On le sait. Tous les apprentis auteurs le savent. Ecrire n’est pas un acte simple. L’envie d’écrire est naturelle et fréquente. Pour autant, elle se traduit rarement en écriture. On parle ici d’écriture de roman, pas d’écriture de journal intime et de tout ce qui s’y apparente. Comme, par exemple, les mémoires d’une vie. Ce premier pas vers l’écriture, que l’on peut qualifier de totale, en  est aussi souvent le terminus. Ou le tombeau. On ne peut s’empêcher de penser qu’elle correspond surtout à certains âges, comme l’adolescence ou la vieillesse et qu’une fois passés ces âges, elle s’éteint comme une bougie ayant consumé toute sa cire.

Ecrire un roman est bien autre chose. Un journal intime, des correspondances soigneusement conservées, des mémoires,  peuvent certes avoir des attraits littéraires pour les meilleurs d’entre eux, mais il n’en reste pas moins que leur principale fonctionnalité, si l’on peut dire, est d’être avant tout une ressource d’ordre documentaire. Ils agissent comme ces vieux chromos retrouvés dans un grenier ou ces films super 8, aux images qui tressautent à en donner le tournis,  oubliés dans une malle par un aïeul disparu depuis longtemps.

Ecrire un roman, c’est se lancer dans un processus de longue haleine qui ne peut s’enclencher et s’entretenir que s’il est alimenté en permanence par une inspiration. Inspiration, le grand mot est lâché. Comment la faire naître, lui donner corps et la transmuter en lignes sur un écran ou un cahier, telle est la problématique à laquelle on ne peut répondre qu’en sortant de sa zone de confort.

Une zone de confort, c’est quoi ?

Une zone de confort, c'est quoi ? - coollibri.com
Une zone de confort, c’est quoi ? – coollibri.com

Définition de la zone de confort 

L’expression est devenue courante. Elle décrit de manière imagée un état psychologique particulier. Être dans sa zone de confort, c’est ainsi être dans un état où on ne se sent menacé par rien. Ou presque. Où on a l’impression de tout contrôler. On ne rencontre que des gens qu’on apprécie et qui nous apprécient. On vit dans un lieu où on ne risque rien. Que ce soit chez soi ou au travail. Professionnellement, on ne fait rien qui aille au-delà de ses compétences. Côté famille, on évite la passion et les engagements que l’on juge excessifs. Sur le plan des idées, on a les opinions du groupe avec lequel on a le plus de partage. 

Ce qu’on attend de la zone de confort

Moyennant quoi, on est tranquille. On a l’esprit en paix. On est un peu comme Ulysse débarquant sur l’île de Circé. Avec les mêmes avantages et les mêmes inconvénients.

De fait, la recherche de cette tranquillité peut être source d’un grand malaise quand elle est poussée à l’extrême. C’est ce que montre, entre autres, Herman Melville, rendu célèbre par son roman Moby Dick, dans sa nouvelle intitulée Bartleby, parue pour la première fois en 1853.

Bartleby est engagé comme clerc de notaire dans l’étude du narrateur. Consciencieux, affable, satisfait de son sort, il a toutes les qualités requises pour donner entière satisfaction à son employeur et d’une manière générale, à son entourage.

Seulement voilà, petit à petit, ne voulant plus sortir de sa zone de confort, si peu que ce soit, ce que résume sa phrase fétiche, qu’il répète à l’envi ;

« I would prefer not to »

il finit par la réduire à sa plus simple expression. Il n’obéit plus à rien et ne fait absolument plus rien. D’aucuns y ont vu la phase ultime et intime d’une lutte contre le capitalisme. La formule a d’ailleurs été reprise par les militants d’Occupy Wall Street qui en ont fait un de leurs slogans ou encore une évocation de ces bullshit jobs dénoncés par David Graeber.

Moins pernicieuse, on peut avoir une autre approche des effets négatifs d’une zone de confort devenue omniprésente et subrepticement étouffante dans l’histoire racontée par le film « Jane Austen a gâché ma vie« , réalisé en 2024 par Laura Piani et interprété par Camille Rutherford, Charlie Anson et Pablo Pauly, pour les rôles principaux.

Comment Jane Austen a gâché ma vie 

Jane Austen - coollibri.com
Jane Austen – coollibri.com

Ici, Jane Austen symbolise les barrières mentales que s’est progressivement imposées Agathe, libraire dans la célèbre librairie parisienne  » Shakespeare and Company« . Vivant en permanence au milieu des livres, angoissée à l’idée d’en sortir, elle y rêve sa vie en toute tranquillité à la manière d’un personnage de Jane Austen, son auteur préféré.

Célibataire, vivant de manière un peu recluse, elle voudrait néanmoins écrire un roman. Mais, elle ne parvient guère à aller au-delà de quelques pages, quand parfois, il lui arrive de s’y résoudre.

En cela, son sort ne diffère pas beaucoup de ce que vivent un grand nombre d’apprenti auteurs. Bref, l’obstacle à franchir celui qui se dissimule dans les recoins de la zone de confort, c’est celui bien connu de la page blanche.

Exemple de déclic pour sortir de sa zone de confort

Mais un jour, c’est le déclic. La manière dont ce déclic survient et est exploité par Agathe mérite qu’on s’y arrête. La sortie se fait en deux temps.

Dans un premier temps, Agathe, l’héroïne et future romancière, va dîner seule dans un restaurant asiatique. Comme il est d’usage, on lui sert du saké dans une petite tasse dont le fond représente une femme nue.

Ce sexisme involontaire de la part du restaurateur la fait bondir. Elle réclame une autre tasse avec cette fois un personnage masculin également nu.

Contre toute attente, on répond à sa demande. Cet épisode déclenche chez elle l’envie de raconter l’histoire de cet homme entraperçu au fond de sa tasse et du lien amoureux qui se noue entre elle et lui dans une réalité imaginaire. A partir de cet oxymore inattendu, elle noircit quelques pages, puis s’interrompt. L’inspiration lui manque pour trouver une suite à ce début d’histoire. 

Jusque là rien que de très banal. Sauf que, dans un deuxième temps, son collègue de travail, avec lequel elle entretient une relation ambigüe, prend sans le lui dire l’initiative d’envoyer ces premières pages au jury d’une résidence d’auteurs en Angleterre.

Le processus aurait été le même avec la participation à un concours d’écriture. Elle est retenue, refuse d’abord de s’y rendre, puis s’y résout sous l’amicale et amoureuse pression de son collègue et débarque en terre inconnue. Et là tout s’enchaîne. Le mur est brisé et l’inspiration finit par jaillir à jet continu. 

Pourquoi on ne veut pas sortir de sa zone de confort ?

« L’embastillement » dans la zone de confort

Peut-être faut-il commencer d’abord par se poser la question de savoir pourquoi on aime se réfugier dans sa zone de confort. Et cela, au-delà du bien-être qu’elle semble générer. « Qu’elle semble », sinon pourquoi parler de zone de confort et de la sécurité qu’elle représente ?

A vrai dire, sans pousser trop loin l’analyse, le besoin qui s’attache à la recherche d’une zone de confort résulte, la plupart du temps, du sentiment d’angoisse qui étreint celui ou celle qui s’en écarte. 

Il ne faut pas confondre peur et angoisse. La peur résulte de phénomènes objectifs. Ils sont ou ne sont pas. On peut les relativiser. L’angoisse s’attaque au moi profond.  Elle renvoie souvent à des évènements traumatisants.

Par exemple, dans le film « Jane Austen a gâché ma vie », en ce qui concerne Agathe, à un accident de voiture et à la mort de ses parents. De là, l’immense difficulté pour s’en libérer. Difficile, en effet, de raisonner une angoisse. Par nature, irraisonnée et irraisonnable. 

L’existence des barrières mentales

Mais, on peut aussi s’enfermer dans sa zone de confort, sans même ressentir d’angoisse ou d’anxiété, simplement parce qu’on préfère rêver sa vie plutôt que prendre le risque d’être déçu par les concrétisations qu’on peut  donner à ses rêves. 

En matière d’écriture, c’est la fameuse déprime ou le découragement qui s’empare de tout apprenti écrivain quand il n’obtient pas les retours qu’il espérait après avoir transmis ses pages à quelques lecteurs bêta

Ce résultat, ou plutôt cette absence de résultat est à l’origine de l’érection de barrières mentales, invisibles, certes, mais qui peuvent devenir, ô combien, insurmontables. En général, dans le cas de l’apprenti écrivain, après ce qu’il considère comme un échec, celui-ci se dit constamment qu’on ne l’y reprendra pas.

Belle barrière mentale ! Et beau conditionnement en perspective !

Pour l’illustrer, on peut se servir d’une anecdote racontée par Pierre Gay, dans son livre intitulé « Une promesse de la nature, du zoo au bioparc, une révolution ». 

Il y décrit à un moment de sa narration, le comportement d’un fauve habitué à vivre dans la cage d’un cirque et relâché, après qu’il en ait fait l’acquisition, ou plutôt la récupération,  dans l’un des immenses enclos de son bioparc de Doué-la-Fontaine.

Bien que disposant d’un espace dont il n’avait jamais pu disposer jusqu’alors, l’animal continuait néanmoins à faire des aller-retours bien circonscrits sur une toute petite portion de cet espace.

Comme s’il devait encore respecter les limites imposées par les grilles de la cage à laquelle il était habitué. Et, somme toute, bien confortables. En tout cas, plus qu’un grand espace aux limites inconnues.

Pourquoi et comment sortir de sa zone de confort ?

Un facteur de développement personnel

Comme le disent certains spécialistes en développement professionnel :

Sortir de sa zone de confort professionnelle n’est pas seulement avantageux, mais il est également essentiel pour une carrière réussie et une vie professionnelle épanouissante. Au début, cela peut sembler intimidant, mais les avantages en valent la peine.

D’évidence, se lancer dans l’écriture et mener son  projet éditorial à bonne fin est bien un acte illustrant une sortie de zone de confort. Non seulement par ce qu’il induit comme efforts, mais aussi par les changements qu’il va provoquer dans sa vie à la fois personnelle et professionnelle. 

Accepter la prise de risque

Il y a beaucoup de citations à propos du risque que l’on ne veut pas prendre et de ce que cela induit. Mais, celle de Benjamin Franklin est l’une des plus explicites. 

Il y a bien des manières, a-t-il dit, de ne pas réussir, mais la plus sûre est de ne jamais prendre de risques.

Autrement dit, vouloir à tout prix ne prendre aucun risque, c’est presque à coup sûr prendre beaucoup de risques. Car enfin, dans ce cas, c’est être certain de ne pas réussir. Sachant qu’en l’occurrence réussir, c’est ni plus ni moins que se mettre en situation de réaliser son rêve et non pas d’adopter un mode vie qui ne saurait être vraiment le sien. 

Gustave Thibon - coollibri.com
Gustave Thibon – coollibri.com

Tout le monde n’a pas forcément envie d’accumuler trois maisons, cinq voitures et de multiplier les voyages aux antipodes pour afficher sa réussite. Gustave Thibon, le sage de Saint-Marcel-d’Ardèche, se trouvait très bien dans sa ferme natale et a écrit une œuvre remarquable. 

Rien n’est plus vide qu’une âme encombrée, disait-il. 

Ne pas se fixer d’objectif

Prendre conscience de ses barrières mentales est un bon début. Se dire qu’on voudrait faire autre chose de sa vie va de pair avec cette prise de conscience. Et surtout qu’on pourrait le faire ! Et on finit par se lancer ! Dans « Jane Austen a gâché ma vie », Agathe n’en est pas à son coup d’essai littéraire quand la magie du cinéma nous fait entrer dans son histoire. 

Des romans qu’elle n’a jamais finis, elle en a débuté beaucoup. Comme bien d’autres choses. Alors comment faire ? Eh bien, contrairement à ce qu’on peut prétendre, on n’a pas besoin de se fixer un objectif. Ou du moins d’en faire un impératif catégorique. De fait, par exemple, pour un artiste comme Vincent-Thomas Rey, et il n’est pas le seul à le dire, il est clair que :

L’important, c’est le chemin et non l’arrivée.

De ce point de vue, l’objectif n’est là que pour rassurer, aider à partir, mais pour le reste, tout est affaire de circonstances. On ne peut tout simplement pas savoir à quelle suite d’évènements on sera confronter et comment on y réagira. 

Partant de là, ne pas atteindre un objectif qu’on ne s’est pas fixé est effectivement sans importance. On peut ainsi écrire tout ce que l’on veut et ne pas craindre l’échec, dès lors qu’on n’attend rien de quelque éditeur que ce soit. C’est d’ailleurs un des atouts majeurs de l’autoédition, est-il encore besoin de le rappeler ? 

D’une zone de confort à l’autre 

Cela dit, globalement, la sortie d’une zone de confort n’est jamais qu’un passage vers une autre zone de confort. Plus confortable. C’est parce que la zone de confort dans laquelle on se trouve n’est pas si confortable que ça que l’on se laisse aller à rêver d’autre chose.

Une fois arrivé à destination, une fois parvenu dans une autre situation, on n’a guère envie d’en changer. Pourquoi, d’ailleurs ? Autrement dit, le changement pour le changement n’est pas une fin en soi. Certes, l’arrivée est moins importante que le chemin, mais à condition que le chemin finisse par mener quelque part.

Dans ces conditions, l’échec n’est jamais que transitoire. Revenons à l’histoire d’Agathe. Dans sa résidence d’auteurs, elle est incapable d’écrire et la veille d’avoir à faire la lecture de ce qu’elle est censée avoir écrit devant les autres participants, elle s’en va. L’échec est total. Par la même occasion, elle abandonne aussi la relation qu’elle avait nouée avec le fils du couple gérant la résidence.  

PHOTO PANNEAU AVEC CITATION « UN ECHEC N’EST JAMAIS DEFINITIF » 

Cependant, l’histoire ne s’arrête pas là. Un échec n’est jamais définitif. Tout dépend de la hauteur à laquelle on se place. Pour cette raison, il est toujours une porte ouverte sur un autre avenir. En l’occurrence, Agathe part soigner les « plaies émotionnelles » que lui a occasionnées sa « sortie » dans la propriété familiale dans laquelle elle n’a plus remis les pieds depuis la mort accidentelle de ses parents.

Et là, dans ce nouveau contexte, l’inspiration la saisit totalement et elle finit le roman entamé des mois plus tôt. Elle l’envoie à un éditeur, et happy end, elle signe un contrat d’édition. Happy à double détente, puisque son livre une fois publié, sûre d’elle même, elle revoit celui qui devient l’homme de sa vie.

La voilà désormais ailleurs, dans une nouvelle zone de confort, pourquoi en changerait elle ? Sauf qu’en ayant fait l’expérience de la sortie de la zone de confort, elle a appris aussi à s’en libérer, si le besoin s’en fait sentir.

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