est un roman historique qui commente, sous la forme d’une longue lettre,  adressée par l’empereur Hadrien à son petit-fils Marc-Aurèle, sa vie et son œuvre.

On est là au début du 2 ème siècle après JC. Rome n’est pas loin de son apogée, dans tous les domaines. Les mémoires d’Hadrien sont ainsi en quelque sorte, non pas un roman d’apprentissage, mais un roman de la maturité individuelle et collective. Ils s’adressent à Marc-Aurèle qui finira le siècle et restera dans l’histoire comme un empereur philosophe, disciple d’Epictète et de son stoïcisme. Ses pensées pour moi-même sont une œuvre majeure de l’antiquité et toujours d’actualité.

Quid de Marguerite Yourcenar, parmi les femmes de lettres ?

Yourcenar n’est pas le vrai nom de Marguerite, mais l’anagramme de  Crayencour, à une lettre près. En effet, Marguerite est née Marguerite Cleenewerck de Crayencour. A Bruxelles. Sa famille fait partie de la noblesse belge, par sa mère, et de la grande bourgeoisie française, par son père. Elle débute sa carrière littéraire en 1929 avec son premier roman, Alexis ou le traité du vain combat.

Après avoir mené une vie de bohème pendant près de dix ans, elle rencontre Grace Frick, une universitaire qui deviendra sa traductrice privilégiée, puis s’installe avec elle aux Etats-Unis, sur l’île des Monts Déserts dans le Maine. Elle y résidera jusqu’à sa mort. Avec Jerry Wilson, son secrétaire, après la mort de Grace Frick en 1979. Entre-temps, elle est élue à l’Académie française en 1980, devenant ainsi la première femme à y siéger.

Son œuvre est prolifique. Elle comprend pas moins de cinq recueils de poésie, treize romans, trois volumes de mémoires, douze essais divers, cinq pièces de théâtre, onze traductions, quatre volumes de correspondance, sept livres d’entretien, plus quelques discours, dont celui de sa réception à l’Académie française, où elle succède à Roger Caillois, l’homme des pierres.

Signalons entre autres, outre, bien sûr, les Mémoires d’Hadrien, L’œuvre au noir, roman paru en 1968, fruit d’une longue maturation. Ou encore, Mishima ou la Vision du vide, essai paru chez Gallimard, en 1980. A noter, enfin que l’ensemble de son œuvre a été publiée en deux volumes dans la prestigieuse collection de la Pléiade.

L’amant, de Marguerite Duras (1914-1996), nom de plume de Marguerite Donnadieu

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PHOTO SAIGON 1930 – coollibri.com

L’Amant lui a permis de gagner le prix Goncourt en 1984. Ce n’est pas son premier roman, mais celui qui va lui donner une immense notoriété. A bien des égards, il s’agit d’une autofiction. Comme Le blé en herbe de Colette. Il est, en effet, largement inspiré de sa propre histoire et de la découverte de sa sensualité dans les bras d’un autochtone pendant son adolescence à Saïgon. L’amant n’est pas seulement le récit d’une relation amoureuse, mais aussi celui des relations difficiles avec une mère, avec un frère et d’un contexte colonial qui se délite.

Une très grande réussite dont il a été tiré une très belle adaptation cinématographique par Jean-Jacques Arnaud en 1992. Laquelle, il faut bien le dire, n’a pas plu à Marguerite Duras. D’où l’écriture d’un autre roman, censé recadrer les choses, intitulé L’Amant de la Chine du Nord, paru en 1991.

Le style Durassien

Il faut attendre le milieu des années 50, pour que ce style s’affirme. Marguerite Duras a déjà écrit à ce moment là six romans et elle vécu plusieurs vies pendant la guerre, de la collaboration à la résistance, et inversement, selon les occasions. Puis, après guerre, militante au PC et bientôt exclue, mariée 2 fois, etc.

A ces expériences s’ajoute sa formation juridique qu’elle mène jusqu’au bout et l’obtention d’une  licence et d’un DES, plus un goût marqué pour les mathématiques. Tout cela finit par façonner un style particulier.  Son introducteur dans la collection La Pléïade, Gilles Philippe, dira de son écriture que :

C’est une écriture qui veut rendre compte de la vitesse. Cela correspond aussi au travail de destruction de la phrase, à une phrase très cumulative ou à des phrases très émiettées, peu structurées et dont l’Amant donne une illustration.

Ajoutons y le choix d’une narration qui se fait souvent à la troisième personne et lui donne une tonalité très particulière.

Marguerite Duras en bref 

Au total, Marguerite Duras, c’est une trentaine de romans, pas mal de recueils  de textes divers, plus d’une vingtaine de pièces de théâtre, des entretiens, des scénarios et des films. En plus de l’Amant, on peut lire aussi Moderato Cantabile, Le ravissement de Lol V. Stein ou encore Ecrire.

Bonjour tristesse, de Françoise Sagan (1935-2004), nom de plume de Françoise Quoirez

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Bonjour tristesse est le premier roman de Françoise Sagan. C’est l’histoire d’une ado, Cécile, qui découvre l’amour et ses « filets ». Le roman fait scandale. On est en 1954, Françoise Sagan a dix-huit ans. Quasiment l’âge de son héroïne. Elle devient célèbre du jour au lendemain. C’est une jeune fille « gâtée pourrie » et elle se comportera comme telle tout au long de sa vie qu’elle finira ruinée.

Infernale à l’école, elle compense en lisant énormément. Gide, Camus, Rimbaud, et d’autres, du même poids, à peine adolescente. Inscrite à la Sorbonne, mais préférant les boîtes de nuit branchées de l’époque, elle commence à écrire son premier roman sur une table du café Le Cujas. L’incipit du roman est le suivant :

Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.

A dix-huit, ce n’est pas mal ! Et avec le succès, de Bonjour Tristesse, mais aussi de son deuxième roman, Un certain sourire, l’argent qui va avec, Françoise Sagan devient une sorte de James Dean au féminin. Bref, Françoise Sagan, c’est toute l’insouciance d’une époque ! Bien difficile à imaginer aujourd’hui.

A noter pour la petite histoire que le nom de Sagan vient d’un personnage de Proust, la princesse de Sagan, épouse de Boson de Talleyrand-Périgord. Déjà tout un programme !

Mémoires d’une jeune fille rangée, de Simone de Beauvoir (1980-1986)

PHOTO SARTRE ET SIMONE DE BEAUVOIR - coollibri.com
PHOTO SARTRE ET SIMONE DE BEAUVOIR – coollibri.com

Difficile de ne pas inscrire le nom de Simone de Beauvoir dans une liste consacrée aux femmes de lettres « classiques ». Indubitablement, avec Jean-Paul Sartre, elle a formé un couple mythique et, d’une manière générale, on peut la considérer comme une des plus grandes mémorialistes du XXème siècle. 

Les mémoires d’une jeune fille rangée constituent le premier volume de ses mémoires qui se déroulent en six volumes, au total, de 1949, date de parution du premier, à 1981, date de parution du dernier, « La cérémonie des adieux« . L’ensemble a été publié en 2018 dans la collection de la Pléiade

Comme l’a très bien dit, François Nourissier, et ce qui fait la grande valeur de ces mémoires :

Ses souvenirs sont les nôtres ; en parlant d’elle, Simone de Beauvoir nous parle de nous.

D’autant qu’elle y parle aussi de la genèse de tous ses ouvrages, dont le fameux essai « Le deuxième sexe » qui a marqué toute une génération et est devenu la bible des féministes contemporaines avec sa phrase fétiche :

On ne nait pas femme, on le devient.

On peut également citer  son roman « Les mandarins » qui a obtenu le prix Goncourt en 1954. Cela dit, à l’image de beaucoup d’intellectuels de son temps, à commencer par Sartre lui-même, Simone de Beauvoir n’a pas toujours eu le beau rôle.

Son soutien à Gabriel Matzneff en 1977, ses relations équivoques avec certaines adolescentes de sa classe de philo, entachent son souvenir et renvoi au sempiternel débat sur la cohérence entre l’œuvre et la vie de l’auteur de l’œuvre.

Ce qu’il faut retenir des femmes de lettres françaises des siècles passés

Les autres titres plus anciens, dont on a fait la liste par ailleurs, écrits par des femmes de lettres et qui sont passés à la postérité n’épuisent pas, ô combien, tous les titres écrits par toutes les femmes de lettres, connues, ou peu connues, au fil des siècles. Pour ne considérer, que le XXème, aux six œuvres présentées ci-dessus, on aurait pu en ajouter bien d’autres. 

Citons, notamment, « Les fruits d’or« , de Nathalie Sarraute (1900-1999), figure du Nouveau Roman, née Natalia Tcherniak, « Monsieur Vénus« , de Rachilde (1860-1953), de son vrai nom Marguerite Eymery, auteur de plus de soixante-cinq ouvrages. Ou encore, le roman peu connu de Louise Weiss, « La marseillaise« .

Ce qui se dégage de toutes ces grandes figures de la littérature française, c’est que toutes ont lutté, chacune à leur manière, pour faire reconnaître le droit aux femmes de vivre leur vie comme elles l’entendaient et au moins autant que les hommes.

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