Quand on aime écrire, qu’on est un peu à la peine pour trouver un bon sujet d’écriture et qu’on veut que ce que l’on écrit soit inspirant, alors le choix de l’écriture d’une biographie sur un personnage marquant, historique, familial, ou autre, peut s’avérer un très bon choix. Et de ce point de vue, choisir d’écrire la biographie d’un chanteur, naturellement d’un chanteur dont les chansons ont une résonnance particulière pour celui qui écrit, peut être une excellente occasion pour progresser dans la compréhension de ce qu’il a produit et des raisons pour lesquelles ce qu’il a produit a un tel impact sur sa propre manière d’être.
A l’heure d’internet et de la surinformation, ce qui aurait pu paraître une tâche insurmontable, faute d’éléments à recueillir est, aujourd’hui, très facile. Les informations disponibles sur un auteur compositeur interprète aussi charismatique que Nick Cave, par exemple, sont innombrables. Outre ce qu’on peut glaner en surfant sur le net, en écoutant ses chansons et en le voyant évoluer sur scène, on dispose notamment de la totalité des textes des chansons qu’il a interprétées de 1978 à 2022, grâce aux éditions Penguin, et d’une grande connaissance de son processus créatif grâce au livre d’entretien avec Sean O’Hagan.
Par suite, écrire une biographie sur un chanteur, et en particulier sur un chanteur marquant, est un choix d’écriture accessible et toujours porteur. Cela suppose, évidemment, de s’organiser en conséquence. A commencer par être au clair avec les raisons qui font choisir tel chanteur plutôt que tel autre.
Comment choisir le sujet d’une biographie de chanteur

Aimer les chansons
On n’écrit bien que sur ce qu’on aime. Aimer un chanteur, c’est d’abord aimer ses chansons. D’ailleurs, on ne connait de lui la plupart du temps que ses chansons et ce qu’en dit la presse people. Autrement dit, finalement, pas grand chose, même si c’est essentiel.
La question à se poser est alors de savoir pourquoi on aime ses chansons et est-ce qu’on les aime toutes ou seulement certaines. Et a-t-on seulement pris le temps de comprendre ce qu’il chante. Surtout quand il s’agit d’un chanteur anglais. On peut aimer Nick Cave et ses rythmes ténébreux, mais que chante-t-il exactement ? De quoi parle-t-il ?
Aimer le chanteur
La question est plus délicate et elle est vieille comme le monde, en tout cas, le monde des écrivains. C’est la sempiternelle question du décalage entre l’œuvre et l’auteur de l’œuvre. Peut-on aimer une œuvre si on désapprouve fortement la manière d’être de son auteur ?
Pour ne prendre que cet exemple, mais il est en quelque sorte emblématique, on peut aimer Paul Morand écrivain et mépriser Paul Morand, en tant qu’bomme. C’est notamment le titre d’un très bon article de Pierre Assouline publié dans larépubliquedeslivres.com.
Si on en revient aux chanteurs, on a un excellent et récent exemple de ce décalage entre l’auteur et son œuvre avec le film « Un parfait inconnu » qui retrace les débuts de la carrière de Bob Dylan.
Cela dit, cette question n’est peut-être qu’une fausse question. Car que sait-on réellement de l’auteur et de ses motivations ? Dans un cas, celui de Paul Morand, ce que l’on sait on le doit à sa biographe et à ses interprétations. Dans l’autre celui de Bob Dylan, à l’interprétation qu’en donne Timothée Chalamet.
Finalement, l’auteur, en tant qu’homme, finit toujours par s’effacer devant son œuvre et sur laquelle il ne donne, au fond, qu’un éclairage, certes utile, forcément, mais partiel et partial. Seul importe le devenir de l’œuvre et pourquoi.
Ce qui est essentiel : rechercher les raisons qui rendent marquante une œuvre
Une œuvre est marquante pour des raisons personnelles
C’est là un bon point de départ. En tout cas, un point à ne pas négliger. C’est s’interroger sur les raisons qui font que pour soi tel chanteur a une résonnance particulière. C’est s’interroger, de ce fait, sur sa propre histoire et sur les ponts qui existent entre cette histoire et ce que racontent les chansons de celui dont on a choisi de raconter l’histoire.
De ce point de vue, toute biographie est ainsi quelque part aussi un élément de sa propre biographie.
Une œuvre est marquante par l’impact qu’elle a sur son époque
S’il est important de rechercher ce qui dans son histoire personnelle peut expliquer l’engouement qu’on peut avoir pour le chanteur dont on a choisi de faire la biographie, il est également important de rechercher ce qui dans son époque explique son succès.
Et plus encore, la question est de savoir si ce succès a été continu. Autrement dit, le chanteur a-t-il toujours eu du succès et si oui pourquoi ? Dans son livre d’entretien, Nick Cave donne un bout de réponse à cette question. Comme son interviewer lui demande si sa vision des choses a radicalement changé, ce qui expliquerait sa longévité artistique, il répond :
Tu sais, si le jeune Nick Cave pouvait s’autoriser un certain dédain pour le monde, c’est parce qu’il ne savait pas ce qui l’attendait. Je m’aperçois aujourd’hui que ce dédain, ou ce mépris, était un luxe, une affèterie complaisante. Ce jeune homme n’avait aucun sens de la fragilité de la vie, de son caractère précieux. Il ne se rendait pas compte qu’il est difficile mais essentiel d’aimer le monde et de le traiter charitablement. Et je le répète, il ne soupçonnait pas ce que l’avenir lui réservait.
Dans cette réponse, on voit bien tout ce qu’elle comporte d’universel et on comprend mieux tout l’intérêt qu’il y a non seulement à écouter un chanteur comme Nick Cave, mais aussi à l’entendre. Fort heureusement, il n’est pas le seul dans ce cas.
Bien d’autres chanteurs méritent qu’on s’intéresse à eux et cela d’autant plus à une époque où l’écrit et les images sont loin d’avoir couper le son. Ce qui, au fond, est une façon de revenir au rôle traditionnel des chansons quand elles expriment mieux que tout autre média ce qui en donne la tonalité.

En 1935, Ray Ventura et ses collégiens chantait une chanson, « Tout va très bien madame la marquise » qui est encore dans beaucoup de mémoires :
Allô, allô James !
Quelles nouvelles ?
Absente depuis quinze jours,
Au bout du fil
Je vous appelle ;
Que trouverai je à mon retour ?
Tout va très bien madame la marquise, tout va très bien tout va très bien.
Pourtant, il faut, il faut que l’on vous dise,
On déplore un tout petit rien ;
Un incident, une bêtise,
La mort de votre jument grise,
Mais à part ça madame me Marquise
Tout va très bien, tout va très bien.
Tout va tellement bien qu’à la fin de la chanson, la marquise n’a plus de château lequel a été détruit par un incendie et son mari ruiné s’est suicidé. Le thème de la chanson ne s’explique que par son contexte et la montée des périls internationaux. Quatre ans plus tard, la seconde guerre mondiale commençait.
Sous sa forme métaphorique, la chanson était on ne peut plus prémonitoire.
Comment s’organiser pour rédiger une biographie sur un chanteur qu’on aime
Eléments de recherche documentaire numériques
Toute œuvre est sujette à interprétation. Le premier mérite d’une recherche documentaire est de la situer dans le contexte qui est le sien. La tentation est toujours grande de voir une œuvre passée avec les yeux d’aujourd’hui. Ce faisant, on fait dire à l’auteur que l’on aime des choses qu’il n’a jamais dites ou pensées.
Pour être certain de ne rien oublier, du moins de ne rien rater de ce qui a pu être publié sur le net, on peut recourir à l’IA. En effet, s’il y a un domaine où l’IA peut être indéniablement utile, c’est bien celui-là.
A une condition, toutefois. A la condition, de ne pas confondre ce qui n’est, au mieux, qu’une synthèse et au pire, qu’une compilation, avec une œuvre originale capable de donner du sens à un travail d’artiste.
Réflexions personnelles
C’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à mener quand on se confronte à l’œuvre d’un artiste. Une fois qu’on a rassemblé tout le matériel dont on peut disposer sur lui, reste à interpréter. Qu’a-t-il voulu dire exactement et en quoi cela peut-il présenter un intérêt pour soi d’abord, et pour d’autres ensuite.
Pour ce faire, on peut s’inspirer de la démarche objective adoptée par un grand latiniste comme Pierre Hadot pour essayer d’extraire ce qu’il y a à extraire d’un auteur antique, par définition, bien éloigné de nous.
Pour actualiser, disait-il, un message de l’antiquité, il faut le dégager de tout ce qui marque son époque, de la mentalité propre à l’époque, il faut le démythologiser. Il faut essayer d’aller à la démarche intérieure, à l’attitude concrète qu’il implique.
La chanson de Ray Ventura évoquée plus haut peut ainsi paraitre bien niaise si on la laisse dans sa gangue des années 30. Mais, si on l’en débarrasse, si on en retient que l’inquiétude et le désarroi qu’elle exprime manifestement, on peut en faire ressortir une trame bien adaptable à d’autres époques et à un présent également inquiétant.
Nick Cave dans son entretien avec Sean O’Hagan ne dit pas autre chose.
Quel plan adopter pour rédiger la biographie d’un chanteur qu’on aime

Il y a plusieurs façons de procéder pour rédiger une biographie, et ces façons valent aussi bien pour une biographie de chanteur que pour une biographie de quelqu’un d’autre. Mais, à vrai dire, elles se ressemblent beaucoup et ce qui les différencie c’est l’accent qu’elle mette, plus ou moins, sur la dimension chronologique.
Biographie historique
Quand on choisit d’écrire une biographie chronologique, autrement dit historique, on met principalement l’accent sur l’ordre dans lequel se sont produits les évènements se rapportant au personnage dont on veut rendre compte de la vie passée. Bref, on part de sa naissance et on va jusqu’à sa mort.
On commence donc par décrire le milieu et l’environnement dans lequel est né le dit personnage, les membres de sa famille qui ont eu le plus d’influence sur lui et les histoires marquantes dont il a pu être témoin ou l’élément central. Cette phase est importante et on n’aurait garde de la négliger.
Combien d’adultes ne font, en effet, que revivre tout au long de leur vie les moments heureux ou malheureux de leur enfance. Du moins tels qu’ils les ont gardés en mémoire.
Après les premiers moments de l’existence, le biographe se doit de s’attarder sur les années de formation et les premiers émois sentimentaux. Ce sont autant d’occasions de rencontres décisives.
L’influence d’un mentor que l’on admire, des lectures bouleversantes, des chansons ou des poèmes qui tournent en boucle dans la tête, un amour qui peine à s’exprimer ou qui éclate avec l’égoïsme de la jeunesse, voilà un premier lot de circonstances qui vont amorcer et nourrir une œuvre.
D’année en année, on suit ainsi son personnage et pour faciliter la lecture d’une existence forcément complexe, on en vient naturellement à les regrouper selon ce qui semble en faire le lien.
Exemple de la biographie de Tove Jansson
Paul Gravett, le biographe de la célèbre artiste finlandaise Tove Jansson, mondialement connue pour avoir créé le monde féerique des Moomins, consacre ses cinq premiers chapitres à une introduction générale mettant l’artiste en perspective, à ses premières leçons, à ses premières publications, à ses rêves d’étudiante, à sa condition d’illustratrice, avant d’en venir au chapitre capital de la naissance des Moomins
Ce qui est intéressant dans cette organisation, c’est d’abord le souci du biographe d’indiquer d’emblée à ses lecteurs en quoi sa biographie est importante et ensuite celui de montrer les différents canaux qui ont conduit Tove Jansson à créer son œuvre majeure. Tout aussi intéressante, la manière dont les sept chapitres suivant se concentrent sur les conséquences de cette création et enfin celle dont les deux derniers semblent, tout bien considéré, former une sorte de conclusion existentielle.
Dans ce cas, le plan suivi est bien de nature chronologique, mais surtout il s’efforce de donner un sens ou une signification à l’existence de le personne qui est le sujet de la biographie. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un procès verbal de gendarmerie ou d’un constat d’huissier. Même si, avouons le, il s’en inspire quelque peu.
Essai biographique
Une autre façon d’écrire une biographie, c’est de la traiter comme un essai. On essaie de comprendre, d’analyser, de dire pourquoi la personne dont on s’est entiché au point de vouloir faire sa biographie a été telle qu’elle a été et a créé ce qu’elle a créé.
Ce qui revient à rechercher les causes et les conséquences de ce qui a tissé sa vie et à les mettre en parallèle avec d’autres destins. Au-delà même, devenu ainsi sujet d’étude, le sujet de la biographie est aussi assimilé à une sorte de révélateur avec pour objectif de dévoiler les ressorts de tout ce qui l’a entouré et a contribué à faire de lui ce qu’il a été.
Objectif certes ambitieux, mais, à coup sûr, riche d’enseignement. Et peut-être que mieux que d’autres, sur ce plan, une biographie de chanteur, dans ce qu’elle peut avoir de mythique, peut dire beaucoup de choses sur soi, sur son entourage et sur la vie comme elle va à ce moment là.
Biographie romancée
Cependant, une biographie historique ou un essai biographie, par la rigueur dont elles s’accompagnent nécessairement, peuvent glacer tout auteur admiratif d’un chanteur qu’il peut découvrir autre que ce qu’il pensait qu’il était et le contraindre plus ou moins à abandonner son projet. On aime moins André Gide ou Paul Morand après avoir lu certaines pages de leur correspondance.
Sans abandonner toute recherche de la vérité de celui ou de celle dont on veut faire la biographie, on peut alors préférer n’en garder que ce qu’on aime et atténuer ce qu’on n’aime pas. Sans qu’elle soit à proprement parler un roman, on peut dire qu’elle est une biographie romancée. Non pas par sa forme, mais par la manière dont on sélectionne les évènements auxquels on fait réagir un personnage devenu héros à l’instar d’un héros de roman.
John Cowper Powys (1872-1963), célèbre critique littéraire et auteur de romans et d’essais qui ont fait date, enthousiasmait ceux qui assistaient à ses conférences sur tel ou tel écrivain et naturellement, de ce fait, leur communiquait une furieuse envie de les lire. Pourquoi cela ? Tout simplement parce qu’il les aimait et leur pardonnait tout.
Ecrire parce qu’on aime
Au fond, vouloir écrire une biographie et notamment celle d’un chanteur qu’on aime, c’est un peu la même chose que faire une conférence enthousiasmante. C’est simplement plus long et principalement réservé à la lecture.
Pour se lancer dans l’écriture, on a souvent besoin d’un déclic tant le syndrome de la page blanche peut être paralysant. L’amour qu’on peut avoir pour un chanteur ou une chanteuse en constitue incontestablement un. Et c’est sans aucun doute une excellente façon de le sublimer et d’en tirer profit pour sa vie personnelle que de mettre celle de son héros ou de son héroïne sur papier.
Nul besoin pour ce faire de « partir » pour une biographie de plusieurs centaines de pages. Un texte destiné, par exemple, à un concours d’écriture bien choisi, ou encore, entre autres, à une rubrique d’un journal associatif peut remplir ce rôle.
Et qui sait, peut-être que celui-ci et l’impact qu’il a pu avoir peut-il donner envie d’aller encore plus loin et de s’autoéditer.