La question peut surprendre. L’époque n’est-elle pas à une totale décomplexion ? A la déconstruction de tout, en général, et de la littérature, en particulier ? A la mort de l’homme de lettres, en somme ? La règle n’est-elle pas aujourd’hui, en effet, de pouvoir tout dire, ou presque, comme on veut, quand on veut et où on veut ? Peut-être. En réalité, rien n’est moins sûr. Car il en va de la littérature ou de toute forme artistique, d’ailleurs, comme de la gastronomie, par exemple. Quel que soit le « baratin », dont on les entoure, il y a des plats « déconstruits » qui sont et qui restent parfaitement immangeables. Or, ce qui permet de faire la différence entre les uns et les autres, c’est peut-être bien le fait que leur auteur est lettré ou pas. Dés lors, naturellement, qu’est-ce que c’est qu’être lettré.

C’est quoi un lettré ?

Commençons par ce qui n’entre pas dans la définition du lettré. Comme, par exemple, les diplômes, la notoriété, etc. Autrement dit, toutes sortes de caractéristiques qui peuvent accompagner un lettré, mais qui ne le définissent assurément pas. 

Alors, c’est quoi un lettré ? Dans son livre « Vie du lettré« , William Marx donne la définition suivante : 

Un lettré, c’est quelqu’un dont l’existence physique et intellectuelle s’ordonne autour des textes et des livres : vivant parmi eux, vivant d’eux, employant sa propre vie à les faire vivre et, en particulier, à les lire. 

Ce qui, toujours d’après notre auteur, entraîne un certain nombre de conséquences, toutes plus réjouissantes les unes que les autres, ainsi ajoute-t-il : 

L’existence d’un lettré n’appartient pas à l’ordre des choses (…) La littérature est faite pour les non lettrés. Faire des lettres le but principal d’une vie relève à bien de égards , de l’extraordinaire, sinon de la pathologie. C’est pourquoi un lettré, quoique savant et érudit, n’est pas forcément un sage ou un saint. Il en est des fous, de vicieux et d’infréquentables.

Quelles qualités faut-il avoir pour écrire ?

Si on s’en tient aux propos de William Marx, on peut en déduire qu’être lettré n’est pas vraiment la condition sine qua non pour écrire. Car, après tout, selon ce point de vue, somme toute restreint, le lettré est plus un homme à lettres qu’un homme de lettres.

Dans ce cas, les lettres en question constituent une sorte de hobby. Mais, a-t-on bien fait le tour de la question ? 

Si un amoureux des lettres n’est pas forcément un auteur, il est difficile d’imaginer un auteur qui soit brouillé avec les lettres. Autrement dit, un auteur est au moins un lecteur. Et plus encore, un manieur de mots. Donc de lettres. Bref, un lettré !

Un auteur est donc nécessairement un lettré. C’est plutôt sympa. Mais, ce qui fait l’homme de lettres, c’est la combinaison de deux natures.

Homme de lettres ou femme de lettres, d’hier et d’aujourd’hui 

En effet, si un lettré n’est pas nécessairement un homme de lettres, un homme de lettres est forcément un lettré. De fait, on peut parler d’homme ou de femmes de lettres quand l’homme ou la femme est à la fois auteur, ou écrivain, et lettré(e). De plus, comme en tout, il y a les champions et les amateurs. 

Qu’appelle-t-on homme de lettres  ou femme de lettres ? 

On l’a compris pour pouvoir être qualifié d’homme ou de femme de lettres, il faut écrire et faire montre d’une certaine culture littéraire. On peut, naturellement, écrire sans ça. C’est ce qui se passe quand on raconte une histoire quelconque tirée de son expérience ou de son imagination.

Dans ce cas, on peut être incontestablement qualifié d’auteur ou d’écrivain, et naturellement, de lettré, mais pas d’homme ou de femme de lettres si les références littéraires y sont notablement absentes. D’une manière ou d’une autre.

Est-ce grave, docteur ? D’un point de vue strictement commercial, bien sûr que non ! Un tas d’histoires sans aucune référence littéraire parviennent, nonobstant, à toucher un très large public. De plus, ça n’empêche en rien de se dire lettré !

Et à l’inverse, bien  des ouvrages bourrés de ces mêmes références n’en trouvent aucun, ou quasiment aucun. Est-ce à dire qu’il vaut mieux n’avoir aucune culture littéraire pour écrire et vendre ce qu’on a écrit ?  On peut être tenté de le dire !

Du moins, si la préoccupation principale de l’auteur est d’avoir des lecteurs plus que d’écrire bien, c’est-à-dire avec style.

C’est quoi un homme de lettres, ou une femme de lettres, au XXIème siècle ?

Un homme de lettres ou une femme de lettres écrit avec style

C’est, en effet, par le biais du style que l’homme de lettres opère son retour en grâce. On peut, bien sûr, affirmer qu’écrire sans style particulier, c’est quand même écrire avec un style, le « sans style », justement. Ou plus doctement, le style « naturaliste ».

Ce qui est le propre de la plupart des ouvrages « décalquant » le réel.  

Bon, c’est là un autre débat. Car enfin, où classer alors des auteurs classiques, par exemple, comme Zola, ou encore Céline, et combien d’autres, dont l’œuvre constitue d’incontournables monuments littéraires ?  

Cela dit, le « non style » tel qu’il semble être dans les ouvrages naturalistes est, en réalité, un non style « travaillé ». Rien n’y vient par hasard. Pour faire une analogie « horticole », le style naturaliste est au style, nommons-le classique, ce que le jardin anglais est au jardin à la française.  

De ce point de vue, l’écriture « à la diable » qui caractérise beaucoup d’écrits, en général d’auteurs débutants, est certes le fait, par la force des choses, de lettrés, mais est bien loin de signaler des hommes ou des femmes de lettres.

Un homme ou une femme de lettres appartient au monde des lettres

Autre caractéristique de l’homme ou de la femme de lettres qui a son importance, l’un ou l’autre fait pleinement partie de l’univers peuplé d’éditeurs, de critiques littéraires, d’écrivains reconnus ou primés, etc. 

Le lettré quels que soient ses mérites en est le plus souvent absent. Il ne peut y pénétrer que s’il va jusqu’au bout de son projet d’écriture et que s’il parvient à le faire reconnaître par les différents acteurs de cet univers. 

A noter qu’à défaut de suivre la voie difficile, semée d’obstacles, de l’édition traditionnelle, il est toujours possible de suivre celle, beaucoup plus facile, et tout aussi finalement gratifiante, de l’autoédition. 

En bref 

D’évidence, tout auteur est un lettré. Tout simplement parce qu’il manie des lettres. Cependant, pour qu’il puisse vraiment se revendiquer en tant que tel, il lui faut passer, en quelque sorte, du stade « amateur » au stade « professionnel ». 

Autrement dit, on n’est réellement lettré que lorsqu’on a une bonne connaissance de la littérature. Principalement, classique, plutôt que contemporaine. Ce qui suppose qu’on lise beaucoup. On peut donc être lettré sans être auteur. 

Et sans doute convient-il d’être un peu, beaucoup même, lettré avant d’être auteur. C’est en tout cas, quasiment, le chemin obligé pour pouvoir ambitionner d’être, un jour, peut-être, qualifié d’homme ou de femme de lettres.

La qualification est ancienne, elle peut même donner l’impression de dater un peu, mais il est certain qu’elle veut bien dire ce qu’elle veut dire. Un homme ou une femme de lettres n’est pas un écrivain « à la diable ».

L’un et l’autre  s’inscrivent dans un vaste courant littéraire dont la source remonte très loin et qui n’a pas de fin. Du moins tant que l’humanité  sera en état de penser.

Le chemin pour y parvenir peut paraître ardu, mais y cheminer ne dépend d’aucun diplôme, sauf celui qu’on peut s’attribuer soi-même après force lectures, essais et observations.

Ajoutons pour finir, que l’écriture est un jeu de patience où le hasard règne en maître. Mais, ce n’est pas grave, pour Léon Tolstoï, l’inventeur du roman univers, entre autres :

Les deux guerriers les plus puissants sont la patience et le temps. N’oublie pas que les grandes réalisations prennent du temps et qu’il n’y a pas de succès du jour au lendemain.