On aurait tendance à oublier que les publications destinées à la jeunesse font l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics. Pourquoi cette tendance à l’oubli ? La réponse est simple, internet est passé par là ! Et pas que, d’ailleurs, si on pense à certains mangas. Sans compter les innombrables ouvrages « adultes » facilement accessibles pour tout jeune lecteur un tant soit peu déterminé. Seulement voilà, une récente décision du ministre de l’Intérieur, publiée au journal officiel le 18 juillet 2023, rappelle que les pouvoirs publics peuvent exercer une censure, ou une surveillance « rapprochée », si on préfère,  sur les publications destinées à la jeunesse et contraindre leurs éditeurs, quels qu’ils soient, à les retirer de la vente. 

Les fondements juridiques de la censure des publications destinées à la jeunesse

Origine de la censure des publications destinées à la jeunesse

Origine de la censure
Origine de la censure

Une loi votée 4 ans après la fin de la guerre

Il convient de noter, tout d’abord, que ces fondements juridiques ne sont pas nouveaux. Ils datent pour l’essentiel de la loi du 16 juillet 1949 relative aux publications destinées à la jeunesse. 

Pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette loi, il peut être utile de rappeler le contexte politique de l’été 1949. A ce moment-là, il n’y a guère que 4 ans que la bombe d’Hiroshima a mis fin à la seconde guerre mondiale et les publications made in USA déferlent sur le pays, sans crier gare.

 Contexte social et politique troublé et instable

De plus, depuis septembre 1948, la France, régie par la constitution de la IVème République, est gouvernée Henri Queuille. Avec une durée de 1 an et 24 jours, ce sera un des gouvernements les plus longs de cette République. Il est soutenu par une coalition dite de la troisième force. Celle-ci rassemble des élus de gauche, du centre et de droite. 

Jules Moch, un leader de gauche issu des rangs de la SFIO (Section Française de l’internationale Ouvrière) en est le ministre de l’intérieur. On peut dire que c’est lui le grand artisan de la loi du 16 juillet 1949.

Son action dans ce domaine s’inscrit  dans un contexte marqué par une forte agitation sociale. Depuis plusieurs mois, elle prend la forme de mouvements sociaux quasi insurrectionnels.  

Pour certains auteurs, la loi du 16 juillet 1949 participe ainsi, à cette époque, d’un effort de reconstruction morale de la population. 

Champ d’application de la loi du 16 juillet 1949

Cela dit, les dispositions de la loi s’appliquent aux publications destinées à la jeunesse dont la nature peut être qualifiée de pornographique. Mais pas seulement. Son article 2 réactualisé en 2011 précise, en effet : 

Les publications mentionnées à l’article 1er ne doivent comporter aucun contenu présentant un danger pour la jeunesse en raison de son caractère pornographique ou lorsqu’il est susceptible d’inciter à la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, aux atteintes à la dignité humaine, à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants ou de substances psychotropes, à la violence ou à tous actes qualifiés de crimes ou de délits ou de nature à nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral de l’enfance ou la jeunesse.

Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse.

Comme on peut ainsi le constater le champ d’application de la loi est vaste et conforme à l’évolution récente du droit de la liberté d’expression. Et cela d’autant plus que l’article 1, également réactualisé en 2011 de la même loi,  vise un très grand nombre de supports :

Sont assujettis aux prescriptions de la présente loi toutes les publications périodiques ou non qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents, ainsi que tous les supports et produits complémentaires qui leur sont directement associés.

 

Sont toutefois exceptées les publications officielles et les publications scolaires soumises au contrôle du ministre de l’éducation nationale.

Les sanctions prévues par la loi

Elles sont loin d’être bénignes ! Le retrait obligatoire de la publication incriminée peut être assorti du paiement d’une amende. Celle-ci peut atteindre 3750 euros. Et ce n’est pas tout !  Outre une peine de prison pouvant aller  jusqu’à un an, tout contrevenant peut se voir aussi infliger une suspension de ses droits civiques. 

A noter qu’en cas de récidive, toutes les sanctions sont renforcées. On comprend qu’éditeurs et distributeurs puissent prendre les dispositions de la loi du 16 juillet 1949 très au sérieux quand soudain sa mise en œuvre, somme toute facile, se rappelle à leur bon souvenir. 

C’est ce que montre l’affaire du livre de Manu Causse, « Bien trop petit« , édité par Thierry Magnier.

La mise en oeuvre de la loi du 16 juillet 1949, comment ça marche ?

Tout part de la commission de surveillance et de contrôle des publications pour la jeunesse. Celle-ci dépend du ministère de la Justice. L’article 3 de la loi du 16 juillet 1949 donne la liste de ses membres. Ils sont près d’une trentaine, si on compte les titulaires et les suppléants. Ils sont nommés par arrêté par le Garde des Sceaux.

Elle est présidée par un représentant du Conseil d’Etat et s’appuie sur les travaux de plusieurs rapporteurs permanents.  Pour l’essentiel, ils sont issus de la DPJJ (Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse). Globalement, sa composition vise à représenter les différents acteurs du secteur concerné par les publications destinées à la jeunesse. 

Mais, c’est au ministre de l’Intérieur que l‘article 14 la loi du 16 juillet 1949 confie sa mise en œuvre effective. Par conséquent, c’est au ministre de l’Intérieur qu’il revient de prendre toute décision d’interdiction de proposer, de donner ou de vendre une publication dérogeant à la loi. 

Et cela, que la publication ait été signalée ou non par la commission de surveillance et de contrôle. 

Application de la loi en juillet 2023

Application de la loi en juillet 2023
Application de la loi en juillet 2023

Depuis 1949, l’application de la loi du 16 juillet 1949 a connu des hauts et des bas. Les pouvoirs publics y ont eu relativement recours dans les années 50-60. Puis de manière sporadique, dans les décennies suivantes. 

Et, pour ce qui est du 3ème millénaire, la dernière en date avant l’arrêté du 18 juillet 2023  concerne, principalement, une publication de Riad Sattouf, intitulée « Ma circoncision« . Elle ne se traduira que par une convocation de  son auteur devant la Police….

Par conséquent, la mesure d’interdiction  de juillet 2023 visant le livre de Manu Causse, « Bien trop petit », sonne plutôt comme un coup de tonnerre dans le milieu de l’édition.

C’est qu’au vu, entre autres, de films diffusés sans problème comme, par exemple, « Ils ne pensent vraiment qu’à ça« , produit par Netflix, et à leur promo souvent très suggestive, on pouvait penser que les dispositions de cette loi appartenaient à une époque complètement révolue. 

Que nenni ! Le ministre de l’Intérieur a, en effet, considéré qu’il y avait dans le livre de manu Causse des descriptions de « scènes de sexes trop explicites« . Notamment, aux pages 61 et 62, 85 et 86, 90 à 94, 105 à 108 et 158 à 160.

En conséquence, le ministre de l’Intérieur a pris, le 18 juillet 2023, un arrêté interdisant la vente du livre aux mineurs. 

Conséquences éditoriales de l’arrêté du 18 juillet 2023

Quand on y regarde de près, le contrôle est plus « humiliant » que réel. En effet, il suffit que l’éditeur mette un bandeau sur sa publication indiquant qu’elle est réservée aux adultes pour qu’elle soit à nouveau autorisée à la vente. 

Par les temps qui courent, la barrière ne parait trop difficile à « sauter ». Même chose pour la disponibilité des exemplaires. Si l’éditeur doit effectivement les retirer de la vente, il ne peut guère agir sur ceux qui ont déjà été vendus ou qui sont disponibles en version numérique. 

Moyennant quoi, pour ce qui concerne le livre de Manu Causse, tiré à 2500 exemplaires fin 2022, dont seulement environ 500 avaient été vendus avant l’interdiction de vente, l’arrêté du ministre de l’Intérieur est, en fait, devenu un puissant outil promotionnel.

Selon Edistat, les ventes auraient explosé dans les jours qui ont suivi la publication de l’arrêté et, par ailleurs, le prix des exemplaires d’occasion seraient, lui, monté en flèche. Comme quoi …. En tout cas, comme le souligne sans prendre de gants l’éditeur Thierry Magnier, dont au demeurant la maison est une filiale d’Actes Sud :

Je n’ai pas envie de taper sur d’autres maisons plus « hard » en particulier, ce n’est pas ma ligne de conduite, mais pourquoi l’œuvre de Manu Causse et pas un du genre de la Dark Romance par exemple ?

Quant au SNE, le Syndicat National de l’Edition, il s’est fendu d’un communiqué  quelques jours après la parution de l’arrêté du ministre de l’Intérieur demandant que :

soit réalisée une  évaluation du dispositif de protection des mineurs instauré par cette loi. (S’interrogeant, par ailleurs) sur la cohérence et l’efficacité de règles définies il y a près de 75 ans, alors que n’existaient pas les principaux vecteurs actuels d’exposition des mineurs au contenus visés par la loi.

Réaction somme toute mesurée qui prend en compte d’une certaine façon, les dernières évolutions en matière de liberté d’expression et un peu oublieuse de la réactualisation en 2011 de certains articles de l’ancienne version de la loi du 16 juillet 1949.  

 Celle-ci beaucoup plus moralisatrice, visait, notamment, à interdire aux publications destinées à l’enfance et à la jeunesse qu’elles montrent sous un jour favorable :

Le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse.

L’arrêté « Manu Causse  » un exemple de censure des publications destinées à la jeunesse

Si l’arrêté « Manu Causse » avait pour objectif d’empêcher la lecture de son livre « Bien trop petit », au regard des chiffres Edistat, on peut dire que c’est raté. Néanmoins, il est clair que l’auteur se serait bien passé de cette publicité donnée à son œuvre qu’il veut avant tout pédagogique. 

Il est également clair que cet arrêté entre bien dans le cadre, sans aucun doute, d’une censure des publications destinées à la jeunesse.  De plus, cette censure s’inscrit bien dans le droit fil d’une tendance illustrée à de nombreuses reprises par l’évolution législative et règlementaire et par certaines pratiques éditoriales, enregistrées ces dernières années. 

En tout cas et quoi qu’il en soit, il n’est pas inintéressant de rappeler que pour un homme d’Etat comme Barak Obama, dont la stature est universellement reconnue, il reste évident que : 

Nous devons défendre la liberté de la presse et la liberté d’expression, car, en fin de compte, les mensonges et la désinformation ne font pas le poids face à la vérité. 

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