Depuis maintenant quelques années, les propos sur l’écriture inclusive vont bon train. « Pour  » et « contre » s’affrontent à fleurets pas très mouchetés. Une question néanmoins se pose pour tous les rédacteurs. Doivent ils ou non rédiger leurs textes en veillant à en respecter tous les codes ? Un scientifique comme Aurélien Barrau s’y est essayé, en partie, il faut bien le dire, mais en partie, quand même, dans son dernier essai sur la science, intitulé « L’hypothèse K ». Même chose pour Alain Damasio avec son dernier livre, « Vallée du silicium », mi- récit, mi- essai et mi roman. Faut-il suivre leurs exemples ? Que doit-on finalement en penser ? A quelle obligation est-on censé répondre ? Une obligation réglementaire ou bien une obligation morale ?  Ou les deux à la fois ? Ou aucune ? Voire, une obligation commerciale ! Essayons de faire le point sur cette question.

L’écriture inclusive, c’est quoi ?

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L’écriture inclusive, c’est quoi – coollibri.com

C’est évidemment la première chose à se demander. On en parle, on en parle, mais sait-on exactement de quoi on parle ? Commençons par en voir les différents aspects avant de s’intéresser un peu plus loin sur les raisons qui la sous-tendent. 

Définition de l’écriture inclusive 

D’abord, à la place d’écriture inclusive, on parle aussi d’écriture neutre ou d’écriture non genrée. Mais, bon, quoi qu’il en soit, la définition reste la même. Il s’agit de suivre un ensemble de règles grammaticales qui visent explicitement à éliminer toutes les formes de discrimination. 

 l’écriture inclusive regroupe ainsi un ensemble de règles grammaticales visant à éliminer toutes les formes de discrimination du genre dans la langue française. Bref, il s’agit de s’assurer grâce à des attentions graphiques et syntaxiques qu’on respecte une stricte égalité des représentations entre les femmes et les hommes.

Les « règles »  de l’écriture inclusive

Position de l’Académie française

Précisons d »emblée que l’Académie française, gardienne institutionnelle de la langue française, nie l’intérêt de telles règles. En effet, dans un document  datant du 26 octobre 2017, elle déclare solennellement et à l’unanimité que :

Prenant acte de la diffusion d’une « écriture inclusive » qui prétend s’imposer comme norme, l’Académie française élève à l’unanimité une solennelle mise en garde. La multiplication des marques d’orthographes et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. 

Autrement dit, d’un point strictement pratique et esthétique, pour les académiciens, l’écriture inclusive pollue, ni plus, ni moins, la beauté de la langue française. De fait, en adoptant cette position, ils ne font que respecter l’article 24 des statuts de l’Académie qui précise  que : 

La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et la diligence possible à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences.

 Les choses sont donc claires. Il n’y a aucune obligation formelle, issue en tout cas de l’Académie française, obligeant les rédacteurs à utiliser les dispositions de l’écriture inclusive.  Mais, quelles sont-elles au juste ? 

Le premier bloc de « règles » de l’écriture inclusive 

Les « règles » de l’écriture inclusive se répartissent en deux blocs de taille inégale. Le premier le plus important comprend les dispositions on ne peut plus officielles de la circulaire édictée  le 21 novembre 2017 par les services du  Premier Ministre, Édouard Philippe étant alors en poste, ayant pour objet  » les règles de féminisation et rédaction des textes publiés au journal officiel de la République française. »

On remarquera tout d’abord que la circulaire a un objectif restreint, celui d’une réglementation uniforme  des textes officiels en rapport avec son objet. Elle ne vise donc pas à substituer de nouvelles règles à celles retenues par l’Académie française. Elle montre seulement un chemin qui doit être respecté par les rédacteurs de ces textes  et qui peut être éventuellement suivi par d’autres structures du même type ou à titre privé. 

Le texte prévoit la féminisation systématique des noms de métier, titres, grades et fonctions, sauf quand l’intitulé est épicène. Pour ce faire, la circulaire renvoie expressément au guide d’aide à la féminisation de ces noms élaboré par le CNRS et l’Institut national de la langue française intitulé « Femme, j’écris ton nom .. »

Indépendamment de cette féminisation nominale, la circulaire demande de considérer le masculin comme une forme neutre 

qu’il convient d’utiliser pour les termes susceptibles de s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes.

Par exemple, on peut donc dire de ce point de vue : les enseignantes sont des enseignants comme les autres. Cependant, il est demandé de recourir autant que de besoin à la double flexion permettant de faire apparaître chacun des deux genres chaque fois qu’on le peut. Ainsi, autre exemple, dans les annonces de recrutement, entre autres,  il convient d’indiquer qu’elles s’adressent aussi bien à des candidats qu’à des candidates. Et ainsi de suite.

Le deuxième bloc de « règles » de l’écriture inclusive

Ce deuxième bloc concerne principalement l’usage de la graphie en point médian. Elle consiste à faire d’un seul mot, un mot à la fois féminin et masculin. Ce qui peut donner, par exemple, les artisan.e.s. Pour l’administration, c’est uniquement dans ce cadre que se situe l’écriture inclusive. Et là les choses sont très claires : 

Je vous invite, précise le Premier Ministre dans sa circulaire, en particulier pour les textes destinés à être publiés au journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive, qui désigne les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine. 

Par ailleurs, est-il ajouté :

Outre le respect du formalisme propre aux actes de nature juridique, les administrations relevant de l’Etat doivent se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques notamment pour des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme.

Autrement dit, l’emploi de toutes ces « règles » du deuxième bloc présente un risque non négligeable d’incompréhension et s’agissant de normes juridiques, d’insécurité normative. Par conséquent, indépendamment du recours au point médian, il n’est pas non plus souhaitable de prendre  des libertés avec la forme des pronoms comme par exemple, « iel« , « iels » ou « ielleux« ,

Ou encore d’inventer de nouvelles règles d’accord suivant la composition des groupes de mots concernés.

Exemple d’écriture inclusive adoptée par des écrivains connus

Exemple d'écriture inclusive adoptée par des écrivains connus - coollibri.com
Exemple d’écriture inclusive adoptée par des écrivains connus – coollibri.com

Sensibles aux arguments des promoteurs de l’écriture inclusive, certains auteurs, comme par exemple, Aurélien Barrau ou Alain Damasio ont adopté l’écriture inclusive dans leurs derniers écrits. En tout cas au moins partiellement et à leur manière. 

L’exemple d’Aurélien Barrau

Aurélien Barrau est un astrophysicien et un philosophe, né en 1973,  qui enseigne à l’université Joseph-Fourier de Grenoble. Dans son livre « L’hypothèse K »,  publié en 2023, il prévient :

La syntaxe dégenrée n’est certainement pas le remède miracle aux inégalités hommes-femmes ! Au mieux elle relève de l’infime. Quel sens y aurait-il néanmoins à refuser ce si mince pas de côté s’il déporte dans une direction souhaitable ? Je tente donc d’y recourir mais, afin d’éviter l’inélégance du mode purement inclusif, je me tourne plutôt, ici et là, vers des accords de genre erratiques et arbitraires.

Ce qui donne des phrases comme celle-ci :

Il existe, par exemple, différents « corps » de chercheurs et chercheuses : les « chargé(e)s de recherche » et les « directeurs ou directrices de recherche ».

L’exemple d’Alain Damasio

Alain Damasio est un écrivain de SF et de Fantasy, né en1969. Il s’est fait connaître avec « La horde du Contrevent » qui a remporté le grand prix de l’imaginaire en 2006 et son roman « Les furtifs » qui décrit un monde où les grandes entreprises sont propriétaires de villes entières a connu un très grand succès à sa sortie en 2019.

Dans  » Vallée du silicium » publié en 2024, mi- essai, mi- récit, pour éviter l’inévitable alourdissement de l’écriture liée notamment à l’utilisation du point médian, mais pour marquer néanmoins son plein  accord pour dit-il participer au combat politique porté au cœur de la grammaire française  :

Pour tenter d’en défaire la domination indue du masculin (…) Je propose pour cet ouvrage une solution simple et percutante que je fais alterner une chronique sur deux : c’est la féminisation assumée des pluriels neutres.

Par suite, là où l’habitude est de parler des européens quand on veut dresser un tableau général les concernant, lui parle des européennes. Ce qui renvoie aux raisons à l’origine du mouvement en faveur de l’écriture inclusive.

Les raisons qui sous tendent l’écriture inclusive 

Les raisons qui sous tendent l'écriture inclusive  - coollibri.com
Les raisons qui sous tendent l’écriture inclusive  – coollibri.com

Des raisons militantes et morales

Ces raisons sont principalement militantes et morales. L’idée est que la manière dont fonctionne une langue a des conséquences sur les attitudes et les comportements de ceux qui l’utilisent. Il en est ainsi de l’emblématique règle du « masculin qui l’emporte sur le féminin« . 

Selon cette règle, l’adjectif qui qualifie plusieurs noms de genre différents s’accorde automatiquement au masculin. Pour certains philologues cette règle n’a aucun sens et ne fait que reproduire un schéma patriarcal propre, notamment, au XIXème siècle.

Pour y échapper, plutôt que d’adopter la solution radicale d’Alain Damasio, beaucoup de rédacteurs choisissent de pratiquer l’accord de l’adjectif avec le nom de genre le plus proche ou avec celui qui représente le groupe le plus nombreux.

Quoi qu’il en soit, ces différents choix possibles ne peuvent qu’illustrer le fait qu’une langue n’est jamais fixée une fois pour toutes.

La langue française, c’est quoi ?

De fait, le débat sur l’écriture inclusive renvoie par la force des choses à celui sur la langue, en général, et à celui sur le français, en particulier. Et en particulier sur son évolution.  Tenons nous en au seul français. 

D’où vient la langue française ? 

C’est une ordonnance royale signée par François 1er le 10 avril 1539 à Villers Cotterêts avec un but, finalement très proche de celui de la circulaire évoquée ci-dessus, qui a jeté les bases de la langue française telle qu’on la connait aujourd’hui.

On peut en voir un exemplaire exposé dans la cité internationale de la langue française installé dans le château de Villers-Cotterêts. Ouvert récemment, le château qui a failli disparaître a bénéficié d’une restauration très réussie et vaut désormais le détour.

la langue française, une langue évolutive

Quoi qu’il en soit, une langue n’est pas fixée à jamais et pour beaucoup d’analystes la masculinisation est bien  la marque d’une époque qui voyait d’un mauvais œil toute manifestation d’émancipation des femmes. D’où selon eux la fameuse règle du masculin qui l’emporte sur le féminin. Argument d’autant plus recevable qu’au moyen âge, une telle règle n’existait pas.

Cela dit, en matière de langage, c’est toujours l’usage qui finit par l’emporter. Et de ce point de vue, pas sûr que l’écriture inclusive parvienne à s’imposer dans tous ses développements. En tout cas, de celui du marketing digital et du référencement, les problèmes qu’elle pose ne sont pas simples à résoudre. Du moins dans ses développements les plus marqués comme le point médian.

Perspectives de l’écriture inclusive 

Au delà de tous ces aspects, notons simplement qu’aucune obligation d’emploi ne s’impose réellement aux auteurs. Hors mis une éventuelle obligation morale. Ajoutons seulement pour finir que le juge de paix en la matière, si on ambitionne d’être publié, ce sont les comités de lecture des maisons d’édition. 

Et là, disons le sans ambages, ce qui prime, c’est le potentiel commercial du manuscrit plus que la rectitude de son écriture inclusive, même si elles peuvent apparemment s’y montrer attachées comme d’autres entreprises soucieuses de faire de cette question un argument commercial.

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