Quand on parle de passion, on pense quasi immédiatement à la passion amoureuse. Pas toujours, on verra pourquoi un peu plus loin. Revenons à la passion amoureuse. La plupart du temps, au-delà de ce qu’un tel état peut avoir de romanesque, la passion amoureuse va de pair avec une certaine souffrance. Et encore parle-t-on ici d’une certaine souffrance, laissant entendre que cette souffrance peut être seulement modérée. Or ce n’est pas toujours le cas et la passion amoureuse peut prendre une multitude de formes, de la comédie à la tragédie.

Suffisamment en tout cas pour que le thème de la passion amoureuse ait l’objet de l’attention d’un grand nombre d’auteurs. Depuis longtemps, presque depuis que le monde est monde, avec de grandes réussites, devenues des classiques, et de moins grandes, mais néanmoins plaisantes. Mais, est-ce tout ? Ecrire sur la passion est ce nécessairement écrire sur la passion amoureuse. 

La passion amoureuse, une thématique littéraire récurrente

C’est fou ce qu’il y a de grands récits sur la passion amoureuse écrits par des auteurs devenus de vrais classiques. Fins tragiques, fins heureuses, comédies, tragédies, légendes, poèmes, romans, tous les genres littéraires ont servi de cadre à la passion amoureuse. Mais avant d’essayer d’en dresser une typologie sommaire, pour le cas échéant s’en inspirer pour écrire sa propre histoire, c’est quoi exactement une passion amoureuse ?

C’est quoi une passion amoureuse ?

Prenons une définition au hasard. Celle qu’en donne, par exemple, Jean Schmid, dans un numéro de 2008 de la revue Psychothérapies. 

La passion, y écrit-il, est un état psychique dans lequel, pour la personne affectée (sujet de la passion), une certaine personne(choisie par le sujet comme objet de sa passion) est perçue comme la source de tout bonheur possible.

Le problème avec une telle définition, c’est que si elle souligne bien le côté irrémédiable de toute passion amoureuse, elle en fait aussi quelque chose d’un peu en sens unique et finalement d’assez froid par son aspect clinique.  La passion amoureuse ne serait-elle alors qu’une sorte de « maladie » qui toucherait plus particulièrement un des membres du couple amoureux et finalement peu ou pas partagé ?

C’est sans doute aller un peu loin. Retenons seulement que vivre une passion amoureuse est une expérience qui, de toute façon, ne peut pas laisser indemne. Au point même qu’on peut être tenté de s’y refuser. Le bonheur exclusif qu’on en attend pouvant paraître finalement bien aléatoire en contrepartie de ce qu’il exige. Alors pourquoi y cède-t-on quand même ?

Preuve que la question taraude l’esprit des êtres humains depuis sans doute les origines, elle a été traité en long et en large par la littérature depuis la plus haute antiquité et en fournit un des meilleurs thèmes. Gageons qu’il en sera encore de même pour les siècles à venir. Cela dit, attardons nous sur trois de ses manifestations, dont on peut dire qu’elles constituent la base d’une sorte de typologie de la passion amoureuse.

 Peut-on faire une typologie des récits sur la passion amoureuse ?

Les époques ne se signalent pas que par leurs grands évènements, elles se signalent aussi, tiens donc, par les types de passion amoureuse qu’elles privilégient. On peut donc faire correspondre, par exemple,  l’ère élisabéthaine avec Roméo et Juliette, de Shakespeare, le Grand siècle avec Andromaque, de Racine et la fin de l’Ancien régime, avec Paul et Virginie, de Bernardin de Saint Pierre.

La passion contrariée selon Roméo et Juliette

Roméo et Juliette, c’est une pièce de théâtre écrite par William Shakespeare en 1597. On peut la dire emblématique de l’ère élisabéthaine, c’est-à-dire de cette période dominée par la personnalité de la reine d’Angleterre Elisabeth 1ère (1533-1603). C’est une période très féconde pour l’Angleterre qui fait suite aux turbulences du règne précédent, celui de Henri VIII. 

On en retrouve les traces dans l’histoire de Roméo et Juliette. Epoque de passions politiques, de haines familiales, un auteur comme Shakespeare ne pouvait que s’en faire l’écho. Et donc Roméo et Juliette raconte l’histoire de deux adolescents, mais à l’époque les adolescents étaient plutôt considérés comme de jeunes adultes, qui s’aiment d’un amour fou alors qu’ils appartiennent chacun à une famille, Montaigu, pour Roméo et Capulet, pour Juliette, qui se détestent à mort.

L’action se déroule en Italie, à Vérone, plus exactement, et les deux familles se disputent la prééminence sur la ville. Situation courante pour les familles princières de l’époque en Angleterre et déplacée en Italie par commodité, comme on peut l’imaginer. Après le coup de foudre qui réunit les deux amoureux et qui nous vaut la belle scène du balcon,  c’est la descente aux enfers.  Et de quiproquos en malentendus, la tragédie s’installe, bientôt conclue par la mort de l’un et de l’autre. Mort de Juliette qui ressemble d’ailleurs beaucoup à celle d’Antigone, mise en scène en son temps par le tragédien grec Sophocle. 

Bref, la passion amoureuse quand elle est contrariée par des familles ambitieuses peut se conclure par un drame où il n’y a plus que des perdants. Mais quelle belle histoire d’amour !

La passion selon Andromaque, une passion héroïque

Andromaque est un personnage qui traverse la littérature depuis qu’on parle de littérature. Elle apparait pour la première fois dans Homère, puis dans Euripide, Virgile, Benoit de saint Maure, Racine, Baudelaire, Giraudoux, … A quoi donc fait référence Andromaque ? Eh bien à l’amour conjugal et familial en dépit de tout. 

Une histoire datant de l’âge de bronze

Le tout en l’occurrence, c’est la mort d’Hector, premier mari d’Andromaque, fils de Priam, roi des troyens, tué par Achille. On est à l’âge de bronze et l’histoire se déroule au XIIème siècle avant JC. On la connait principalement par les chants de l’Illiade et l’Odyssée. Lesquels ont été composés par Homère quelque 500 ans plus tard. Et cette guerre marquera le début de la fin de toutes les civilisations du pourtour méditerranéen. Premier effondrement occidental avant celui de l’empire romain quelque 1500 ans plus tard.

La passion amoureuse en est un des moteurs. C’est parce que Pâris enlève la belle Hélène, femme de Ménélas, qu’Agamemnon s’en va faire le siège de Troie avec toutes les conséquences que l’on sait.

Une histoire à la fois simple et complexe

Dans sa tragédie en 5 actes, écrites à l’époque du roi soleil en 1667, Racine résume bien la situation. L’intrigue y est d’une simplicité confondante. Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector. On dirait un jeu de billard. Oreste est roi de Mycènes.  Hermione est la fille de Ménélas, roi de Sparte et de la belle Hélène.  Pyrrhus est un des fils d’Achille et le meurtrier d’Astyanax, le fils d’Andromaque et d’Hector qu’il jette du haut des remparts de Troie lors de sa mise à sac. Oreste finira par tuer Pyrrhus et Andromaque, d’esclave redeviendra reine et épousera Hélénus, seul rescapé de la fratrie née de Priam.

Ce que dit Andromaque et ce pourquoi elle est devenue un symbole, c’est que malgré toutes les avanies qu’elle a subies, elle est restée fidèle à Hector et à Astyanax bien qu’étant morts tous les deux. Cela sans jamais céder à son vainqueur et en étant suffisamment forte pour résister aux intrigues de cour, notamment, celles d’Hermione, On comprend que le personnage ait pu inspirer tant d’auteurs. Du moins, à certaines époques.

Une passion romantique, la passion selon Paul et Virginie

Homme de la Révolution, qu’il traversera sans trop de peines, Bernardin de Saint Pierre, l’auteur de Paul et Virginie, est doublement précurseur. Il annonce le romantisme du siècle suivant, son roman, Paul et Virginie, est publié en 1788, mais aussi, de manière surprenante, l’environnementalisme, voire la RSE, des années 2000.

Bernardin de Saint Pierre, un écologiste avant l’heure

A l’origine, Bernardin de Saint Pierre (1737-1814) est un ingénieur des Ponts et Chaussées et un botaniste. Il devra attendre 1784 et l’âge de 47 ans pour connaître son premier grand succès avec la parution de ses études sur la Nature. On y trouve l’exposé le plus abouti de la théorie sur le finalisme anthropocentrique. Laquelle n’est pas si éloignée que ça de celle qu’exposera 170 ans pus tard James Lovelock avec son hypothèse Gaïa. 

Mais c’est avec son roman Paul et Virginie, publié en 1788 et qui devient rapidement un bestseller, que la notoriété qu’elle donne à Bernardin de Saint Pierre en fait un des auteurs phares de son temps. De quoi parle donc ce roman ?

C’est l’histoire de deux jeunes gens, Paul et Virginie, chacun né d’une mère célibataire, exilées l’une et l’autre à l’ile de France, aujourd’hui l’ile Maurice, qui y passent une enfance merveilleuse et idyllique. A l’adolescence, les choses se corsent un peu.

Sous l’œil attendri de leurs mères respectives, ils nourrissent l’un pour l’autre une passion amoureuse qui ne cesse de croître avec les années. Au point qu’on envisage tout naturellement leur union. Oui, mais voilà, c’est là qu’intervient la pensée philosophico-politique de l’auteur. Une grand tante de Virginie voit cette union d’un très mauvais œil. En effet, Paul et Virginie ne font pas partie de la même classe sociale.

Bernardin de Saint Pierre, un progressiste 

Elle s’arrange donc pour que Virginie aille faire des études en France et y apprenne les bonnes manières. Condition sine qua non si elle veut hériter un jour de la fortune familiale. Elle part donc et laisse en plan Paul en lui promettant de lui écrire dans l’intervalle entre son départ et son retour. Seulement voilà, la grand tante veille et il ne reçoit aucune de ses lettres.

C’est alors qu’il commence sérieusement à désespérer qu’il apprend qu’elle est sur le chemin du retour. Quand il se rend compte qu’il va bientôt pouvoir l’approcher, il se précipite sur le rivage pour tenter de l’apercevoir sur le bateau qui la ramène.  Mais, las, au même moment une tempête éclate et le bateau se fracasse sur les rochers devant ce même rivage.

Paul voit Virginie se débattre dans les flots, mais ne peut rien faire, celle-ci ne voulant pas, par pudeur, retirer ses habits pour pouvoir nager plus librement. Elle se noie donc et peu de temps après, Paul meurt lui aussi, mais de chagrin.

Avec cette histoire où Bernardin de Saint Pierre excelle dans les tableaux luxuriants et hauts en couleurs qu’il fait de la Nature, l’écrivain oppose une existence simple et heureuse dictée par la Nature à une existence encombrée de préjugés imposés par la société et qui conduit à la destruction de tout bonheur.

Pour bien faire comprendre ce que ces préjugés peuvent avoir d’inhumains et de contre nature, dès 1775, il écrit une pièce de théâtre « Empsaël et Zoraïde« , où les africains sont les maîtres et les européens, les esclaves. Elle ne sera publiée qu’en 1905. D’autres thèmes tout aussi progressistes parsèment son œuvre de manière  étonnamment moderne et post moderne.

Autres types d’ouvrages sur la passion amoureuse

Evidemment, les trois types de passion amoureuse littéraire précitée ne sont pas les seuls. Comme nous l’avons chaque époque a en quelque sorte les siens :  c’est-à-dire ceux qu’elle privilégie. Et c’est cette variété qui peut servir de source d’inspiration pour tout auteur voulant écrire sur cette thématique. Il s’agit là d’un grand réservoir d’intrigues, de styles et de genres. A chacun d’y trouver ce qui lui correspond.

Pour ce qui est de notre époque, on peut dire que l’amour ne s’est jamais si bien porté. Des philosophes contemporains, comme Pascal Bruckner, Luc Ferry ou André Comte-Sponville,  l’ont mis sur leur métier et ont sorti quelques ouvrages qui peuvent être aussi sources d’inspiration. 

Enfin, on n’aurait garde d’oublier la marée montante de la new romance qui fait les beaux jours de certaines maisons d’édition spécialisées et garnissent généreusement les portefeuilles d’un petit nombre  de romancières à l’esprit marketing bien affuté.