Les locuteurs et potentiels lecteurs d’auteurs hispanophones sont près de 600 millions dans le monde. Soit près de 7,5 % de la population mondiale ! Ce n’est pas rien. Loin de là ! Et puis, outre l’Espagne, l’Espagnol est la langue officielle ou co-officielle de 19 pays et pas des moindres comme l’Argentine ou le Chili. Rien d’étonnant donc à ce que cet ensemble linguistique ait produit et produise des auteurs hispanophones remarquables. Et cela d’autant plus que l’omnipotence de la culture anglo-saxonne peut avoir pour effet d’occulter d’autres regards sur le monde contemporain, sans doute plus pertinents du fait de leur éloignement tant géographique que culturel.

Par ailleurs, il est non moins évident que le partage des mêmes racines latines crée un rapprochement naturel avec les auteurs francophones. Ces racines et ces parentés ne peuvent donc que nourrir des approches bien utiles pour s’orienter dans un monde contemporain à bien des égards perturbé. La sélection qui suit est certes limitative, mais peut-être permettra -t-elle d’éviter de s’égarer sur des chemins qui n’en valent pas forcément la peine. Après tout le temps que l’on peut consacrer à la lecture et donc à la réflexion qu’elle induit est lui aussi limité.

ROBERTO BOLANO – coollibri.com

Roberto Bolano (1953 – 2003) – Chili

Destin incandescent que celui de Roberto Bolano qu’un magazine comme Télérama n’hésite pas à célébrer comme l’un des 25 plus grands écrivains de la littérature mondiale de ce début du XXIème siècle. 

Et pourtant les débuts de Bolano n’ont guère été flamboyants. Il suit ses parents au Mexique, puis revient au Chili, où il est né, au moment où Allende se fait renverser par Pinochet. Sa fibre insurrectionnelle le conduit dans les geôles du dictateur d’où il parviendra néanmoins à sortir miraculeusement au bout de quelques jours. 

Avant tout poète et romancier par nécessité – il dira de sa femme et de ses deux enfants qu’ils sont sa seule patrie – il finira par se fixer en Espagne, dans les environs de Barcelone, où il mourra en 2003 d’une insuffisance hépatique et de l’impossibilité de procéder à une greffe du foie. 

Le plus crépusculaire des auteurs hispanophones

Auteur de 13 romans, de 6 nouvelles et de 6 recueils de poèmes, Roberto Bolano est entré de manière fracassante dans le cercle très fermé du meilleur de la littérature mondiale avec notamment 2 titres, « Les détectives sauvages », paru en 1998,  et « 2066 », inachevé et paru à titre posthume, en 2004.

Se présentant volontiers comme un disciple de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges (1899 – 1986), Roberto Bolano, se revendique de l’infraréalisme et pratique une écriture romanesque totale, particulièrement grandiose dans sa dernière œuvre « 2066 », dont les 5 parties couvrent 1001 pages.

Sa manière à la fois hyperréaliste, débridée et désespérée, de mettre en scène une jeunesse impétueuse et confrontée à la réalité du Mal, est d’ailleurs à l’origine d’un courant littéraire dont on peut retrouver les traces chez un auteur également considérable comme l’écrivain finlandais Miki Liukkonen, également poète et musicien,  (1989 -2023), dont le roman fleuve « O » , lui aussi de 1000 pages, n’est pas sans rappeler « 2066 ».

ARTURO PEREZ REVERTE - coollibri.com
ARTURO PEREZ REVERTE – coollibri.com

Arturo Perez-Reverte (1951 -) – Espagne

Né en Espagne, à Carthagène, Arturo Perez-Reverte est devenu au fil du temps un monstre sacré de l’édition mondiale. Rien de moins. Diplômé de Sciences politiques, il commence sa carrière professionnelle comme journaliste. Et pas dans n’importe quel emploi. Comme correspondant de guerre ! A ce titre, il couvrira la plupart des conflits de la fin du XXème siècle. Chypre, Liban, Malouines, Erythrée, Yougoslavie..

De son expérience, il fera un roman, « Territoire comanche », publié en français, en 1994, par les éditions Belles Lettres, dans sa collection Mémoires de guerre. Pour lui, le territoire comanche, c’est écrit-il :

l’endroit où l’instinct lui dit : arrête la voiture et fais demi-tour. L’endroit où les chemins sont déserts et les maisons des ruines calcinées ; où l’on dirait toujours  que la nuit va tomber et où l’on avance en rasant les murs en direction des coups de feu qui retentissent au loin, attentif au bruit de ses pas sur le verre brisé. 

Un des auteurs hispanophones les plus populaires

Quand le territoire comanche parait en 1994, Arturo Perez-Reverte a déjà publié plusieurs romans. 5 en tout. Et à partir de là, de ce qui sonne comme un adieu aux armes, il se consacrera entièrement à sa carrière de romancier et 5 livres vont l’installer définitivement au firmament des auteurs hispanophones incontournables : « Le tableau du maître flamand« , grand prix de la littérature policière 1993, « Le club Dumas« , « Le maître d’escrime » et la série des aventures du capitaine Alacriste. 

Aujourd’hui, Arturo Perez-Reverte, lauréat de nombreux prix prestigieux, membre de l’académie royale espagnole, auteur respecté et régulier d’une tribune hebdomadaire de XL Semanal, lue par des millions de lecteurs, s’efforce d’alerter ses compatriotes, et au-delà les européens, sur ce qui les menacent et risquent de faire disparaitre leurs repères traditionnels.

A plus de 70 ans, on pourrait le croire un peu las d’un combat qui semble perdu d’avance. Mais, son dernier livre « L’Italien« , 29 -ème de la liste, illustre une combativité intacte, car pour Lire Magazine :

Ce récit d’amour et de courage propose une perspective originale sur la guerre, tant par son décor inattendu que par le point de vue adopté, celui de vaincus jamais résignés au déshonneur.

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IRENE VALLEJO – coollibri.com

Irène Vallejo (1979 – ) – Espagne

L’auteur né à Saragosse, titulaire d’un doctorat en philologie classique s’est principalement fait connaître par son essai narratif  « L’infini dans un roseau« , publié en 2020. Réédité plus de 4 fois depuis sa première impression, traduit dans plus de 35 langues, le livre est indéniablement un phénomène d’édition mondial et qui plus est, appelé à durer. 

Que dit Irène Vallejo dans ce livre couvert de récompenses ? En clair que le livre justement est le support irremplaçable qui mène à la transcendance. Quel que soit le contenu que l’on peut lui donner. Et elle en retrace l’histoire, avec le talent d’une conteuse, de ses origines à aujourd’hui. Racontant dans son épilogue l’histoire étonnante, mais ô combien révélatrice du pouvoir de la lecture et de ce qu’on peut en attendre, des bibliothécaires à cheval du Kentucky, pendant la grande dépression des années 30,  elle écrit :

Nous sommes les seuls animaux à raconter des histoires, à chasser l’obscurité avec des contes, à apprendre à cohabiter, grâce aux récits, avec le chaos, à attiser les braises des foyers avec l’air de nos paroles, à parcourir de longues distances pour porter nos histoires aux étrangers. Et quand nous partageons les mêmes récits, nous ne sommes plus des étrangers.

La plus libre des auteurs hispanophones

Ces idées, elle les développe régulièrement dans ses chroniques pour El Pais et l’Heraldo de Aragon. On peut les retrouver dans son beau livre « Etincelles d’humanité : chroniques« . Elles nourrissent les pages de son « Manifeste pour la lecture » paru également en 2020. Mais, la lecture n’est pas seulement pour elle un pont entre les peuples, elle l’est aussi entre les époques et notamment avec les plus antiques.

Cette idée de « littérature-pont » entre les époques, elle en a fait la trame de ses romans, notamment,  « La luz sepultada« , paru en 2011, centré sur la guerre civile, et « El silbido del arquero« , paru en 2015, qui ranime le souvenir de l’Enéide et des dieux grecs. 

En bref, nous dit Irène Vallejo :

Lire, c’est résister au bruit du monde. C’est apprendre à regarder avec des yeux nouveaux. C’est découvrir la beauté de la langue, le pouvoir des histoires et la sagesse des anciens.

Ce qui fait d’elle, à n’en pas douter, une voix littéraire unique qui mérite de figurer dans toutes les listes d’auteurs hispanophones de renom ayant marqué leur temps.

MARIO VARGAS LLOSA - coollibri.com
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Mario Vargas Llosa (1936 -2025) – Pérou

Prix Nobel 2010, reçu par l’académie Française en 2021, publié de son vivant dans la bibliothèque de la Pléiade, péruvien de naissance, naturalisé espagnol et dominicain, marquis, Mario Vargas Llosa est indiscutablement une grande figure de la littérature hispanophone moderne.

Certes, sa carrière littéraire commence  très tôt, au début des années 60, avec un coup de maître qui lui assure avec la publication de son premier roman « La ville et les chiens« ,  une notoriété et une reconnaissance internationale quasi immédiate. 

On pourrait croire que son inspiration se soit fatalement enfermée dans les problématiques du XXème siècle, celles qui ont fait de l’opposition entre ces deux grandes figures d’intellectuels qu’ont été Jean-Paul Sartre et Raymond Aron, l’alpha et l’oméga de tout processus créatif dans l’occident latin.

Le plus francophile, cosmopolite et post moderniste des auteurs hispanophones

Il n’en a rien été, grâce sans doute à la puissance du mouvement dit du boom de la littérature latino américaine dont il a été un représentant majeur. 

Fruit des conditions socio-économiques particulières du continent latino américain, ce mouvement littéraire s’est acharné sur les codes fictionnels traditionnels pour redonner toute sa verve et toute sa liberté à la littérature locale.

Bien avant l’Europe et l’Amérique, il a exploré toutes les facettes libératrices, qualifiées aujourd’hui de post modernistes, faisant des récits une polyphonie d’histoires parallèles entremêlées, de chronologies enchevêtrées et de monologues intérieurs surgissant à l’improviste.

 On a pu ainsi dire que Mario Vargas Llosa était le maître incontesté du bouillonnement romanesque. A vrai dire, auteur de 25 romans, de 10 pièces de théâtre et de plus d’une vingtaine d’essais, toute son œuvre respire l’air et la poussière soulevés par ses engagements politiques successifs.

Ceux-ci ne sont d’ailleurs pas exclusifs et peuvent être considérés comme une marque de fabrique des auteurs latino américains. De son côté, Mario Vargas Llosa a, entre autres, été candidat en 1990 pour être président du Pérou. Présidentielle remportée par son adversaire Alberto Fujimori.

Jusqu’à son dernier souffle, cet engagement portera son œuvre littéraire et son dernier livre « Je vous dédie mon silence« ,  publié en 2024, n’est pas moins puissant que son célèbre « Conversation à la cathédrale« , datant de 1969, ou  que  « La fête au bouc« , publié en 200, typique par sa thématique centrée sur le caudillisme, des auteurs latino américains.

Un auteur de talent, mis au ban par la république des lettres, tel que  Pierre Drieu La Rochelle y a aussi été sensible, comme on peut le constater avec son livre « L’homme à cheval« , publié en 1943.

VICTOR DEL ARBOL - coollibri.com
VICTOR DEL ARBOL – coollibri.com

Victor del Arbol (1968 – ) – Espagne

On peut être tenté de ne voir dans Victor del Arbol qu’un auteur de polar. Après tout quoi de plus normal pour quelqu’un qui a fait partie de la brigade des mineurs de Barcelone pendant près de vingt ans. D’ailleurs tout ses romans, près d’une dizaine désormais, sont tous fondés sur une intrigue de nature policière. Eh bien, ce faisant, on se tromperait ! 

En tout cas,  les membres du jury du prix Nadal, l’équivalent du Goncourt pour la littérature espagnole, ne s’y sont pas trompés. Ils lui ont décernés leur fameux prix en 2016 pour son roman « La veille de presque tout« . Cette récompense n’a fait de plus que couronner toute une série d’autres dont la première à lui être décerné, le prix du polar européen l’a été pour son deuxième roman, paru en 2011, « La tristesse du samouraï« .

Le nec plus ultra des auteurs hispanophones de romans noirs

C’est ce dernier qui a lancé véritablement sa carrière d’écrivain puisque traduit en une douzaine de langues et devenu un bestseller il lui a valu une reconnaissance internationale qui ne s’est jamais démentie depuis.

De fait, à y regarder de près, Victor del Arbol est plus un auteur de roman noir, dont il maîtrise les codes à la perfection, qu’un auteur de polar qui tient en haleine le lecteur soucieux de résoudre l’énigme posée par l’auteur en un temps record.

Non, ce qui intéresse Victor del Arbol, c’est de faire comprendre à ce dernier comment on en est arrivé à la situation tragique qu’il décrit. 

C’est la raison pour laquelle sa technique d’écriture détaille si soigneusement les biographies de chacun de ses personnages et les relie à leur contexte historico-géographique. Dans son étude du mal, thématique récurrente de ses romans, rien n’est jamais neutre.

Elle se nourrit de son expérience concrète. 20 ans à côtoyer dans son commissariat les drames humains subis par les êtres les plus vulnérables, femmes et enfants, cela laisse forcément des traces. Sans compter des débuts dans l’existence un peu chaotiques. Comme il le dit si bien :

Mes expériences ont conditionné ma manière de voir la vie, elles ont fait de moi l’écrivain que je suis. 

Et il ajoute :

Il y a deux types d’auteurs : ceux qui ont une écriture découlant d’une théorie de la vie, par exemple Sartre, et ceux qui partent de l’expérience du concret, pour créer, comme Camus. Je suis camusien.

Assurément, auteur de roman noir, Victor del Arbol est un des maîtres d’un genre , le roman noir, dont une spécialiste telle que Anissa Belhadjin dit qu’il est : 

Le genre privilégié de l’expression de la critique sociale et est considéré comme étant par essence, une littérature du réel , voire une littérature de la dénonciation.

C’est ce qu’on disait de Zola en des temps plus anciens.

Javier Moro (1955 – ) – Espagne

Auteur d’une douzaine de romans historiques, Javier Moro, fils d’un cadre de la TWA et d’une mère sœur du romancier à succès Dominique Lapierre, a lui même connu le succès avec son cinquième roman « Une passion indienne » publié en 2005. 

Il y raconte l’histoire étonnante de la belle Anita Delgado (1890 -1962), une danseuse flamenco, qui rencontre le maharadjah Jagatjit Singh à l’occasion de la cérémonie de mariage du roi Alphonse XIII en 1906. C’est le coup de foudre et ils se marient deux ans après.

Passionné de voyage et d’histoire, Javier Moro après avoir beaucoup voyagé avec ses parents et exercé très tôt ses talents d’écrivain voyageur, fait des  études en anthropologie et en histoire en France à l’université de Jussieu avant de s’envoler pour l’Amérique. Il va y résider de nombreuses années poursuivant une carrière de scénariste, parallèlement à celle de romancier.

Le plus romanesque des auteurs hispanophones

Il récidivera dans le romanesque indien avec « Le sari rose  » publié en 2008 et objet d’une polémique acerbe en Inde. Dans ce nouvel ouvrage, il raconte cette fois la rencontre de Sonia et de Rajiv à l’université de Cambridge où ils font l’un et l’autre leurs études. Sonia est italienne, elle est issue d’une famille modeste, et ce qu’elle ignore c’est que Rajiv est le petit fils de Nehru et le fils d’Indira Gandhi. Deux icônes de la vie politique indienne !

Les deux étudiants s’aiment et se marient. La suite de leur histoire est étroitement liée à celle de l’Inde dont Rajiv devient le Premier ministre de 1984 à 1989. Sonia s’engage à son tour après l’assassinat de Rajiv. C’est dans un contexte politique exacerbé que parait le livre de Javier Moro d’abord intitulé « Le sari rouge » avant d’être intitulé définitivement « Le sari rose ». Seule couleur à pouvoir être acceptée, du fait de sa forte symbolique, par le parti du Congrès.

Ces deux ouvrages qui ont beaucoup fait pour le renom de Javier Moro représentent bien le style et la nature de ses écrits. On retrouve la même verve romanesque et la même empathie pour ses personnages dans ses autres livres comme « Ils veulent notre mort » paru en 2023, consacré au destin politique de Leopoldo Lopez, principal opposant au parti de Hugo Chavez et de Nicolas Maduro. Ou encore, comme dans son dernier livre « The architect of New York » qui s’intéresse à la vie de Rafael Guastavino sans lequel New York ne serait pas New York.

En bref, Javier Moro est le maître incontesté du roman historique, autrement dit, des romans inspirés par des faits réels.

 

LEONARDO PADURA - coollibri.com
LEONARDO PADURA – coollibri.com

Leonardo Padura (1955 – ) – Cuba

Leonardo Padura est l’homme de la Havane par excellence. Non pas qu’il ait nourri une affection particulière pour son régime, mais la littérature lui a permis de passer outre à ce qu’il pouvait avoir de repoussant et de préserver sa foi en une utopie égalitaire et démocratique autre que celle portée par le communisme. Comme il le dira  :

La littérature m’a sauvé du désespoir et de l’exil.

Journaliste, essayiste, scénariste, auteur d’une dizaine de romans, dont la plupart mettent scène l’inspecteur Mario Condé, diplômé en littérature hispano américaine, latiniste à ses heures et auteur d’une importante thèse sur Inca Garcilaso de la Vega, vrai épigone de Thomas More et de son Utopie, Leonardo Padura, lauréat en 2015 du prix de la princesse des Asturies, peut être considéré aujourd’hui comme un grand nom de la littérature mondiale.

Le plus utopique des auteurs hispanophones

Naturalisé espagnol, il n’a pas pour autant quitté son île natale et il vit toujours à Mantilla, un quartier de la Havane, dans la maison où il est né. S’il doit tout d’abord  sa renommée en tant qu’écrivain à sa série de polars intitulée « Les quatre saisons » dont le héros récurrent est l’inspecteur Mario Condé, c’est avec « l’homme qui aimait les chiens« , paru en 2009, une biographie très documentée de Trotsky et de son assassin, qu’il entre dans le cercle étroit des grands auteurs mondiaux. 

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INCA GARCILASO DE LA VEGA – coollibri.com

Le fait est que cette biographie, bonne façon finalement d’écrire une utopie, non seulement fait référence par sa qualité historique et son style, mais aussi par sa hauteur de vue et sa réflexion sur les mirages et les espérances envolées d’une utopie que l’atmosphère si particulière du régime cubain continue néanmoins à entretenir à sa manière. Renouant peut-être avec sa thèse sur Inca Garcilaso de la Vega, il aime à dire :

Nous avons besoin d’une autre utopie qui ne ferait pas les mêmes erreurs.

En attendant, chantre de la Havane qu’il n’a jamais voulu quitter, c’est avec la 10 -ème enquête de l’inspecteur Mario Condé dans « Ouragans tropicaux« , paru en 2023, qu’il fait preuve de la plus grande virtuosité en combinant deux enquêtes, l’une se déroulant en 2016, l’autre en 1910.

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Mariana Enriquez ( 1973 – ) – Argentine

Née en Argentine, trois ans avant l’arrivée au pouvoir de Jorge Videla, épigone d’Augusto Pinochet, arrivé au pouvoir au Chili, juste avant sa naissance. Si ce dernier ne le quittera qu’au début de 1990, le premier sera forcé de le  quitter un peu plus tôt en 1983 et sera condamné à la prison à perpétuité.

C’est dans ce climat marqué en Argentine par des milliers d’assassinats de l’aveu même de son principal ordonnateur que baignera toute l’enfance et l’adolescence de Mariana Enriquez. Ses romans aux titres explicites en portent évidemment la trace, comme par exemple, « Bajar es lo peor » en 1995, « Como desaparacer completamente« , en 2004,  ou encore  » Notre part de nuit« , en 2021, pour l’édition française et grand prix de l’Imaginaire(GPI)  2022. 

La nouvelle génération des auteurs hispanophones

De sorte que si la dictature n’est pas l’objet en tant que tel de ses romans, lesquels s’inscrivent délibérément dans le genre gothique, ses effets délétères et destructeurs de toute sociabilité normale les inspirent néanmoins de bout en bout. Le récit d’horreur, genre qui a ses règles bien à lui, devient alors une sorte de sublimation d’une vie réelle que l’on veut exorciser et dont on veut rendre la violence plus supportable.

Responsable du supplément culture du quotidien très engagé Pagina/12, Mariana Enriquez, figure de proue de la fiction gothique contemporaine, créatrice de personnages générateurs de fandoms, est devenue une sorte de rock star littéraire proche de chanteurs messianiques comme Nick Cave, Warren Ellis ou Patti Smith dont elle est une des fans assumés.

Ce qui ne l’empêche pas, en bonne supporter des gloires du football comme l’argentin Lionel Messi, de reconnaître que :

Le football est le seul lieu d’espoir des argentins, hommes et femmes confondues. Tout le reste est désastreux.

Et ce n’est pas la tronçonneuse de Javier Milei, président élu à la tête de l’Argentine le 10 décembre 2023 qui la fera changer d’avis.

GABRIEL GARCIA MARQUEZ - coollibri.com
GABRIEL GARCIA MARQUEZ – coollibri.com

Gabriel Garcia Marquez (1927 – 2014) – Colombie

Prix Nobel de littérature 1982, Gabriel Garcia Marquez est au firmament de la littérature mondiale depuis la parution de son chef d’œuvre « Cent ans de solitude » en 1967. Inclassable, le roman est de tous les temps et de toutes les cultures. Traduit en 35 langues, il s’en est vendu plus de 30 000 000 d’exemplaires !

En soi, sa rédaction a été pleinement héroïque, digne de ce qu’il raconte, et mériterait de faire l’objet d’un récit à part entière sur les affres de la création littéraire..

Le fait est que Gabriel Garcia Marquez a écrit là une œuvre intemporelle qui au travers de l’histoire des habitants du village imaginaire de Macondo est celle de l’humanité toute entière. De son péché originel jusqu’à son apocalypse finale, ramassée en cent ans dans un coin perdu de la Colombie, ressemblant beaucoup à son Aracataca natale.

L’écrivain emblématique des auteurs hispanophones

Cela dit, avant d’être un romancier reconnu et reçu par les grands de ce monde, Gabriel Garcia Marquez a été un journaliste pas toujours bien accueilli à cause de son militantisme en faveur des causes les plus révolutionnaires d’Amérique latine.

Ce positionnement n’est pas exceptionnel et peut même être considéré comme une constante de beaucoup d’écrivains natifs d’un continent malade de ses dictatures.

Ce sera le cadre de deux autres  de ses romans  » L’automne du patriarche« , paru en 1975,  et « Le général dans son labyrinthe », paru en 1989,  où il explore les deux faces du même phénomène, à la fois très sombre et dans certains cas, libérateur, comme cela a pu l’être avec l’épisode Bolivar, dont il retrace un moment imaginaire dans son roman de 1989.

Quoi qu’il en soit, ce militantisme l’a amené à beaucoup voyager en dehors d’Amérique latine et notamment en Europe, pour éviter les représailles que ses prises de position politique ont naturellement suscitées. Notons que journaliste à ses débuts, il l’est resté durant toute sa vie dans sa manière de voir et comprendre le monde.

Un regard de journaliste

Si son roman « cent ans de solitude » fait ainsi la part belle au surnaturel, il est aussi profondément réaliste et tire profit des observations et des analyses de l’auteur en tant que journaliste. 

Raison pour laquelle, on en a fait le moteur du mouvement littéraire que les critiques ont baptisé « réalisme magique« . Citons,  entre autres, les articles qu’il a écrit de Rome à propos de l’affaire Wilma Montesi, toujours irrésolue, sorte d’affaire Epstein avant l’heure, qui a longtemps secoué dans les années 50-60 le monde politique italien. 

Mort à 87 ans d’une pneumonie, après avoir lutter contre un cancer pendant de nombreuses années, Gabriel Garcia Marquez laisse, incontestablement, en héritage une œuvre puissante qui comprend onze romans écrits de 1955 à 2024, le dernier « Nous nous verrons en août » étant publié à titre posthume.

Edouardo Mendoza (1943 – ) Espagne

Avec Edouardo Mendoza on ne s’ennuie jamais. Pourvu d’un solide sens de l’humour, il a la capacité de dire les choses sans avoir l’air de les dire, mais une fois dites, on s’en souvient toujours. Très attaché à Barcelone, sa vile natale, qui sert de cadre à au moins cinq de ses romans, – on peut en suivre les évolutions de 1887 à 1990, avec des arrêts sur image, en 1929 et 1968 – Edouardo Mendoza a su ramener avec bonheur les lettres espagnoles dans leurs limites traditionnelles et notamment picaresques.

Les critiques et les lecteurs lui en savent gré, et sans surprise, en ont fait en 2016 un lauréat du prestigieux Prix Cervantes, équivalent du Nobel pour les lettres espagnoles, en tout cas, tout aussi richement doté, et en 2025, du non moins prestigieux et richement doté, Prix de la Princesse des Asturies. Au fil du temps, celui pour lequel :

l’important avec l’humour, c’est de ne pas baisser le niveau.

a écrit 16 romans, 5 essais et 2 pièces de théâtre. Parmi ceux-ci, on retiendra de préférence, mais cela est très subjectif, « La vérité sur l’affaire Savolta« , premier roman qui l’a lancé en 1975, « La ville des prodiges« , un de ses plus grands succès, peut-être son chef d’œuvre, qui date de 1986, et le très original « Sans nouvelles de Gurb« , paru en 1990. 

Un des auteurs hispanophones le plus viscéralement attaché à Barcelone, sa ville natale

Dans ce dernier ouvrage, Edouardo Mendoza, un peu à la manière de Montesquieu et de ses lettres persanes, ou de Voltaire et de son Candide, met en scène un extra terrestre appelé Gurb, perdu dans Barcelone et à la recherche du pilote de son vaisseau spatial.

Capable de prendre toutes sortes d’apparences, Gurb est ainsi amené à brosser un tableau plutôt décapant des différents niveaux de la société catalane que son errance lui fait fréquenter.

Un peu à part de ses autres ouvrages, parce qu’il y mêle des personnages historiques à ses personnages de fiction et parce que l’action se déroule à Madrid, la ville des « gatos », les chats, surnom que l’on donne aux madrilènes, retenons « La bataille des chats« , roman paru en 2010 et récompensé la même année par le prix Planeta, encore plus richement doté que les deux précédemment cités.

On y trouve aussi, ce qui fait sa spécificité, le recours a un tableau supposé peint par Vélasquez comme catalyseur narratif qui permet à l’auteur d’éblouir ses lecteurs par sa connaissance du grand maître de la peinture baroque du XVIIème siècle.

En bref, sans avoir l’air d’y toucher, Edouardo Mendoza aborde avec une grande profondeur des thématiques très sérieuses comme la nature du pouvoir, de la liberté ou encore de la démocratie.

Lire et relire les auteurs hispanophones les plus marquants du XXI ème siècle

En conclusion, on ne peut que conseiller de lire et de relire les meilleurs auteurs hispanophones du moment pour mieux appréhender le monde contemporain.

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