Comment la lecture d’auteurs humanistes peut-elle influencer notre manière d’écrire ?


Sait-on encore ce qu’est vraiment l’humanisme ? La notion est tellement galvaudée qu’elle figure obligatoirement au rayon des tartes à la crème de tout discours sur les droits de l’homme. Mais, peut-on réellement réduire l’humanisme à un tel discours ou à d’autres tout aussi réducteurs ?

En réalité, pour redécouvrir ce qu’est fondamentalement l’humanisme, il convient sans doute de revenir à ses sources et de dégager ses « édifices primitifs », dirait Hyppolite Taine, ceux édifiés par les auteurs humanistes historiques, de toute la gangue de lieux communs qui a fini par les recouvrir. En retrouvant l’éclat des écrits d’origine, nul doute que tout auteur qu’ils vont immanquablement inspirer le traduira dans sa manière d’écrire. Pour son plus grand bénéfice et celui de ses lecteurs.

 

Qu’est-ce que c’est que l’humanisme ? 

Pour faire simple, l’humanisme est un ensemble d’idées qui sont nées et qui ont connu une large diffusion, à un moment donné en Europe. Et plus particulièrement dans les pays européens les plus avancés à ce moment-là. Autrement dit, on veut parler, principalement, de l‘Italie et de la France, entre le 14ème et le 16ème siècle.

Période qui s’intercale entre le Moyen Age et l’époque Baroque ou Classique et qu’on a appelé, à juste titre, la Renaissance

 

Gutenberg
Gutenberg

 

L’humanisme est donc à la base une renaissance.

Renaissance, parce qu’elle résulte de la redécouverte de tous les écrits de l’antiquité gréco-romaine conservés dans la bibliothèque impériale de Constantinople, jusqu’à la chute de la capitale de l’Empire romain d’Orient, en 1453, de l’invention de l’imprimerie, peu de temps après, en 1455, par Gutenberg, et de leur diffusion. Que signifient précisément ces évènements sans lesquels l’humanisme n’aurait pas pu prendre son envol ?

Albert Cim qui a écrit un livre fameux sur « Le livre », aujourd’hui encore une référence pour tous les bibliophiles, dit très clairement dans celui-ci, au tome 1, que :

Deux autres grands évènements vinrent comme l’imprimerie, modifier l’état des connaissances humaines et en provoquer l’accroissement : la prise de Constantinople par les turcs, en 1455, qui fit refluer en Italie et dans tout l’Occident quantité de manuscrits grecs, et, en 1464, l’établissement des postes en France par Louis XI qui, d’abord créées pour le service exclusif du roi et de son gouvernement, ne tardèrent pas à se généraliser, ce qui permit à tous les érudits, travailleurs et chercheurs, aux libraires, imprimeurs, etc., de correspondre entre eux, d’entretenir ensemble des relations plus régulières et plus fréquentes. 

La citation est longue. Mais, elle souligne bien ce que sont les racines de l’humanisme, des livres et des auteurs devenus soudain accessibles pour le plus grand nombre. Pour retrouver des évènements aussi considérables pour l’histoire et la circulation des idées, il faudra attendra la généralisation d’Internet. Plus de 500 ans, plus tard !

 

Les auteurs grecs et latins au coeur de l’humanisme 

On a tendance à l’oublier, mais les auteurs phares de la Renaissance, mais aussi des artistes comme, par exemple, Léonard de Vinci, Botticelli ou encore Raphaël, se sont nourris des idées développées par les grands auteurs grecs et latins. Et le mot humanisme a été forgé à partir du mot d’origine latine « humanitas ». Il voulait simplement dire « étude des langues grecques et latines ». Autrement dit, « humanitas » qui a donné « humanités » et « faire ses humanités », voulait d’abord dire être capable de traduire les langues anciennes, dite mortes.

Et, de surcroît, être capable de s’imprégner de la philosophie et de la culture qui en émanaient. 

 

BUSTE PLUTARQUE
Plutarque

 

Ce qu’il faut savoir, c’est que ces auteurs grecs et romains recherchés par les auteurs de la Renaissance ont abordé tous les genres littéraires et tous les domaines où l’intelligence et la réflexion pouvaient s’exprimer sans crainte et permettre l’accroissement des connaissances. A la très grande différence de la période moyenâgeuse dominée par la scholastique et les sujets imposés ou interdits.

Parmi les auteurs les plus fréquemment cités, entre autres, par les lettrés de la Renaissance, on trouve, par exemple, Les vies des hommes illustres, de Plutarque, L’Illiade et l’Odyssée, de Homère, Les satires, de Horace, ou encore, Les trois dialogues sur l’orateur, de Cicéron. Avec le style propre à chacun, ces auteurs abordent tous les thèmes se rapportant, notamment, à l’histoire, la poésie, la littérature, la philosophie, les sciences naturelles, etc. La richesse de leur réflexion est telle qu’elle bouleverse, de manière irréversible, les fondements culturels de la société médiévale.

 

Traduction des auteurs antiques par les auteurs humanistes fondateurs 

Parmi tous ces auteurs, leurs traducteurs de la Renaissance, on peut même dire leurs « passeurs », auront, comme le signale Albert Cim, leurs prédilections particulières. C’est-à-dire les ouvrages dont ils ne se séparaient jamais et qu’ils relisaient plusieurs fois. Ainsi, nous dit-il, du premier d’entre eux et le plus achevé, Montaigne (1533-1592), auteur des célèbres « Essais » :

Il estimait Les Géorgiques de Virgile (…). Et, Lucrèce, Catulle et Horace lui semblaient être, avec Virgile, les quatre meilleurs poètes latins. Il affectionnait aussi particulièrement, Lucain et Térence, Sénèque et Cicéron, (mais aussi), Diogène Laerce, César et Salluste. 

 

MONTAIGNE
Montaigne

 

Beaucoup moins connu, et déjà au bord de l’époque baroque, le savant Juste Lipse (1547-1606), disait lui, toujours selon Albert Cim :

Je n’admire que trois hommes, Homère, Hippocrate et Aristote. 

Ce ne sont là que les florilèges de deux auteurs typiques de la période, mais on peut en trouver de comparables avec ces autres grandes figures qui ont brillamment illustré l’humanisme des origines telles que, par exemple, la liste n’est pas exhaustive : 

  • Guillaume Budé (1467-1540).

 

  • Erasme (1469-1536).

 

  • Lefèvre d’Etaples (1450-1536).

 

  • Rabelais (1494-1553).

 

  • Clément Marot (1496-1544).

 

  • Etienne Dolé (1509-1546).

 

  • Joachim du Bellay (1522 -1560).

 

  • Etienne de la Boétie (1530-1563).

Sans oublier les premiers « passeurs », plus anciens et d’origine italienne, on a vu pourquoi, plus haut, tels que, toujours entre autres, : 

  • Pétrarque (1304 -1374).

 

  • Boccace (1313-1375).

 

  • Pic de la Mirandole (1463-1494).

 

  • Machiavel (1469-1527).

 

Beaucoup de ces auteurs humanistes des premiers temps sont familiers à tout lecteur amoureux des Belles Lettres. 

 

Buts et idéaux de l’humanisme

L’homme, comme valeur centrale

La première chose à considérer, c’est que l’humanisme des origines, celui de la Renaissance, ne doit pas être confondu avec l’humanitarisme. Qui en découle, certes, comme bien d’autres mouvements, comme les mouvements libertaires, par exemple, mais auxquels il ne peut être assimilé. Par suite, de ce point de vue, la valeur centrale de l’humanisme, c’est l’homme. Avec toutes ses facettes.

 

DISCOBOLE DE MYRON
Discobole de Myron

 

Cependant, lorsque les humanistes font de l’homme la valeur centrale de toute existence, ils heurtent aussi de front la valeur centrale qui domine, alors, la société occidentale depuis plusieurs siècles et qui fait de Dieu, selon l’acception chrétienne, l’alpha et l’oméga de toute chose.

C’est en ce sens, celui d’un changement profond de perspective, du même ordre que celui qui a consisté, à la même époque d’ailleurs, à faire du soleil le centre du système solaire et non plus la terre, que l’humanisme est révolutionnaire. 

Dès lors que l’on fait de l’homme, la valeur suprême, force est de constater qu’il y a bien du fil à retordre pour qu’il soit acceptable, au sens le plus large. De ce fait, les humanistes s’intéressent plus particulièrement à la meilleure façon de l’instruire et à celle de créer un environnement qui soit favorable à cette instruction.

 

Un homme perfectible par une éducation humaniste

  • Elle repose sur deux piliers. Le premier est de favoriser l’apprentissage d’une méthode cognitive et la pratique d’un esprit capable d’exercer une critique argumentée, plutôt que de se contenter de réciter sans faute, comme des mantras, des textes appris par coeur. Ce qui était la base même de l’enseignement scholastique médiéval. A la fois par manque de livres et par la prééminence accordée à une création révélée et non discutable. 

Eduquer, ce n’est pas remplir des vases, mais allumer des feux. 

Dira Montaigne. De son côté, Rabelais affirmera que :

Ignorance est mère de tous les maux. 

Mais aussi que : 

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. 

  • L’autre pilier est l’approche géographique et historique. Les humanistes s’appuient sur les observations de la nature et des voyages, de même que sur les modèles antiques pour nourrir leurs enseignements. 

 

COUVERTURE LES ESSAIS DE MONTAIGNE
Les Essais de Montagne

 

Ainsi des exemples répertoriés par Plutarque, un des auteurs préférés de Montaigne, celui-ci écrit, notamment, à son propos, au Livre II chapitre XXXII de ses Essais : 

 Moy, je considère aucuns hommes fort loing au-dessus de moy, noméement entre les anciens ; et encores que je reconnoisse clairement mon impuissance à les suyvre de mes pas, je ne laisse pas de les suyvre à veue et juger les ressorts qui les haussent ainsin, desquels je n’apperçoy aucunement en moy les semences.

Autrement dit, il ne faut pas craindre de se donner des modèles élevés pour s’élever soi-même, même si cela paraît impossible. Ce qui compte, en effet, c’est la direction prise et la volonté de la suivre.

 

 

Une éducation facilitée par un gouvernement humaniste 

Le mouvement humaniste est né à une époque particulièrement troublée. Par les guerres de religion entre autres, qu’il a d’ailleurs, d’une certaine manière, contribué à attiser, mais pas seulement. En effet, le monde médiéval est un monde de seigneurs, grands et petits, cléricaux ou laïcs, qui luttent en permanence pour accroître leurs possessions et leur héritage.

 

TAPISSERIE LE TOURNOI DE VALENCIENNE
Le Tournoi de Valencienne

 

On dirait aujourd’hui des « seigneurs de guerre ». Il en résulte une instabilité et une insécurité chroniques que les guerres de religion n’ont fait qu’exacerber. Ce n’est évidemment guère propice à la poursuite d’études et à la formation des esprits. D’où de nombreux écrits humanistes pour inciter les puissants à mieux gouverner. 

Une approche pragmatique et non idéologique de la gouvernance humaniste

 

LAURENT II DE MEDECIS
Laurent II de Médecis

 

  • Le plus célèbre d’entre eux est, bien sûr, Machiavel et son livre « le Prince », dédié à Laurent de Médecis et publié en 1532. Inspiré des auteurs anciens, en particulier, Aristote, mais surtout par son expérience pratique, il précise ainsi son intention dans une lettre adressée à Piero Vettori, autre humaniste, en 1527 : 

Moi (…) j’aime plus ma patrie que mon âme et je vous dis ça après l’expérience de ces soixante ans passés, pendant lesquels on a travaillé les questions les plus difficiles où la paix est nécessaire, mais où on ne peut pas abandonner la guerre et avoir sous la main un Prince qui, avec difficulté, peut seulement accomplir l’une ou l’autre. 

Une approche également suspicieuse à l’égard de toutes les formes de pouvoir, même humanistes

  • Cette approche pragmatique des affaires publiques doit néanmoins se doubler d’une autre approche, celle idéaliste, développée, notamment, par Etienne de La Boétie, également célèbre pour son amitié avec Montaigne. Dans son discours « De la servitude volontaire ou le contr’un » écrit en 1574, La Boétie démontre que l’état de servitude ou d’obéissance n’est pas naturel et n’est que le fruit d’une habitude ou d’un accident. Et que donc cette habitude peut être renversée, si le service attendu, celui du Prince, décrit notamment par Machiavel, n’est pas au rendez-vous.

 

STATUE LA BOETIE A SARLAT
Statue d’Étienne de La Boétie.Sarlat-la-Canéda

 

La première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés dans la servitude. (Mais) ajoute-t-il, soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres.

Autrement dit, l’exercice du pouvoir, quel qu’il soit, démocratique ou pas, repose sur des moyens qui ne sont rien sans l’acceptabilité de ceux sur lesquels ils s’exercent. Et cette acceptabilité dépend in fine, largement, pour ne pas dire, entièrement, sur le sentiment que le service attendu de ce pouvoir est rendu ou pas.

 

Manière d’écrire des humanistes

La manière d’écrire des humanistes historiques se caractérise, en particulier, par la prédominance du « je » et par la multiplication des citations latines ou grecques. « C’est moi que je peins », c’est ainsi que Montaigne avertit ses lecteurs pour la première édition des deux premiers livres de ses Essais en 1580.

Ce souci de l’authenticité traverse toute l’oeuvre de Montaigne grâce à l’emploi du pronom « je », mais aussi grâce au choix des thèmes de sa narration centrés sur son vécu et ses opinions. Le tout en français, langue vulgaire à son époque, et sous forme de fragments.

A ces particularités, il convient d’ajouter le recours constant aux auteurs grecs et latins. Qu’il s’agisse des nombreuses citations qui « truffent » ses écrits ou des sentences qui enjolivent les poutres et les solives de sa librairie, Montaigne se réfère constamment aux grands auteurs de l’antiquité gréco-latine.

Ces particularités ne sont pas propres uniquement à Montaigne, on les retrouve, de manière plus ou moins prononcée, chez tous les auteurs humanistes.

 

Les auteurs humanistes modernes français. 

Le chemin réouvert par les auteurs humanistes de la Renaissance ne s’est pas refermé avec eux. Il s’est poursuivi jusqu’à nos jours en prenant ses aises à l’époque de la philosophie des Lumières, dont Voltaire sera un des plus éminents représentants, pour aboutir au vaste panorama offert par les « acteurs » humanistes du monde contemporain. 

Si on s’en tient au courant le plus pur issu de l’humanisme des origines, on retiendra un certain nombre d’auteurs qui ont reçu le Prix Nobel de littérature, plus quelques autres, à qui il aurait pu être aussi attribué.

 

ALFRED NOBEL
Alfred Nobel

 

Pourquoi le prix Nobel de littérature ? Parce que selon la volonté même d’Alfred Nobel, le prix doit récompenser un écrivain ayant rendu de grands services à l’humanité avec une oeuvre ayant fait la preuve d’un puissant idéal. Par ailleurs, quels qu’aient pu être les choix de son jury, il traduit bien aussi, de toute manière, cette volonté de rechercher et de récompenser ce que l’homme peut produire de meilleur pour lui-même. Ce qui est le fondement même de la démarche humaniste.

 

Les auteurs humanistes français ayant reçu le prix Nobel de littérature

La France, avec 15 lauréats sur 224, est le pays le plus récompensé, dans ce domaine, depuis 1901. On y trouve des auteurs connus et d’autres, un peu oubliés aujourd’hui, tels que :

  • Sully Prudhomme (1901).

 

  • Frédéric Mistral (1904).

 

  • Romain Rolland (1915).

 

  • Anatole France (1921).

 

  • Henri Bergson (1927).

 

  • Roger Martin du Gard (1937).

 

  • André Gide (1947).

 

  • François Mauriac (1952).

 

  • Albert Camus (1957).

 

  • Saint-John Perse (1960).

 

  • Jean-Paul Sartre (1964, refusé).

 

  • Claude Simon (1985).

 

  • Jean-Marie Le Clézio (2008).

 

  • Patrick Modiano (2014). 

 

D’autres auteurs humanistes peuvent être ajoutés à la liste des auteurs humanistes modernes, bien n’ayant pas reçu le prix Nobel, mais faisant souvent partie des auteurs classiques incontournables, tels que, par exemple : 

  • André Malraux (1901-1976).

 

  • Charles de Gaulle (1890-1970).

 

  • Raymond Aron (1905-1983).

 

  • Hannah Arendt (1906-1975).

 

  • Michel Onfray (1959- ).

 

Conclusion :

Ce qu’il faut retenir, c’est que l’humanisme est bien autre chose qu’un simple altruisme ou qu’une attitude globalement bienveillante. Il est né dans un contexte troublé et s’est, d’emblée, affiché comme l’idéal de tous ceux pour qui l’homme mérite tous les soins et ne peut être traité comme une quantité négligeable. Comme, par exemple, un simple rouage anonyme d’une collectivité qui le dépasserait et à laquelle il devrait tout. 

Cependant, cette valorisation a un prix. L’homme vu par les auteurs humanistes est un homme réellement éduqué, à l’esprit libre et capable de s’engager, quand il le faut, pour sauvegarder ce qui fait l’essence même des Droits de l’Homme : sa dignité. De ce fait, il ne doit pas se laisse abuser par ce que La Boétie a appelé les « drogueries », c’est-à- dire, par exemple :

Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles et autres drogues de cette espèce (qui) étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie (et) les instruments de la tyrannie. 

 

 

 

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