Entendons-nous bien. Quand on se pose la question de savoir comment écrire ses mémoires, il ne s’agit aucunement de faire le récit de sa vie.

Ah bon ?

Mais alors qu’est-ce que c’est que d’écrire ses mémoires ? Cependant, soyons juste.

Il y a bien une part de la vie personnelle de l’auteur dans ses mémoires. Et la tendance actuelle est plutôt de confondre dans un même ensemble, journal, mémoires, autobiographie, carnets intimes, bref, tout ce qui parle de soi.

Sauf que dans des mémoires, si on s’en tient à la tradition, cette part n’est pas l’essentiel. Loin de là, d’ailleurs.

Oublions donc les récits autobiographiques faussement intitulés mémoires ou souvenirs et revenons-en à ce qui fait la trame des mémoires et leur originalité. Pour cela, commençons par voir quelles conditions remplir pour écrire des mémoires, puis, examinons les différentes formes que peuvent prendre des mémoires.

Car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas de modèle unique. Et enfin, question pratique, une fois décidé, comment procéder ou comment faire pour écrire ses mémoires.

 

Que signifie écrire ses mémoires ?

Répondre à cette première question, c’est commencer par se demander quelles conditions remplir pour écrire et bien écrire ses mémoires. A notre avis, il y en a principalement deux.

Il faut soit avoir été acteur d’évènements historiques, soit témoin de ces mêmes évènements. On le voit, l’histoire, petite ou grande, est le fil conducteur de tout mémoire. Par contraste, elle peut être quasiment absente d’une autobiographie. Mais, dans des mémoires, c’est impossible.

 

Définition de Mémoires

D’où la définition de Mémoires, comme substantif masculin, qu’en donne le site spécialisé dans la langue française, Espacefrançais.com :

Au pluriel avec une majuscule dans cette acception et dans le titre d’une œuvre, les Mémoires sont une sorte de composition historique ayant pour objet de relater des évènements auxquels le narrateur, homme d’État, militaire, écrivain, artiste, s’est trouvé mêlé. 

Pour notre part, nous distinguerons deux types de Mémoires : les Mémoires plaidoyers et les Mémoires ethnographiques.

 

Les Mémoires plaidoyers

Longtemps, les Mémoires ont été principalement, sinon exclusivement, écrits par des auteurs ayant participé à des évènements historiques. Un des Mémoires les plus connus et très ancien est celui composé par Jules César. Sous le titre de Commentaires sur la guerre des gaules, il a été étudié par des générations de latinistes.

Mémoire de Jule César : Commentaires sur la guerre des Gaules. Livres I, II, III et IV
Mémoire de Jule César : Commentaires sur la guerre des Gaules. Livres I, II, III et IV

La particularité des Mémoires s’inscrivant dans cette tradition est que leur auteur s’y efforce de donner son point de vue sur sa participation aux évènements qu’il rapporte. Naturellement dans un sens qui justifie son action et montre toute l’intelligence dont il a su faire preuve pour surmonter les obstacles qu’il lui a fallu affronter.

Bien souvent, les historiens ne disposent que de ces matériaux pour reconstituer, par exemple, les enjeux d’un conflit très ancien et on comprend bien les difficultés que cela peut représenter pour les décrire de manière objective.

 

Style des Mémoires plaidoyers

Depuis Jules César, bien des mémoires ont atteint la célébrité et ont fini par alimenter un genre littéraire en soi. La clarté des phrases ciselées par Jules César illustre bien l’homme d’action et sont comme une marque de fabrique de ce type d’ouvrage.

On ne peut donc être surpris d’en trouver d’autres exemples dans les Mémoires d’hommes d’action plus contemporains comme Winston Churchill ou Charles de Gaulle.

Winston Churchill : Mémoires de guerre coffret 2 vol. 1919-1941 et 1941-1945
Les mémoires de guerre de Winston Churchill.

Outre les arguments en faveur de l’action menée, s’y ajoutent immanquablement des considérations sur les temps vécus par l’auteur.

Souvent, de mémorialiste, il se fait alors moraliste.

 

Exemple de style de Mémoires plaidoyers

Dans ce qu’il a intitulé Mémoire de paix pour temps de guerre, publié en octobre 2016, Dominique de Villepin rappelle, par exemple, son rôle dans la résolution de la guerre civile en Colombie. Après avoir resitué le conflit et décrit ses différents acteurs, l’auteur parle de ce qu’il a fait et dit ce qu’il en pense.

Ce qui donne l’enchaînement de phrases suivant :

Depuis la fin 2012, le président Juan Manuel Santos a engagé un dialogue avec les FARC, en terrain neutre, à Cuba. Je me suis efforcé de le comprendre et de l’accompagner tout au long de ces dernières années, en le rencontrant à plusieurs reprises et en me rendant à Bogota. Je sais combien le fil de la paix est fragile. Nulle part mieux qu’en Colombie, on mesure à quel point la paix est un labeur quotidien, frustrant, épuisant, souvent ingrat, mais avec, au bout du chemin, la chance de voir éclore ce que plusieurs générations d’hommes et de femmes ont cru impossible.

Qu’on se rassure. Nul besoin d’être Dominique de Villepin ou de participer à des évènements mondiaux pour écrire des Mémoires de cette catégorie.

Mémoire de paix pour temps de guerre
Les mémoires de D.De Villepin : Mémoire de paix pour temps de guerre

On peut tout aussi bien apporter un éclairage particulier sur des évènements locaux, auxquels on a participé, et qui ont abouti à des évolutions qui ont marqué la communauté dont on fait partie.

 

Les Mémoires ethnographiques

Il n’est pas nécessaire, non plus, d’être un acteur clef des évènements que l’on rapporte pour en faire l’objet de Mémoires. Il suffit, bien souvent, d’être le témoin privilégié d’un mode de vie ou d’un milieu particulier. Et les évènements que l’on rapporte peuvent se situer dans des contextes extrêmement variés, mais toujours à connotation historique.

On parle alors de témoin de son temps pour en qualifier l’auteur. Citons, par exemple :

  • Les Mémoires de Saint-Simon. C’est un beau témoignage sur la vie à la cour de Louis XIV par un de ses membres éminents, Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon.

 

  • Le Journal des Goncourt. On peut y revivre les combats critiques qui ont agité les milieux littéraires, principalement sous le second Empire.

 

  • Le Cheval d’orgueil de Pierre-Jakez Hélias. Paru en 1975, l’ouvrage décrit, avec beaucoup de sensibilité et de sentiments, le quotidien d’une famille de paysans bretons de Pouldreuzic, juste après la Première Guerre mondiale.

 

Quand commencer à écrire ?

La chronologie de Mémoires n’a rien à voir avec celle d’une autobiographie. Cette dernière se veut complète.

Ce n’est pas le cas avec des Mémoires. Ils décrivent, en général, une période particulière vécue par leur auteur. On peut donc commencer à écrire des Mémoires à partir de n’importe quel moment d’une existence. Pourvu que cette période fasse sens.

Par ailleurs, d’un autre point de vue, celui de l’écriture proprement dite des Mémoires, on ne peut guère en commencer la rédaction sans avoir réuni et classé tous les documents qui les accompagnent : lettres, photos, etc. Il est conseillé d’inclure dans le texte les plus pertinents d’entre eux.

De plus, il n’est pas inutile, le cas échéant, de créer une annexe avec la liste des ouvrages auxquels il peut être fait référence pour appuyer le récit.

 

Quelles variantes littéraires ?

Indépendamment des deux catégories de Mémoires développées ci-dessus, les plus authentiques, il existe une troisième catégorie ouverte aux auteurs de fiction et aux romanciers. Le principe est simple.

L’auteur écrit son livre comme s’il s’agissait de Mémoires, mais en réalité, soit l’auteur n’est pas celui qui a vécu les évènements, soit les personnages sont fictifs, soit les évènements rapportés mélangent fiction et réalité.

 

Les Mémoires fictifs d’un personnage historique : l’empereur Hadrien et Nelson Mandela

C’est l’exercice auquel s’est attelée la romancière Marguerite Yourcenar, de son vrai nom Marguerite Cleenewerck de Crayencourt, avec ses Mémoires d’Hadrien publiés en 1951. Elle y fait parler l’empereur romain dans une longue lettre qu’il adresse à son petit-fils Marc-Aurèle.

Marguerite Yourcenar, Memoires d'Hadrien
Marguerite Yourcenar, Memoires d’Hadrien

On se situe à la fin du 2ème siècle ap. JC. Arrivé au terme de son existence, l’empereur revisite ses actions et en profite pour donner des conseils pour bien vivre sa vie d’homme et accomplir ses devoirs d’empereur. Autrement dit, d’homme engagé dans la vie publique.

Dans le même genre, mais avec un style totalement différent et des sources documentaires de première main, c’est aussi ce qu’a fait l’auteur Mandla Langa qui a écrit, à la place de Nelson Mandela, les Mémoires des années présidentielles du leader charismatique, sous le titre en français « Être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes« . Dans ce cas précis, la cause en est que Nelson Mandela n’a pas eu le temps de les mettre en forme avant son décès.

Être libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes
Être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes

 

Les Mémoires réels d’un auteur mais avec des personnages fictifs inspirés du réel vécu par l’auteur : Marcel  Proust

Le meilleur exemple en est donné par Marcel Proust avec son roman « A la recherche du temps perdu ». Il y décrit la société qu’il a fréquenté pendant la Belle Époque.

Mémoires de Proust
A la recherche du temps perdu de Proust

Il se sert de modèles réels qu’il a rencontrés ou dont il a lu les Mémoires, comme ceux de la comtesse de Boigne. Ce faisant, il se réfère à une période plus ancienne, mais les propos de la comtesse, bien réelle, lui servent à alimenter ceux d’un de ses personnages, la marquise de Villeparisis, fictive.

Et elle-même présentée comme une mémorialiste.

 

Mémoires mêlant fiction et évènements réels : André Malraux et Georges Pérec

Avec ses Antimémoires, André Malraux, a un projet. Celui de restaurer le sens de l’exemplarité que seuls de grands hommes sont capables de véhiculer, selon lui, et qui lui semble perdu au moment où il écrit.

Il s’est donc efforcé de renouveler le genre mémorialiste pour le rendre plus attrayant et plus « productif ». Pour un de ses critiques les plus clairvoyants, il en renverse toutes les règles connues.

Ainsi pour lui, écrit-il dans l’ouvrage « Littérature et exemplarité » :

Il (André Malraux) ignore l’exigence de continuité chronologique, d’exhaustivité et de véracité qui définit d’ordinaire le genre mémorial.

Quant à Georges Pérec, il se veut novateur dans la lignée du Nouveau Roman et pour son livre intitulé « W. ou le souvenir d’enfance », il organise une alternance entre chapitres. Quand l’un est consacré à une fiction, le suivant est un récit autobiographique. Et ainsi de suite.

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Mémoire de George Perec : W ou Le souvenir d’enfance

Les Mémoires aujourd’hui, entre déclin et renouveau, peuvent, donc, prendre une forme très libre, aux limites des romans de fiction ou d’essais philosophiques. Mais, une chose ne varie pas : la présence d’une trame historique.

 

 

Les Mémoires constituent-ils un genre littéraire à part entière ?

A coup sûr. Et il fait l’objet de nombreux travaux de recherche littéraire. Citons-en, par exemple, deux : 

  • Ceux de Madeleine Bertaud et de François-Xavier Cuche, réunis dans un livre intitulé « Le genre des Mémoires. Essai de définition« , qui analyse de manière très détaillée les Mémoires du XVII ème siècle. A noter que ce siècle peut être considéré comme la grande époque de ce genre littéraire. D’où l’intérêt de l’étude.

 

  • Ceux réalisés sous la direction de Pierre Nora et rassemblés dans le deuxième volume de l’ouvrage monumental intitulé « Les lieux de mémoire » où il est plus particulièrement question des Mémoires d’État.

 

Écrire ses Mémoires au 20 ème siècle

Ce qui est certain, c’est que le genre des Mémoires est beaucoup plus accessible qu’il n’y paraît. Souvent, l’apprenti écrivain bute sur la nature de ce qu’il peut écrire et sur l’intérêt que son texte peut susciter chez d’éventuels lecteurs.

Beaucoup renoncent à ce stade et perdent toute motivation. Pourtant, des Mémoires bien pensés peuvent être une source d’enrichissement et de joie, aussi bien pour des lecteurs passionnés par l’histoire et que pour un auteur soucieux de rendre compte d’un vécu.

En effet, toute existence prend du relief si elle s’inscrit dans un contexte historique bien typé. En son temps, Pierre-Jakez Hélias en a fait la démonstration éclatante.

Mémoire Le cheval d'orgueil, Mémoires d'un breton du pays bigoudin
Mémoire de Pierre-Jakez Hélias : Le cheval d’orgueil, Mémoires d’un breton du pays bigoudin

Son récit de son enfance au sein d’une famille bretonne, du début du vingtième siècle et très imprégnée par la foi chrétienne, a été un bestseller. Le sous-titre d’une thèse que lui a consacré Mannaig Thomas est très explicite : P-J Hélias et le Cheval d’orgueil, le regard d’un enfant, l’œil d’un peintre.

Tout auteur a un certain regard sur ce qu’il vit et peut le retranscrire avec l’œil d’un peintre. Les données historiques sont alors essentielles pour planter le décor. Dans ces conditions, écrire ses Mémoires est peut-être ce qu’il y a de plus facile à faire pour un apprenti écrivain.

10 comments

  1. Vous devriez réviser les règles d’accord du participe passé ! ( « une thèse que lui a consacréE », etc, il y en a d’autres !

  2. Quand on dispose des mémoires d’un parent avec de nombreuses citations de personnes aujourd’hui disparues avec parfois des propos peu amènes, ainsi que des entreprises encore présentes, peut-on les publier?

    1. Bonjour,
      Vous avez bien raison de vous poser la question. Il s’agit d’un sujet sensible et il convient de suivre quelques règles pour vous éviter de potentiels problèmes suite à la publication de votre livre. Nous avons consacré un article à ce sujet, qui je l’espère pourra vous aider dans votre projet.
      Bien à vous

  3. Je me suis rendu compte à la lecture de votre article que les « mémoires » que je croyais écrire étaient plutôt une autobiographie. Je pense cependant y introduire un contenu qui va au-delà de ma petite personne, notamment l’évolution des travaux agricoles moyenâgeux que j’ai connus étant petit, des pratiques d’hygiène dans des villages où n’existait pas l’eau courante, de la vie en pension dans les années 1940… C’est aussi cela que je voudrais faire découvrir.

    1. Bonjour Jean-Paul,
      Entre mémoires et autobiographie, il est parfois difficile de faire la distinction en effet.
      Je vous souhaite en tout cas bonne continuation pour votre projet qui me paraît vraiment très intéressant. 🙂 N’hésitez pas si vous avez des questions.

  4. Les informations que j’ai retenu en lisant cette article m’ont beaucoup renseignées. Un gros merci pour prendre le temps de partager avec nous cet outil indispensable. Je suis présentement dans un projet d’écriture de mes mémoires sur un sujet tabou du droit de la famille. On entend souvent parler d’hommes victimes du système judiciaire ayant « perdu » beaucoup à plusieurs niveaux… finances, émotions, enfants et bien d’autres. Cependant, difficile de croire sans écrits, sans preuves quand ce n’est que du bouche à oreille provenant d’un homme « frustré » de son sort. Par contre, j’ai vécu l’injustice ces dernières 6 années par les manigances et les fabrications de mon ex-conjointe et je tiens à mettre tout par écrit. La raison étant que j’ai obtenu des rapports qui ont révélés la vérité qui m’était inconnu jusqu’à tout récemment. J’ai conservé toutes les preuves pouvant appuyer mes affirmations, mes arguments, mon vécu. Je veux rédiger mes mémoires, témoignage de mon vécu devant un système corrompu pour sensibiliser, partager, aider et faire en sorte que d’autres hommes se reconnaissent et sachent qu’ils ne sont pas seuls là-dedans. Nous sommes souvent victimes de manipulation et le système du droit de la famille doit l’entendre par écrit. Quelles sont mes limites? Je veux citer des noms, des organisations, attacher des lettres, des rapports, des échanges de courriels sans oublier d’acteurs impliqués. Rien que la vérité basée sur les preuves à l’appui, absence de diffamation et d’atteinte à la vie privée, bien sûre! MERCI

    1. Bonjour Lionel,
      Et merci pour votre commentaire !

      Cela semble être un projet complexe mais très intéressant dans lequel beaucoup d’hommes pourront effectivement se reconnaître.
      La présence de preuves n’écartera malheureusement pas le risque de poursuites pour diffamation, mais elles vous permettront de prouver la véracité de vos propos ce qui facilitera vos démarches si poursuites pour diffamation il devait effectivement y avoir.
      Ne disposant cependant pas des connaissances légales nécessaires, je vous inviterais à vous rapprocher d’un avocat ou d’un conseiller juridique qui saura bien mieux vous aiguiller. Certaines plateformes en ligne proposent d’ailleurs de poser directement vos questions sans prendre de rendez-vous.

      Très bonne continuation à vous.

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