Pourquoi les candidats aux élections écrivent-ils des livres politiques ?


Comme chacun peut facilement le constater, en année électorale, les publications de livres politiques flambent. Si on prend, par exemple, les six premiers de l’année 2021, ce ne sont pas moins de 50 ouvrages de ce type qui ont déjà été publiés. Qu’en sera-t-il d’ici la fin de l’année, à la veille de l’élection présidentielle ? Il est clair qu’on peut s’attendre à ce que la vague continue de s’enfler. Car, n’oublions pas que dans la foulée de l’élection présidentielle, il y a aussi les élections législatives. Par ailleurs, d’une manière générale, les ouvrages politiques se répartissent en quatre catégories. Et les livres écrits directement par les candidats ne constituent que l’une d’entre elles. Mais, c’est l’une des plus importantes. Cela dit, à quel besoin peut bien répondre ces flots d’écriture alors même que, scrutin après scrutin, le nombre d’abstentionnistes ne cesse de grimper ? Commençons par le commencement. 

 

Globalement, les Français n’aiment pas leurs hommes et leurs femmes politiques

Les données du Cevipof de mai 2021

Plusieurs fois dans l’année, le Cevipof analyse le rapport que les Français entretiennent avec la politique, la chose publique, autrement dit, la république. Le Cevipof, c’est le centre de recherches politiques de Sciences po. Il dépend à la fois de l’Institut des sciences humaines, de l’Institut d’études politiques de Paris et du Centre national de la recherche scientifique

 

CEVIPOF
CEVIPOF

 

Dans son étude de mai 2021, il relève que 65 % des Français jugent que les politiques sont corrompus et que 80 % pensent qu’ils ne se préoccupent pas des attentes de la population. De sorte qu’ils sont 75 % à juger négativement l’ensemble de la classe politique. Ces jugements négatifs vont de la méfiance au dégoût pur et simple. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que leur état d’esprit dominant soit de la lassitude, mâtinée de pas mal de morosité.

Des données en phase avec les derniers résultats électoraux

 

Des données en phase avec les derniers résultats électoraux
Des données en phase avec les derniers résultats électoraux

 

Quelles que soient les analyses qui peuvent en être faites, les élections régionales et départementales de juin 2021 sont bien en phase avec l’enquête du Cevipof. Avec un taux d’abstention record de 66,7 % au premier tour et de 65,7 % au deuxième tour, malgré les enjeux et les nombreux appels à la mobilisation électorale, elles en sont, d’une manière ou d’une autre, une illustration concrète.

 

Mais, ils aiment bien lire des livres politiques

Pour autant, les Français aiment, quand même, bien lire des livres politiques. C’est ce que révèle une récente enquête réalisée par Ipsos pour le compte du Centre national du livre. Dans cette enquête, on apprend, ce qui est une bonne nouvelle, que finalement les Français aiment lire et que, d’une manière qui peut surprendre, ils préfèrent lire des livres « papier » qu’ils prennent plaisir à acheter. 

 

ils aiment bien lire des livres politiques
ils aiment bien lire des livres politiques

 

Cela dit, ce qu’ils lisent de préférence, ce sont surtout des romans, des livres pratiques et des BD ou des mangas. Mais, la crise sanitaire et ce qu’elle a engendré, à tous niveaux, ont fait un peu bouger les lignes. Comme le font remarquer les auteurs de l’enquête précitée : 

Les Français ont probablement eu envie de mieux comprendre le monde et de décrypter la crise que nous avons traversée : ils ont lu davantage de livres de reportage et d’actualité sous formes, entre autres, d’essais et de biographies et moins de romans et de livres pratiques.

Il va sans dire qu’une telle évolution ne peut que profiter aux livres politiques dans leur ensemble. 

 

Et, les politiques ambitieux aiment bien se faire valoir avec des livres

Cela tombe bien, car les hommes et les femmes politiques prêts à redorer leur blason grâce à des livres politiques ne manquent pas.

Triple fonction du livre politique 

On peut dire qu’un livre politique sert à prendre du recul par rapport à l’actualité, à approfondir sa réflexion et à montrer qu’on a un peu de talent littéraire. On le constate tous les jours, l’actualité est envahissante. A tel point qu’elle nourrit une sorte d’infobésité.

Et ce tsunami informationnel a souvent pour effet de produire des décisions politiques prises sous le coup de l’émotion provoquée par tel ou tel évènement. En écrivant des livres politiques, l’homme ou la femme politique construit, peu à peu, un cadre de références qui lui permet de mieux agir et réagir face à l’évènement. Quel qu’il soit. 

 

LAMARTINE
Lamartine

 

Par ailleurs, ce qui ne gâte rien, dans un pays empreint d’une forte tradition littéraire, l’auteur d’un livre politique s’affirme aussi comme un auteur qui s’inscrit dans cette tradition et qui maîtrise toutes les subtilités de la langue française.

De Chateaubriand et Lamartine à Charles de Gaulle et François Mitterrand, par exemple, d’éminentes personnalités politiques ont fait la démonstration qu’elles étaient aussi de grands écrivains. Ou inversement. 

Les livres politiques sont d’indéniables boosters de carrière politique

Un bon niveau de vente est souvent un bon indicateur de ce que peut peser un auteur politique d’un point de vue électoral. Cependant, il ne faut pas confondre lectorat et électorat. Les deux ensembles ne se recoupent pas forcément. L’intérêt qu’on manifeste pour un auteur ne signifie pas qu’on manifeste le même intérêt pour l’auteur devenu candidat.

Il n’en reste pas moins que les livres politiques constituent une formidable tribune médiatique pour leurs auteurs et cela, que leurs livres se vendent bien ou mal. De fait, il s’agit, tout simplement, d’une modalité de communication distinguée. Utile aussi bien pour les plus engagés dans le cursus politique que pour ceux que ses aléas ont poussé sur le bord du chemin.

Ainsi, pour Olivier Nora, PDG de Grasset, un livre politique :

C’est un porte-avions pour une re-médiatisation, une opportunité pour revenir sous la lumière. 

 

ils aiment bien lire des livres politiques
ils aiment bien lire des livres politiques

 

Bref, écrire des livres politiques, c’est pour un homme ou une femme politique accroître à coup sûr sa visibilité. Car, ce sont autant d’occasions de faire parler de soi, de participer à des talk-shows et de rencontrer des lecteurs-électeurs lors de séances de dédicaces ou sur les réseaux sociaux.

 

Un livre politique, c’est quoi au juste ?

Les livres politiques au sens strict

Mais, c’est quoi au juste un livre politique ? Sur la cinquantaine de livres politiques publiés au cours du premier semestre 2021, une quinzaine seulement portent la signature d’un politique en tant que tel. C’est ce qu’on peut appeler les livres politiques au sens strict. Et si on regarde de près cette liste, ils ne sont plus que la moitié à concerner un politique réellement engagé. Citons, par exemple : 

  • Impressions et lignes claires, de Edouard Philippe et Gilles Boyer, JC Lattès.
  • Le jour d’après, de Philippe de Villiers, Albin Michel.
  • Mémoires d’outre-haine, de Kofi Yamgname, Locus Solus.
  • L’ange et la bête, de Bruno Le Maire, Gallimard.
  • Députés du peuple humain, de Jean-Luc Mélenchon, Robert Laffont.
  • Pourvoir vivre en Île-de-France, de Clémentine Autin, Seuil.
  • Pas une seule goutte de sang français, de Manuel Valls, Grasset.

Cela peut paraître peu finalement. En fait, les livres politiques se répartissent entre quatre catégories. 

Les quatre grandes catégories de livres politiques

On peut classer les livres politiques suivant qu’ils sont écrits par les acteurs, par ceux qu’on peut appeler les décrypteurs, les conteurs ou les conseilleurs. Ces trois dernières catégories servent naturellement aussi, d’une façon ou d’une autre, les intérêts des candidats à une fonction élective.

Car, sans être écrits directement par eux, ils le sont indirectement. Soit qu’ils « tiennent la plume » de ceux qui les écrivent pour eux, soit qu’ils en sont la source principale d’inspiration.

Les acteurs

Les livres politiques écrits par les acteurs sont ceux qui correspondent aux livres politiques stricto sensu. Comme vus précédemment.

Les décrypteurs

Les livres écrits par les décrypteurs correspondent, la plupart du temps, aux livres écrits par des journalistes ou des essayistes. Ils ont pour objectif de donner des clefs pour mieux comprendre les ressorts de l’actualité et le rôle qu’y jouent, ou peuvent jouer, les différents acteurs. Citons, par exemple :

  • Macron ou le mystère du verbe, de Damon Mayaffre, L’aube.
  • La fin d’un monde, de Patrick Buisson, Albin Michel.
  • La tentation du clown, de Laetitia Krupa, Buchet-Chastel. 
  • Une justice politique, de Régis de Castelnau, l’Artilleur.
  • France-Corse, je l’aime moi non plus, de Paul-François Paoli, L’observatoire. 

Les conteurs

Ce sont les livres écrits avec une approche d’historien ou de mémorialiste. En général, ils racontent ce qui se passe dans les coulisses du pouvoir à un moment donné. Ils sont écrits par les acteurs eux-mêmes du jeu politique, par des auteurs qui écrivent pour eux ou par des enquêteurs complètement indépendants. On peut citer, entre autres, des livres comme :

  • Histoire secrète de la droite française, de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Hachette Pluriel.
  • Emmanuel le Hardi, d’Alain Duhamel, L’observatoire.
  • Le fiasco Blanquer, de Saïd Benmouffok, Les petits matins.
  • Les visiteurs du soir, de Renaud Revel, Plon.
  • Moi, citoyen – L’aventure de la convention citoyenne pour le climat vue de l’intérieur, de Grégoire Fraty, First.
  • Maintenant, je vais tout vous raconter, de Jean-Claude Gaudin, Albin Michel.

Les conseilleurs

Dans cette catégorie entrent les livres écrits par des auteurs qui préconisent des solutions, plus ou moins radicales, pour pousser les acteurs et les électeurs à agir dans un sens ou un autre. On les reconnait, souvent, à leurs titres qui incluent, en général, un verbe actif ou une injonction tels que par exemple : 

  • Savoir pour pouvoir, de François Cornut-Gentile, Gallimard.
  • Abattre l’ennemi, de Juan Branco, L’observatoire. 
  • Reprendre le pouvoir, de François Boulo, Les liens qui libèrent. 
  • Pousser les murs, de Muriel Pénicaud, L’observatoire.
  • L’art d’être français, de Michel Onfray, Bouquins.

 

Les livres politiques, un segment éditorial qui se porte bien

Plus il y a d’incertitude, plus il y a de livres politiques. Il y a une corrélation entre le degré d’incertitude perçu, ou vécu, par une population et le nombre de livres politiques publiés. Cette corrélation est bien compréhensible. Les livres politiques sont censés apporter, à leurs lecteurs-électeurs, des clefs pour mieux comprendre les raisons de leurs inquiétudes et des pistes pour en sortir. 

Il y a forcément plusieurs manières d’aborder l’écriture d’un livre politique. On peut le faire directement en tant que candidat, à l’occasion d’un scrutin, ou indirectement, en suscitant, par exemple, l’écriture d’ouvrages qui peuvent peser sur l’image de candidats potentiels ou sur leur future action politique, une fois élus.

A noter que l’écriture de ces ouvrages obéit aux mêmes règles de clarté, de mise en route et de promotion que n’importe quel autre ouvrage et peut tout aussi bien faire l’objet d’une autoédition.

Quoi qu’il en soit, un livre politique, si bien écrit soit-il, ne remplace pas l’action et doit nécessairement y conduire. Car, comme le rappelle, si justement, Stéphane Théri, auteur de L’Isaac Circus, dont l’enfance a été émaillée de scènes horribles :

En politique, le devoir de faire devrait l’emporter sur le pouvoir de dire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.