Que faut-il entendre par classique de la littérature française ? La notion de « classique » peut paraître fluctuante. Cependant, d’une manière générale, elle dépend principalement de la formation qu’on a reçue et de l’histoire qui en a été faite. De sorte que des ouvrages qui se situent en marge des études littéraires et dont on parle surtout, soit parce qu’ils ont atteint de forts tirages, soit parce qu’ils correspondent à un effet de mode, auront bien de la peine à faire partie des classiques. 

Cela dit, un auteur classique, homme ou femme, doit avoir marqué son temps.  Et ce « marquage » doit avoir passé avec succès l’épreuve du temps. Autrement dit, il faut que, plusieurs décennies après avoir publié l’ouvrage qui a fait sa gloire, on le lise encore avec intérêt, sinon avec passion. Parce que souvent on les laisse de côté, la liste qui suit est uniquement consacrée aux femmes, auteur de classiques. Elles ont réussi l’épreuve du temps et une chose est certaine, il faut les lire absolument, au moins une fois dans sa vie.

 

Les classiques de la littérature française, les plus anciens, écrits par des femmes 

On en cite, en général, deux.

 

Les lais et les fables de Marie, dite de France (1154-1189)

Marie de France est sans doute la première femme de lettres à être reconnue comme telle en Occident. On sait peu de choses de sa vie si ce n’est que ses écrits qui célèbrent l’amour courtois et l’idéal chevaleresque ont eu un immense succès de son vivant même. Mais ce qui lui a survécu ce sont surtout ses contes et fables, inspirés d’Esope, et dont La Fontaine s’inspirera à son tour.

Les lais et les fables de Marie, dite de France
Les lais et les fables de Marie, dite de France

Si on a du mal à lire ex abrupto les textes médiévaux de Marie de France, on peut commencer par lire l’excellente biographie que lui a consacré Lauren Groff et qu’elle a intitulé Matrix. Elle y dresse le portrait d’une femme hors du commun qui réussit à s’imposer par la magie des mots dans un monde dominés par les hommes.

 

Les cent ballades de Christine de Pisan (1363-1431)

Avec Christine de Pisan, on n’est pas loin de quitter le moyen-âge et d’aborder la Renaissance. C’est effectivement en 1417 que Le Pogge  (1380-1459), digne successeur de Pétrarque, redécouvre le De Natura Rerum de l’auteur antique Lucrèce et la philosophie d’Epicure qui mettra en quelque sorte le feu aux poudres. 

Christine de Pisan, d’origine italienne, est du même « tabac » que les érudits florentins redécouvreurs de la littérature antique. Elle est doublement moderne à la fois par la diversité de ses écrits qui abordent tout un tas de thèmes et par le fait qu’elle vit de sa plume. 

 Vie mouvementée de Christine de Pisan

C’est une décision qu’elle prend à la suite de la mort de son mari Etienne de Castel en 1387. Déjà fort érudite, plongée dans de grosses difficultés matérielles, elle s’en sort néanmoins par la rigueur de sa gestion et sa volonté de parfaire ses connaissances.

Les cent ballades Christine de Pisan
Les cent ballades Christine de Pisan

Le livre des cent ballades est son premier grand succès. Comme son titre l’indique, il s’agit de pièces lyriques écrites sur un mode poétique qui décrivent la condition féminine d’une femme de haut rang à cette époque. Après ce premier succès, bien d’autres suivront, tous empreints d’une sorte de protoféminisme,  dont le plus pur exemple est  celui donné par « La cité des dames ».

Production littéraire prolifique de Christine de Pisan

Témoin privilégiée de la lutte entre les armagnacs et les bourguignons, elle laisse une biographie remarquable de Charles V, intitulée  « Le livre des faits et bonnes mœurs du roi Charles V le sage » et un traité de politique « Le chemin de longue étude  » qui n’est pas sans rappeler « Utopia » de Thomas More (1478-1535).

Si on veut avoir un aperçu complet et romancé de ce que fut Christine de Pisan on peut lire avec profit la biographie que lui a consacré Françoise Autrand, « Christine de Pisan, une femme en politique 1365-1430« ,  publiée chez Tallandier.

 

Classiques écrits par des femmes de lettres de la Renaissance

On en cite, également, souvent deux.

 

L’heptaméron de Marguerite de Valois-Angoulême (1492-1549), dite la perle des Valois

L'heptaméron de Marguerite de Valois-Angoulême
L’heptaméron de Marguerite de Valois-Angoulême

Marguerite de Valois-Angoulême, c’est la sœur aînée de François 1er, mais c’est aussi la grand-mère du futur Henri IV. Devenue reine de Navarre par son second mariage en 1527, on l’appelle alors Marguerite de Navarre

Voilà pour la généalogie. Marguerite de Navarre est donc une grande Dame qui aime les idées nouvelles et protège des artistes comme Rabelais. Elle écrit beaucoup de choses comme, par exemple, Le Dialogue en forme de vision nocturne ou le Miroir de l’âme pécheresse, mais ce qu’on retient surtout, c’est son Heptaméron.

C’est un recueil de 72 nouvelles qui sont des histoires racontées, à tour de rôle, par une dizaine de personnes pendant huit jours. Marguerite de Navarre alterne ainsi anecdotes et dialogues en fonction des différents profils des narrateurs, cinq hommes et cinq femmes, composant le petit groupe.

Chacun des récits fait naturellement sens et l’amour y est central. Le procédé s’inspire de celui utilisé par Boccace (1313-1375) pour écrire les cent nouvelles de son Décaméron. On peut en suivre la postérité jusqu’aux Cent contes drolatiques de Balzac qui datent des années 1830.

 

Les élégies et les sonnets de Louise Labé (1524-1566), dite La Belle Cordière

Les élégies et les sonnets de Louise Labé
Les élégies et les sonnets de Louise Labé

Elle a fait partie de l’Ecole de Lyon qui a rassemblé à Lyon, au XVIème siècle, une kyrielle d’humanistes et de lettrés et dont le chef de file était Maurice Scève (1505-1569).

La Belle Cordière n’a pas laissé une œuvre immense puisqu’elle tient en 662 vers et un seul volume. Mais, on y trouve un Débat de Folie et d’Amour, qui inspirera la fable de La Fontaine, L’Amour et la Folie, trois Elégies et vingt-quatre sonnets. 

Là encore le thème de l’amour y est central, mais vu essentiellement du côté féminin. Femme de lettres, longtemps un peu confidentielle, mais largement reconnue aujourd’hui et en tout cas, à coup sûr, femme lettrée, ayant pu disposer d’une bibliothèque remarquable d’auteurs grecs, latins, italiens, espagnols et français.

Sans surprise, on peut voir dans son œuvre l’influence d’Homère, d’Ovide, de même que de la poétesse Sappho. Ou encore, là aussi sans surprise, d’auteurs comme Erasme ou Pétrarque.

Cependant, pour ajouter au mystère, car on ne connaît pas très bien la vie de la belle cordelière, pour certains spécialistes, elle ne serait qu’une fiction littéraire inventée de toutes pièces par les habitués de l’Ecole de Lyon.  Comme le dit le proverbe :

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.

 

Classiques de la littérature française au féminin pendant le siècle des Lumières

Avec le siècle des Lumières, les femmes jouissent d’une influence comme jamais auparavant. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le nombre de femmes de lettres de cette époque ayant écrit des classiques soient plus grand qu’au cours des époques antérieures et qu’on les connaisse mieux. Citons-en au moins quatre, mais on pourrait en citer beaucoup plus. 

 

Les lettres de Madame de Sévigné (1626-1696)

Les lettres de Madame de Sévigné
Les lettres de Madame de Sévigné

Madame de Sévigné est la fille d’un gentilhomme bourguignon. On ne résiste pas au plaisir d’en rappeler le nom, Celse-Bénigne de Rabutin, baron de Chantal, tant il condense à lui seul l’esprit de son siècle. A six ans, elle est orpheline de père et de mère et sera élevée par sa parentèle.

Ce qui peut expliquer bien des choses sur ses motivations et le rythme de ses lettres, presque quotidiennes, à sa fille Françoise, Comtesse de Grignan, qui constituent l’essentiel de son œuvre. Mais pas que, puisqu’elle s’adresse aussi à son cousin, le comte de Bussy

Il s’agit du fameux Bussy-Rabutin, auteur de la scandaleuse, pour l’époque, « Histoire amoureuse des Gaules« . Laquelle lui valut d’être chassé de la Cour et d’avoir l’obligation de se retirer sur ses terres en Bourgogne.

On peut encore y visiter le château où il demeura près de Montbard. C’est un domaine remarquable. Sa décoration unique restitue bien l’atmosphère d’une grande demeure seigneuriale de son temps.

Dans ses lettres, Marie de Rabutin-Chantal, Madame de Sévigné, après son mariage avec Henri de Sévigné, parle de tout et de rien. Elle ne cherche jamais  à se mettre particulièrement en valeur.

L’esprit du Grand Siècle

Après tout, sa grand-mère paternelle, Jeanne Frémyot, baronne de Chantal, est co-fondatrice de l’ordre des Visitandines avec François de Sales. Ce qui compte, c’est de rapporter tout un tas de faits  et d’observations, au jour le jour, capables de relancer en permanence la curiosité de sa lectrice privilégiée. Et de temps en temps, de son lecteur. 

Le style y et simple et familier, mais en aucune façon relâché. Les mots et les phrases sont choisis avec art et délicatesse. Bref, avec Madame de Sévigné, c’est tout l’esprit du grand siècle qui transparait au fil de ses lettres. En la décrivant, dans son roman, sous les traits de Madame Cheneville, Bussy-Rabutin dira d’elle :

Il n’y a pas de femme qui ait plus d’esprit qu’elle et fort peu qui en aient autant; sa manière est divertissante : il y en a qui disent que, pour une femme de qualité, son caractère est un peu trop badin.

Nul doute que cet esprit transparait aussi dans les écrits de cet autre grand auteur de la littérature française qu’est Marcel Proust. Raison pour laquelle elle figure, entre autres et on ne peut plus naturellement, parmi les grands auteurs classiques de la littérature française.

 

La princesse de Clèves de Madame de Lafayette (1633-1693). Un des plus grands classiques de la littérature française.

La princesse de Clèves de Madame de Lafayette
La princesse de Clèves de Madame de Lafayette

Madame de Lafayette, contemporaine de Madame de Sévigné, est quant à elle de petite noblesse. Sa mère était la fille d’un médecin du roi Lois XIII, lui-même issu d’une famille de lettrés. Son père, Marc Pioche, écuyer du roi, un peu honteux de ses origines bourgeoises, se faisait appeler Aymar de la Vergne.

A la mort de son père, sa mère se remariera avec Renaud-René de Sévigné, un oncle du mari de la marquise. Et voilà comment les deux femmes furent liées par des liens familiaux.  Quant à Marie-Madeleine, elle  reçoit la charge de demoiselle d’honneur de la reine Anne d’Autriche, pratiquement dans le même temps où sa mère se remarie. 

C’est le début de son ascension dans les lettres. Elle n’a que quinze ans, mais très vite elle fréquente le meilleurs salons littéraires. Ces derniers sont de vraies officines de pouvoir et d’influence. Et bientôt, elle épouse le comte de La Fayette, frère de celle que Louis XIII aima passionnément, mais de manière platonique. Elle a vingt-deux ans.

Son ascension littéraire se poursuit, elle compte parmi ses amis les meilleures plumes du moment et tient à son tour un salon littéraire réputé. Sous le pseudonyme de Segrais, elle écrit  une nouvelle historique La princesse de Montpensier. On est en 1662 et c’est son premier essai en tant qu’auteur. 

Essai transformé. Elle récidive alors avec un ouvrage un peu plus long. Il s’agit d’un  roman historique hispano-mauresque intitulé Zaïde, Elle signe encore avec le même pseudo. 

Incipit de la Princesse de Clèves

Et puis, c’est La princesse de Clèves. C’est un ouvrage de la maturité. Elle a quarante-cinq ans quand il est publié. On en a rappelé l’histoire dans notre liste des cinquante grands classiques de la littérature française à lire absolument. C’est son chef d’œuvre. C’est le prototype des romans d’historiques dont beaucoup d’écrivains s’inspireront par la suite. Mais pas que.

Mme de Lafayette, bien placée pour le comprendre du fait de ses relations distendues avec son mari, y traite de l’opposition, difficile à admettre à une époque plutôt libertaire et hédoniste, entre les obligations morales dues à son rang et les inclinations amoureuses. Ici, les premières l’emportent sur les secondes. Quoi qu’il en coûte.

Le roman commence ainsi :

La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne d’Henri second. Ce prince était galant, bien fait et amoureux…

On n’est pas loin d’Antigone, de Sophocle. Après ce coup de maître, trois autres ouvrages seront publiés sous son nom. Mais à titre posthume : Histoire de Madame la Comtesse de Tende, Histoire d’Henriette d’Angleterre ou histoire de Madame et Mémoires de la Cour de France pour les années 1688 et 1689.

A noter que Gilbert de La Fayette (1757-1834)  qui s’illustra pensant la guerre d’indépendance américaine lui est apparenté.

 

Correspondance de Madame du Deffand (1696-1780)

Correspondance de Madame du Deffand
Correspondance de Madame du Deffand

Madame du Deffand, née Marie de Vichy-Chamrond, est de très vieille noblesse. Elle est ce que le siècle des Lumières a produit de plus pur en matière d’esprit représentatif de l’Ancien Régime. Elle sera une des principales contributrices d’une époque dont Talleyrand (1754-1838) dira :

Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1780 n’a pas connu le plaisir de vivre. 

C’est en 1742 qu’elle commence une correspondance avec pratiquement toutes les célébrités de son temps dont Voltaire. Son amitié avec ce dernier sera indéfectible. De fait, à bien des égards, ils ont la même tournure d’esprit. D’ailleurs, le grand critique littéraire Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869) dira d’elle :

Mme du Deffand est avec Voltaire, dans la prose, le classique le plus pur de cette époque, sans même en excepter aucun des grands écrivains.

Le fait est que, ceci expliquant sans doute cela, Madame du Deffand était une « salonnière » avant que d’être un écrivain et que, dans ce cadre, « tapissé de moire bouton d’or », elle a su porter au plus haut degré l’art de la conversation fait à la fois de légèreté et d’ironie. De lucidité, toujours !

Ajoutons que c’est cet art et l’esprit qui le sous tendait qui a fait, un temps, de Paris, la capitale du monde. « The place to be« . Pour en savoir plus, on peut lire le livre écrit par Benedetta Craveri, intitulé « Madame du Deffand et son monde« , publié par Flammarion en 2017.

 

La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges (1748-1795)

La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges
La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges

Elle s’appelle en réalité Marie Gouze. Avant de se faire connaître comme femme de lettres, elle commence sa vie comme courtisane. Elle sera notamment entretenue par Jacques Bietrix de Rozières. Incontestablement, on peut dire qu’elle a été une des pionnières du féminisme. En tout cas, c’est à elle qu’on doit la rédaction en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Un des grands classiques de la littérature française à redécouvrir.

Son préambule est clair, net et précis. Ainsi pour elle, il ne fait aucun doute :

 Que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements..

Elle adressera le texte à Marie-Antoinette pour qu’il soit présenté à l’Assemblée Nationale. Celle-ci n’en tiendra aucun compte et Olympe de Gouges finira guillotinée en 1793. Robespierre n’ayant pas su apprécier, à leur juste valeur, ses prises de position humanistes et démocratiques.  I

Il est vrai que pour l’historien de la Révolution qu’a été Jules Michelet, cherchant à justifier l’inacceptable : 

La femme devenait l’obstacle et la contradiction du progrès révolutionnaire que demandait le mari.

Elle aura eu, néanmoins, le temps de laisser une œuvre composite comprenant un grand nombre de pièces de théâtre et une masse d’écrits politiques ou philosophiques, réclamant, entre autres, l’abolition de l’esclavage.  Pour en savoir plus sur Olympe de Gouges, on peut lire la biographie écrite par Olivier Blanc publiée par Taillandier en 2022 ou la BD qu’en ont tiré Catel et Boquet publiée par Casterman.

 

Fin d’une époque, début d’une autre pour les femmes de lettres classiques de la littérature française

Avec la fin du XVIIIème siècle s’achève une époque très porteuse et très brillante  pour les femmes de lettres, mais encore bien circonscrite à une certaine classe ou société. Mais, le pli est pris. Et, à partir de là,  les femmes auteur ne vont avoir de cesse de produire des œuvres plus remarquables les unes que les autres. 

De ce point de vue, Olympe de Gouges en est l’élément précurseur. Pourtant, le XIXème siècle ne leur sera finalement guère favorable. Il faudra surtout attendre le XXème siècle, pour que s’ouvre réellement une nouvelle période, digne du XVIIIème siècle, où les femmes écrivains vont exceller et produire de nouveaux classiques.

Recenser les unes et les autres, c’est l’objet des 2ème et 3ème parties à suivre de la liste des  25 classiques de la littérature française écrits par des femmes à lire absolument.

1 comment

  1. C’est absolument formidable et fascinant comme la femme est immense dans cette littérature…
    Ça dit que la France à toujours opté pour l’égalité du genre .

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