A regarder l’affluence des visiteurs, près de 90 000, bien plus que les 60 000 attendus, au récent Festival du Livre de Paris, on pourrait croire que tout est bien dans le meilleur des mondes de la planète du livre imprimé. Et pourtant, derrière cette affluence, des changements majeurs sont en train de modifier radicalement le monde de l’édition : à commencer par ses coûts et donc la sélection des auteurs à publier ; mais, aussi par de nouvelles habitudes de lecture boostées par la crise sanitaire. De sorte que l’autoédition et de nouveaux supports destinés aux lecteurs se retrouvent soudain en pole position.
Succès du Festival du Livre de Paris
Pour cause de pandémie, le salon du livre de Paris a été annulé à deux reprises, en 2020 et 2021. Pour 2022, place au Festival du Livre de Paris. Exit le Salon du Livre. Terminées les allées et venues au Parc des Expositions de la porte de Versailles, bienvenue au Grand Palais Ephémère du Champ de Mars.
Tout a changé ! Organisation, stands, lieux d’exposition, plus rien n’a été pareil. A noter, entre autres :
- Pas d’entrée libre, mais des inscriptions préalables obligatoires.
- Des stands réduits à leur strict minimum. « Moins beaux, moins grands, tout aussi chers ».
- La queue, parfois de 45 minutes, pour régler ses achats à la caisse centrale.
- Une déambulation dans différents autres lieux associés à la manifestation. Bonne idée sur le papier, pas très commode, en pratique.
- De multiples occasions de rencontre avec les auteurs.
Mais, une belle structure de presque 10 000 m2, implantée sur le Clamp de Mars par l’architecte Jean-Michel Vilmotte. De fait, ce dernier :
a une affection particulière pour l’agencement d’espaces culturels et muséographiques, ainsi que pour des projets de réhabilitation et de reconversion.
Architecte, urbaniste, designer, de notoriété internationale, on lui doit ainsi de nombreux aménagements ou réaménagements muséographiques, en France et à l’étranger.
Cela dit, compte tenu de l’originalité de la structure, du renouvellement des animations et de l’intérêt constant des lecteurs, le succès a bien été au rendez-vous. Avec près de 100 000 visiteurs en trois jours, le public a répondu présent !
C’est moins certes que les 160 000 des dernières éditions du salon de la porte Versailles, mais sur une surface, tout de même, trois fois moindre. Et même si la gratuité de la manifestation y est sûrement pour quelque chose.
Autrement dit, le livre fait toujours recette. Reste à savoir comment.
Crise du livre imprimé
Cependant, l’ambiance qui règne sur le secteur du livre, et notamment sur le segment du livre imprimé, n’est pas terrible. La faute à deux facteurs principaux : le coût des matières premières et les nouvelles habitudes du lectorat. Lesquels ont, notamment, pour conséquences, une sélection renforcée des auteurs et l’essor du marché du livre d’occasion.
Impact de la hausse du prix des matières premières sur le prix des livres imprimés
Bien avant la crise ukrainienne, la hausse du prix des matières premières a eu un effet sur des publications, en général et le prix des livres, en particulier. Si on ne considère, par exemple, que le prix du gaz et de l’électricité, énergies essentielles dans les opérations d’impression, mais aussi de transformation du bois en pâte à papier, on note l’évolution indiciaire suivante, d’après le syndicat de la filière papier :
- Indices spot janvier 2021 ; Gaz 20 ; Electricité 50.
- Indices spot janvier 2022 ; Gaz 100 ; Electricité 200.
Autrement dit, le prix du gaz a été multiplié par 5 et celui de l’électricité par 4. Quant au prix du bois et du fret maritime, il suit la même tendance. Par suite, sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans plus de détails, on peut s’attendre à ce que les livres mis en vente à 18 euros, le soit, rapidement, à 20 et ainsi de suite.
Pas sûr que ça aide vraiment les auteurs dont les droits d’auteur sont basés sur le prix de vente de leur livre.
Des manuscrits qui trouvent de plus en plus difficilement des éditeurs prêts à les publier
Car, encore faut-il être publié ! En effet, la hausse des prix des matières et des services qui entrent la fabrication d’un livre augmente de même les risques de l’éditeur. Si les ventes ne suivent pas, la perte est, elle aussi, plus importante.
Par suite, les éditeurs sont encore plus vigilants quant aux choix des manuscrits qu’ils vont publier. De sorte que pour beaucoup d’observateurs du monde de l’édition, il devient plus facile de gagner au loto que d’être publié. Et encore, quand malgré tout ça arrive, à des conditions rarement favorables. Côté droits d’auteur, bien sûr.
D’où les revendications de plus en plus pressantes pour revoir ces conditions. Mais, comme on peut s’y attendre, avec des résultats mitigés.
Impact de la hausse des prix sur les lecteurs
Alors que le pouvoir d’achat de la plupart des lecteurs évolue peu, ils sont de plus en plus nombreux à adapter leurs pratiques à cette situation. Et cela de deux façons qui l’une et l’autre renforcent les effets de la hausse des prix sur la rentabilité des opérations d’édition.
En bref, si les chiffres montrent que la lecture, au mieux, se maintient, ils ne disent pas de quelle lecture on parle. Et comme, par contre, le marché des livres d’occasion et les téléchargements sont en forte hausse, cela signifie que les ventes de livres neufs imprimés diminuent ou stagnent. Pas de quoi réjouir les éditeurs classiques.
Le fait est que depuis quelques années, les plateformes de vente de livres d’occasion se sont multipliées. L’une d’entre elles, Momox, pour ne pas la nommer, est même devenue leader du secteur. Son modèle économique est, en effet, hyperperformant.
Car, à la différence de beaucoup d’autres, elle ne fonctionne pas comme un dépôt vente. Via son site dédié, le vendeur sait immédiatement ce que va lui rapporter sa vente. S’il est est d’accord avec le prix offert par Momox, il lui suffit de valider son panier et d’envoyer ses livres. Les frais de transport lui sont offerts. Simple et efficace. Ce qui n’empêche pas, bien évidemment, les récriminations.
Quant aux livres numériques et audio, eux aussi ont bénéficié de la montée en puissance des plateformes qui proposent leurs services dans ce domaine. C’est ainsi qu’à l’occasion du tout nouveau Festival du Livre de Paris, a été publié le 12ème baromètre sur les usages du livre numérique et audio. Un de ces chiffres clés montre que le nombre des utilisateurs d’audio livres a augmenté de 800 000 en 2021.
Que peut faire un auteur pour s’adapter au marché du livre imprimé ?
Avoir une démarche marketing
Plus encore que jamais, se faire publier par un éditeur classique impose aux auteurs d’avoir une démarche extrêmement marketing. Cette démarche va, notamment, du choix du thème choisi pour son livre à celui du style et son schéma narratif. Cela pour la partie strictement liée à l’écriture. Autrement dit, son fond.
Mais, la démarche marketing ne s’arrête pas là. Elle concerne aussi la manière dont il convient d’aborder un éditeur classique pour qu’il prête un minimum d’attention au manuscrit qu’on lui envoie.
D’où tous les soins qu’il faut avoir pour sa lettre d’envoi, la synthèse de son ouvrage, à ne pas confondre avec son résumé, les consignes de l’éditeur visé en matière de présentation, etc. Cela pour la forme.
Bon, on peut comprendre que ces quelques recommandations puissent heurter plus d’un auteur et surprendre désagréablement. Surtout quand le maître mot est d’abord d’écrire pour le plaisir. L’idéal est donc de pouvoir concilier les deux impératifs : le plaisir d’écrire et la rentabilité financière, dans des proportions variables, selon ce à quoi on tient le plus.
Concilier plaisir d’écrire et rentabilité financière
Pour ça, on peut s’orienter, délibérément et d’emblée, vers l’autoédition ou choisir d’écrire pour des secteurs de l’édition moins contraignants comme l’édition numérique ou les audio livres. Disons qu’en ce qui concerne l’autoédition, celle-ci a obtenu ses lettres de noblesse à mesure que l’édition classique en perdait.
Recourir à l’autoédition pour imprimer son livre
Et pour faire court, l’autoédition permet à des auteurs de qualité de publier leurs livres imprimés à des prix très accessibles pour leurs lecteurs et pour eux-mêmes. Rien à voir avec les publications à compte d’auteur.
Par ailleurs, en termes de diffusion, les auteurs autoédités ne sont pas plus à plaindre que tous les auteurs publiés classiquement, sans avoir obtenu de prix littéraire, et relégués, pour cette raison, dans les coins « obscurs » des tables des libraires.
En outre, du fait de leur accessibilité, il est quand même plus facile pour un lecteur curieux d’acheter un livre imprimé autoédité écrit par un auteur inconnu, à prix réduit, que le même livre imprimé publié par un éditeur classique à un prix rarement inférieur à 20 euros.
Enfin, qui sait. De bonnes ventes en autoédition sont un élément de poids pour attirer l’attention d’un éditeur classique et négocier avec lui des droits d’auteur corrects.
Publier sous forme numérique ou en audio livre
C’est là deux formules à prendre vraiment en considération pour tout auteur désireux de concilier plaisir d’écrire et rentabilité financière. La première formule, celle du livre numérique, a le double avantage de pouvoir s’adresser à un public croissant et d’être peu cher.
Elle a fait la fortune de plateformes comme Wattpad. Même si la plateforme fait plutôt le bonheur des ados, et principalement, des adolescentes, certains auteurs confirmés, comme Margaret Atwood, n’ont pas dédaigné la plateforme pour y publier certains de leur écrits. Sans compter qu’elle a fait le succès de nouveaux auteurs comme, par exemple, Mathilde Aloha avec « Another Story of Bad boys », désormais publié par Hachette Romans.
Enfin, on aurait tort de considérer les audio livres comme un pis aller. D’année en année, comme on l’a vu, leur part de lectorat ne cesse de grandir. S’ils demandent un peu de matériel et de technique pour être réalisés dans de bonnes conditions, ils peuvent aussi servir d’excellent tremplin vers une édition plus classique.
Comment trouver sa place comme auteur ?
Ce qu’il faut retenir de toute les remarques qui précèdent, c’est que l’édition classique n’est pas la seule façon de se faire un nom comme auteur. D’autant que les aléas et les contraintes y sont tellement importants qu’il est pratiquement indispensable d’avoir une démarche marketing pour y réussir. Plus encore aujourd’hui qu’hier du fait de l’indéniable crise qui touche le marché du livre imprimé. Ce qui peut être particulièrement désespérant.
Heureusement, d’autre formules sont plus accessibles dès lors que l’on veut se faire connaître comme auteur. Ces formules sont d’ailleurs suffisamment attractives pour intéresser des auteurs pourtant considérés comme confirmés et ayant déjà été publiés par des éditeurs classiques.
Parmi ces formules, l’autoédition occupe une place de choix. Sa capacité à être un bon vecteur de notoriété n’est plus à démontrer. Mais, on peut aussi lui ajouter, dans le même esprit, ces autres supports à publication que sont les livres numériques et les audio livres.
Ajoutons pour finir, que ces dernières formules ont aussi l’immense mérite de réduire drastiquement les volumes de livres imprimés détruits chaque année faute d’avoir eu un nombre de lecteurs suffisants.