Depuis la mise sur le marché, il y a quelques mois seulement, du chatbot GPT d’OpenAI, société aujourd’hui contrôlée par Microsoft, les progrès de l’intelligence artificielle, notamment des IA génératives, sont fulgurants. Il ne se passe guère de jours sans qu’une annonce vienne ajouter une possibilité nouvelle à celles existantes dans l’une ou l’autre des thématiques couvertes par ces IA.. C’est donc à juste titre que les créateurs peuvent s’inquiéter de l’avenir de leurs droits d’auteur dans un contexte où il est facile pour des algorithmes toujours plus puissants de les « piller » sous le regard énamouré de leurs concepteurs pour lesquels rien ne doit arrêter le progrès. Mais, fort heureusement, même si un bon tiers des Français y sont indifférents, selon un récent sondage de l’Ifop, la résistance s’organise, à la fois, sur le plan réglementaire et sur celui des pratiques.

Inquiétudes légitimes des créateurs confrontés aux avancées de l’Intelligence Artificielle

Avancées des Intelligences Artificielles génératives

Avancées des Intelligences Artificielles
Avancées des Intelligences Artificielles

Les développeurs spécialisés en Intelligence Artificielle n’avancent pas, ils courent ! Désormais, il ne se passe pas une semaine sans qu’ils ne nous annoncent pas une nouvelle fonctionnalité révolutionnaire. De celles qui peuvent enchanter ou terroriser. Selon le point de vue où on se place. Et encore, on ne s’intéresse ici qu’à l’IA generative. Citons, entre autres, pour ce qui est de celles-ci  : 

  • MetaAI

C’est l’IA mise au point par Facebook pour générer plus de messages sur Whatsapp, Messenger ou Instagram. Et même via des lunettes Ray Ban connectées à commandes vocales ! Les amateurs peuvent déjà les trouver en magasin pour la modique somme de 300 à 400 euros. Et avec un smartphone dans la poche, on peut tout filmer, sans avoir rien d’autre à faire que le commander. 

  • Alexa d’Amazon

Mais Amazon n’est pas en reste avec son nouvel assistant Alexa. Il faut commencer par télécharger son appli. Après, tout est facile. Vous disposez de « quelqu’un » qui s’occupe pratiquement de tout chez vous. Quand vous le demandez, Alexa vous allume la lumière, la télé sur votre programme favori, met en route le chauffage ou la clim, verrouille votre appart ou votre maison, etc. Et pourquoi pas répondre au téléphone ? L’important est que vous ayez pu faire les connexions qui vont bien avant. 

  • ChatGPT Builder

A tout Seigneur, tout honneur. Non content d’avoir fait le buzz fin 2022, la star des IA Generative, OpenAI, continue de galoper en tête, entrainant dans son sillage, de nouveaux acteurs, tels que, par exemple, le français MistralAI, dont les valorisations explosent « en un week-end », comme aux beaux jours de la bulle internet.  

Aux dernières nouvelles, après la fausse sortie de Sam Altman, le co-fondateur de OpenAI, celui-ci dirige toujours plus que jamais OpenAI avec le soutien de Microsoft. Et OpenAI vient de réaliser un très beau coup avec le groupe de presse d’Axel Springer, propriétaire, entre autres, de Politico, Business Insider, Die Welt, etc. 

En échange de millions d’euros  versés chaque année par le groupe d’Axel Springer à OpenAI, qui s’ajoutent aux milliards déjà versés par Mircrosoft, « sans contrepartie », autre que le partage des revenus, s’il y en a…. ,  les algorithmes de ChatGPT ont désormais  un accès privilégié  aux contenus des articles des journaux du groupe multimédia et multinational.  Mais, cet accès va aussi se traduire par une mise en avant privilégiée de ces mêmes contenus par ChatGPT.

Bref, dans ce cas, on assiste, en fait, ni plus ni moins, qu’à la mise en place d’un biais « financièrement » consenti, de part et d’autre. Bien loin des objectifs initiaux des chercheurs fondateurs du labo associatif OpenAI. 

Par ailleurs, le développement de ChatGPT se poursuit à vitesse grand V avec le lancement de ChatGPT Builder qui donne la possibilité aux utilisateurs de ChatGPT Plus de disposer d’une fonctionnalité supplémentaire leur permettant d’avoir une IA générative personnalisée

Inquiétudes des créateurs et méfaits de l’IA générative

Inquiétudes des créateurs et méfaits de l'IA générative
Inquiétudes des créateurs et méfaits de l’IA générative

Comme on peut s’en douter, derrière les applaudissements saluant les prouesses techniques réalisées, ou promises, par l’IA, on peut déjà avoir une idée de tous les dangers qu’elle génère aussi, le plus naturellement du monde. Lesquels menacent, sans façon, sinon en priorité, les rédacteurs et écrivains de tout poils. Ne serait-ce, tout d’abord, que par le pillage sans vergogne des données amassées dans les « fermes numériques ». 

  • Pillage de données par l’exploitation des datasets

Les étudiants et tous les rédacteurs en panne d’idées n’appellent pas ça « pillage » mais recherche documentaire et aide à l’écriture. Cela consiste à formuler une requête sur un clavier d’ordi et à attendre que la machine « recrache », si possible de manière intelligente, au moins intelligible, ce qu’elle a pu « pécher » dans la masse de données, chaque jour de plus en plus gigantesque,  entassées, « ad vitam æternam », sur le net. Evidemment, les auteurs ne peuvent pas y retrouver leurs « petits » mêlés à une montagne d’autres. Et encore moins, en profiter pour percevoir des droits d’auteur.

  • Start-ups sans foi ni loi au nom de l’innovation

Cet entassement fait le bonheur des start-ups et autres Gafa spécialisées dans l’exploitation des datas sets. Plus le gisement est riche, celui des data bien sûr, plus il légitime leur intervention. Sans elles, difficile en effet d’en optimiser toutes les ressources. Et comme leur développement coûte cher, celui des start-ups et des autres, qu’il est « stratégique », il faut bien qu’elles puissent y accéder le plus librement possible. C’est-à-dire, gratuitement. Au nom de l’innovation. Et tant pis pour les auteurs et autres créateurs.

  • « Fake news » et à terme « bouillie pour chiens »

Mais, surtout. L’IA générative, malgré son nom, n’est pas intelligente. Ce n’est, au fond, qu’un système sophistiqué de compilation des données. Quelles qu’elles soient. Vraies ou fausses. Et ce n’est pas tout. Ces données, même vraies, peuvent être, aussi, elles-mêmes, des résidus de compilations antérieures à la requête.

On voit sans peine la séquence. C’est celle que l’on a lorsqu’on enchaîne des copies de copies de copies de copies, etc. Le résultat, c’est inévitablement une sorte de « bouillie pour chiens ». On n’en veut pas aux chiens, bien sûr ! En tout cas,  c’est pour éviter ce risque qu’on peut s’attendre à la multiplication d’accords comme celui que vient de signer le groupe Alex Springer avec OpenAI. 

  • Stéréotypes de genre et autres biais

Evoquer ici ce dernier accord, c’est aborder un autre aspect des dangers, ou des défauts, selon le point de vue auquel on se place,  présentés par l’utilisation d’une IA générative comme, par exemple,  ChatGPT. Encore une fois, une telle IA n’est pas intelligente, elle dépend de la nature des algorithmes mis au point par ses concepteurs.

Pas des « vieux de la vieille », comme on dit, mais, en général, des « milleniums« , dont ils reflètent  les préjugés ou ce qu’ils estiment être les bonnes tendances du moment. Autrement dit,  ces IA n’ont, en fait, pas moins de biais cognitifs que leurs géniteurs, dont, entre autres, leurs représentations en matière de genre.

En bref :

Bref, les auteurs réellement créatifs et originaux n’ont pas vraiment à craindre les productions de n’importe quelle IA. Ce n’est pas demain la veille que l’une d’entre elles sera en mesure de produire des œuvres du même niveau que celles, tenez, des grands classiques féminins de la littérature française.

Ce n’est évidemment pas le cas, si ces auteurs en viennent à confondre écriture originale et aide à l’écriture. Là, ils ont effectivement tout à craindre. Et quelque part, c’est tant mieux !

Ripostes institutionnelles pour une meilleure protection contre l’Intelligence Artificielle

Ripostes institutionnelles pour une meilleure protection contre l'Intelligence Artificielle
Ripostes institutionnelles pour une meilleure protection contre l’Intelligence Artificielle

Fort heureusement, tout le monde n’est pas dupe des mirages suscitées par les IA génératives et beaucoup d’acteurs, notamment institutionnels, sont conscients des risques qui accompagnent leur développement et des méfaits qu’elles peuvent générer, ainsi que le montrent les trois exemples ci-après.

Contribuer au pacte numérique mondial

On peut souvent douter de l’efficacité des instances onusiennes. Mais, il leur arrive quand même de prendre des initiatives intéressantes. Celle qui concerne le pacte numérique mondial qui sera discuté lors du prochain Sommet du futur de septembre 2024 fait partie de celles-là.

Comme le précise une note du Bureau de l’Envoyé du Secrétariat général pour les technologies, le Pacte numérique mondial :

devrait définir des principes partagés pour un avenir numérique ouvert, libre et sécurisé pour tous.

Super ! On ne peut que souscrire. Jusqu’au 31 mars 2023, on pouvait même participer aux consultations informelles co-dirigées par les co-facilitateurs Rwanda et Suède. Et on peut toujours se rendre sur le site de l’Envoyé pour savoir où on en est. 

Applaudir à l’accord sur l’AI Act  du 8 décembre 2023

Une fois n’est pas coutume, après son adoption au mois de juin 2023 par le parlement européen, le projet de régulation de l’Intelligence Artificielle par l’UE poursuit  son bonhomme chemin avec l’accord négocié entre le Conseil européen et le Parlement. Comme l’a exprimé Carme Artigas Brugel, secrétaire d’Etat espagnole à la numérisation qui a participé à la négociation :

Il s’agit là d’une réalisation historique et d’un pas de géant vers l’avenir !

En vérité, la déclaration enthousiaste de la secrétaire d’Etat ne fait que refléter le sentiment partagé par tous les négociateurs. Alors qu’y-a-t-il de neuf dans cet accord qui puisse le justifier ? Essentiellement le fait qu’il s’agisse d’une première mondiale et d’une approche radicalement nouvelle.

C’est que pour une fois l’initiative dans ce domaine est venue d’une institution et pas d’un Gafa, et que cette institution est suffisamment forte pour pouvoir imposer ses normes au monde entier, à coup de lourdes sanctions financières, s’il le faut.

Mais,  et peut-être surtout, parce que les normes choisies varient selon le niveau des risques encourus. Autrement dit, plus le risque est élevé, plus les règles sont strictes. Cela dit, pour être honnête, rien n’est encore réellement acté et tout reste à faire avant d’arriver à un texte définitif. Les négociateurs ont donc encore de beaux jours devant eux. 

Notons cependant que les auteurs devraient y trouver leur compte puisqu’au bout du compte les utilisateurs des IA génératives seraient obligés d’indiquer la nature artificielle de leur production et de verser, le cas échéant, des droits d’auteur aux organismes de gestion collective correspondant.  Pas si mal !

Applaudir à la proposition de loi n°1630 du 12 septembre 2023

Cela dit, sans attendre ce qui sortira de la navigation sur les méandres des discussions européennes  des députés emmenés par Guillaume Vuilletet ont déposé, le 12 septembre, une proposition de loi visant précisément à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur. 

Cette proposition de loi, si elle était adoptée, se traduirait par la modification de trois articles du code de la propriété intellectuelle (CPI) : les articles L.131-3, L.321-2 et  L.121-2.  Retenons simplement le principe posé tel qu’il figure dans ce que serait le nouvel article 131-3  complété par un nouvel alinéa ainsi rédigé : 

L’intégration par un logiciel d’intelligence artificielle d’œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur dans son système et a fortiori leur exploitation est soumise aux dispositions générales du présent code et donc à autorisation des auteurs ou ayants droit. »

C’est, on ne peut plus clair, mais le texte est bien loin d’être voté.

 Une vigilance encore et toujours nécessaire pour se protéger de l’Intelligence Artificielle

On le voit bien, si les problèmes résultant de l’émergence des Intelligences Artificielles  génératives sont bien cernés, leur encadrement laisse encore à désirer. Et il n’est pas sûr que, dans ce domaine, le temps joue en faveur des auteurs. D’autant que bien des techniciens ont la hantise de se voir « brider » avant d’avoir pu lancer leurs systèmes « miracle » et sont prêts à tout pour  être libres d’innover comme ils l’entendent.

Par suite, il appartient aux auteurs non seulement de faire le nécessaire pour se tenir  informés, par eux-mêmes, de l’évolution de leurs droits, et donc de celle de la rémunération de leur travail, mais aussi de se rapprocher de l’organisation collective, nationale ou internationale, associative ou syndicale, la plus conforme à leur situation. 

Alors oui, dans ces conditions, ses droits d’auteur peuvent être protégés contre toute avancée de l’Intelligence Artificielle

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