Avec les conflits en Ukraine et en Palestine, la guerre est sur tous les écrans. Mais ce faisant, elle y est « rapetassée ». Réduite à la taille de ces écrans. Désincarnée par leur intermédiation.  Et, souvent, « polluée » par les commentaires qui accompagnent les images qui veulent en rendre compte. Pour lui redonner la dimension qui est la sienne, les écrivains de guerre sont plus que nécessaires. Indispensables !

En effet, derrière ces écrans et ces commentaires, il y a une réalité bien tangible dont les statistiques avec toute leur froideur rappellent la vraie dimension. Le conflit ukrainien, pour ne prendre que celui-là, au bout de deux ans, c’est d’abord, un million de morts et de blessés, russes ou ukrainiens. Ce sont aussi des destructions qui bouleversent la vie quotidienne de millions de gens. Et ce sont des dizaines de milliards d’euros, de roubles ou de dollars jetés dans la fournaise guerrière.

Or une telle situation n’est pas inédite. Par bien des côtés, elle fait penser à celle vécue pendant la première guerre mondiale. Et mieux que les écrans et les commentateurs de plateau, de grands écrivains ont dit tout ce qu’il y a avait à dire à ce sujet. On peut les répartir en deux grands groupes : les écrivains de guerre bellicistes et les écrivains de guerre pacifistes. 

Les écrivains de guerre bellicistes 

Sans doute fascinés par le rapprochement qu’on peut faire entre le mot latin Bellum signifiant la guerre et l’autre mot latin Bellus signifiant beau, un certain nombre de grands noms de la littérature se sont lâchés pour dire tout le bien qu’ils trouvaient dans la survenance de la guerre et le fait de pouvoir, le cas échéant, y participer. A commencer par Guillaume Apollinaire. 

Guillaume Apollinaire (1880 -1918)

Ah Dieu ! que la guerre est jolie Avec ses chants, ses longs loisirs.

Ces mots, on ne peut plus clairs et dont l’esthétisme peut heurter,  on les doit au grand poète qu’a été Guillaume Apollinaire (1880-1918). Engagé en 1914, il les écrit en septembre 1915. Dans les tranchées des Hurlus, entre Reims et Verdun. Son engagement l’aidera à être naturalisé français. C’est déjà ça.  Car de son vrai nom, c’est un aristocrate russe d’origine polonaise : Wilhelm Appollinaris de Kostrowitzky.

Pendant ses premières années de jeune adulte, puis de jeune homme, il connait une vie d’errance mondaine au gré des rencontres, plus ou moins « fastueuses », de sa mère, fichée par la police comme femme galante. Blessé en mars 1916, dans le bas du chemin des Dames, naturalisé la même année, trépané, la tête toujours bandée – datant de cette époque, on a un très beau portrait de lui par Picasso  – il écrira bientôt : 

Si tu voyais ce pays, ces trous à hommes, partout, partout ! On en a la nausée, les boyaux, les trous d’obus, les débris de projectiles et les cimetières.

Guillaume Apollinaire - coollibri.com
Guillaume Apollinaire – coollibri.com

S’il a réussi à ne pas faire partie des 20 millions de morts qu’aura coûté la première guerre mondiale, il n’échappera pas à la grippe espagnole qui suivra la fin du conflit et le reflux de poilus à l’intérieur du pays. Comme 50 millions d’autres victimes, il en mourra, deux jours avant l’armistice, le 9 novembre 1918.

Si on peut douter du bellicisme d’Apollinaire, en tout cas, penser qu’il a finalement évolué, il n’en est pas de même d’auteurs comme Maurice Barrès que Romain Rolland qualifiait de rossignol des carnages. 

Maurice Barrès (1862 – 1923)

Maurice Barrès - coollibri.com
Maurice Barrès – coollibri.com

On a du mal à l’imaginer aujourd’hui, mais en son temps Maurice Barrès jouissait d’une aura intellectuelle aussi considérable que celle de Victor Hugo. De ce fait, il a servi de maître à penser à plusieurs générations de la Belle époque et de l’Entre-deux-guerres

Le rossignol des carnages

Pour ce qui de la grande guerre qu’il n’a pas faite, à la différence d’autres écrivains de renom, aussi âgés que lui, il a été un infatigable propagandiste.  Soutenant l’effort de guerre et le jusqu’au boutisme face à l’armée allemande tout comme une grande partie de l’élite au pouvoir. Raison pour laquelle le Canard enchaîné en a fait à l’époque « le chef de la tribu des bourreurs de crânes ». Et pour l’écrivain à succès, Romain Rolland, il était « le rossignol des carnages ».

Tout cela au nom de la juste cause qui, pour lui, comme pour beaucoup d’autres, était nécessairement celle de la patrie française.  Il fallait donc récupérer l‘Alsace et la Lorraine dont les allemands s’étaient emparés à la suite de la guerre de 1870. Il fallait aussi affirmer haut et fort la supériorité sur les barbares de la nation française et de ses différents constituants.

Bref, comme l’a écrit Léon Blum, en 1923, après la mort de Maurice Barrès :

Si monsieur Barrès n’eut pas vécu, s’il n’eut pas écrit, son temps serait autre et nous serions autres. Je ne vois pas en France d’homme vivant qui ait exercé par la littérature, une action égale ou comparable.

L’archétype de l’intellectuel engagé

On peut dire que Maurice Barrès est d’une certaine façon l’archétype de l’intellectuel engagé pour lequel la cause qu’il défend se doit d’être défendue jusqu’à ses plus ultimes conséquences. Bien évidemment, la guerre totale en fait  partie. Et à l’aune d’un tel impératif catégorique, peu importe les dégâts et les souffrances sans nom qu’elle entraîne. C’est le prix à payer. 

Quelle que soit l’époque et ses grandes causes du moment, il n’est pas difficile d’identifier des épigones modernes, de deuxième, troisième génération ou plus, à Maurice Barrès.  Sur sa thématique ou sur une autre. Le talent en moins. Fort heureusement, le réel a finalement toujours raison.  Même si ça peut prendre du temps. 

A la différence de Maurice Barrès, des écrivains de renom ont aussi connu l’enfer des tranchées comme des centaines de milliers d’autres poilus. Ils ont pu ainsi témoigner sur ce que faire la guerre signifie réellement. Quelle que soit la beauté de la cause pour laquelle elle a été enclenchée. La guerre, c’est la guerre.  Qu’elle soit, ou non, victorieuse..

On peut citer, entre autres, Anatole France et Maurice Genevoix. Déclarés, ou pas, difficile de ne pas les classer parmi les pacifistes.

Les écrivains de guerre pacifistes

Anatole France (1844-1934)

Anatole France - coollibri.com
Anatole France – coollibri.com

Voilà encore un auteur bien oublié aujourd’hui. Et pourtant, il a été membre de l’Académie française à partir de 1896 et il a reçu le prix Nobel de littérature en 1921. Son père était libraire, mais magie des livres, illettré encore à 20 ans, il n’eut pas peur de plonger dans leurs flots et à apprendre à y nager. Jusqu’à ouvrir finalement une librairie à son nom et à laisser le petit Anatole s’y baigner à son tour. Bel exemple d’une ascension sociale par le savoir et la littérature.

Grande figure intellectuelle de son temps, comme Maurice Barrès, mais d’un bord opposé, Anatole France, Anatole Thibault de son vrai nom, fut comme lui un ardent patriote et un propagandiste de premier plan. Au moins tant que dura l’Union sacrée. Et puis, la guerre finie, il changea, si l’on peut dire, son fusil d’épaule. Le fait est qu’il n’était plus possible d’ignorer l’enfer vécu par les poilus dans leurs tranchées. 

Il écrivit alors cette phrase célèbre en tête d’un article paru dans le journal « L’humanité », le 18 juillet 1922 :

On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels.

Ce faisant, il renoua avec la lucidité dont il fit preuve en 1912 avec son roman « Les dieux ont soif » dont l’action se passe pendant la Terreur. Roman d’une modernité fascinante selon certains commentateurs. En tout cas, difficile de ne pas y penser encore de nos jours quand on apprend que les cours boursiers des valeurs liées à l’industrie de la défense baissent à la bourse de Paris quand, par exemple, les informations sur d’éventuels pourparlers de paix en Ukraine se font insistantes.  

Mais, si on veut en savoir plus.  Et de manière définitive,  sur les horreurs de la guerre, rien ne vaut la lecture de « Ceux de 14 ». Livre quasi photographique de Maurice Genevoix, publié en 1950.

Maurice Genevoix (1890 – 1980) 

Maurice Genevoix - coollibri.com
Maurice Genevoix – coollibri.com

Maurice Genevoix est entré au Panthéon le 11 novembre 2020. Tout un symbole, bien évidemment. Et voulu comme tel. Normalien, académicien, Maurice Genevoix a écrit sur la grande guerre comme nul autre écrivain n’a su le faire. Cela tient à son style et à son expérience. 

En tant qu’écrivain, Maurice Genevoix s’est toujours attaché à rapporter fidèlement ce qu’il sentait et ce qu’il voyait. Aucun déni du réel à attendre de sa part. D’où des fictions, certes romanesques, mais qui peuvent tout aussi bien être qualifiées de récits.

De fait, son livre « Ceux de 14 » est sans doute le meilleur témoignage, en tout cas, un des plus objectifs,  qu’on puisse avoir sur le vécu des poilus pendant la guerre 14-18. De la section de 52 hommes qu’il a mené à l’assaut de la crête des Eparges, au début de la guerre, il n’en est resté que 6 dont lui-même une fois cet assaut terminé.

Grièvement blessé en avril 1915, c’est par miracle qu’il survit. Mais il en perd l’usage de la main gauche. On lui reprochera par la suite d’avoir été réformé et de ne pas être retourné au front ! Quoi qu’il en soit, il eut aussi à affronter l’épidémie de grippe espagnole. Contaminé en 1919, il réussit néanmoins à en réchapper.

Dans les cinq récits qui constituent « Ceux de 14« , Maurice Genevoix décrit un quotidien fait de boue, de faim, d’inconfort permanent, de longues attentes, de combats meurtriers, de mort, dans lequel parviennent néanmoins à surnager des sentiments forts de camaraderie et de dignité.

Les écrivains et la guerre

La guerre 14 est un cas d’école sur ce que peut être la guerre aujourd’hui. Cela dit, son côté industriel a largement été préfiguré par la guerre de Sécession aux Etats-Unis, en 1865. Et depuis elle a été suivi par des conflits de même ampleur ou dont les caractéristiques ne sont guère différentes.

Une guerre toujours industrielle avec des destructions massives

Mises à part les tranchées, on y trouve toujours la même débauche de moyens  et les mêmes destructions massives. S’ajoute à cela, qu’indépendamment des bonnes intentions, là où tombent les bombes, il n’est pas fait de différences entre les civils et les militaires. Par définition, un bombardement est aveugle.

Quoi qu’on en dise et d’où que viennent les obus, il touche tous ceux qui se trouvent dans la zone visée. Hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux. Auxquels, on peut ajouter les animaux, dont on ne ne parle jamais. Mais qui sont bien là eux aussi.

C’est la raison pour laquelle d’autres écrivains se sont attachés à décrire tous les dommages collatéraux qu’entraine toute guerre : mutilations, désertions, viols, crimes, trafics, errances, etc… Citons, entre autres, pour les premières, « La chambre des officiers« , un roman du talentueux cinéaste et écrivain multi primé, Marc Dugain, né en 1957, publié en1998.

Et d’innombrables dommages collatéraux

Ou encore pour les secondes, « Un long dimanche de fiançailles« , un roman de Sébastien Japrisot (1931-2003), publié en 1991 et qui a donné lieu à un film en 2004. Citons enfin, le bestseller de Pierre Lemaitre, né en 1951, « Au revoir là-haut« , publié en 2013, dont l’intrigue est basée sur une arnaque aux monuments aux morts.

La littérature a cela de magnifique qu’elle dit ce qu’il y a à savoir pour la conduite humaine. Souvent mieux que n’importe quel traité de psychologie ou de géopolitique. Or quand on lit tout ce qui pu être écrit sur la guerre, non pas sur ses raisons, toujours discutables, au sens propre, mais sur son vécu et ses conséquences, toujours bien réels, on se demande comment on peut encore en faire l’apologie.

Comme ça, sans doute, par psittacisme ou inculture. Ou pire, par intérêt bien compris. Dés lors, on comprend sans peine que les plus sensés, ou les plus prudents, veuillent y réfléchir à deux fois avant de pousser à s’y engager. Si tel est, malgré tout, leur choix.

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