Le roman de gare a-t-il encore un avenir ? L’idée fait inévitablement penser à une époque révolue. Celle où on faisait de longs trajets en train.

Les TGV étaient dans les limbes, les déplacements en avion étaient réservés à une élite et les kilomètres d’autoroute constituaient une infime partie du réseau routier. Heureusement, il y avait les voitures corail dont le confort était sans équivalent dans l’histoire de la SNCF. D’ailleurs, le mot corail est une contraction du mot confort et de rail. Alors comment occuper le temps contraint du voyage, si ce n’est avec la lecture d’un de ces romans posés sur les tourniquets du kiosque à journaux du hall de départ ?

C’est là l’origine du roman de gare et de ses caractéristiques. Mais, qu’en est-il aujourd’hui et peut-on encore écrire un roman de gare ? Et, si oui, lequel ?

 

Le roman de gare aujourd’hui 

Aujourd’hui, les conditions de transport ont bien changé par rapport à la grande époque des romans de gare. De même que les habitudes de lecture. Et, c’est un euphémisme ! De sorte que l’expression roman de gare peut sembler bien difficile à cerner.

 

Meilleures ventes des relais H ?

Une blogeuse talenteuse s’est posée la question et a été bien en peine pour y trouver une réponse. Alors pour se faire une idée, elle s’est rendue sur place. Où ça ?

Dans les gares, bien sûr. Là, sans surprise, plus de kiosques, mais des relais H. Autrement dit, des mini-librairies.

Et qu’est-ce qui se rapproche le plus des romans de gare selon elle ? Les meilleures ventes ! Il fallait y penser. Et ce n’est pas faux, si on considère que le roman de gare est le roman le plus demandé par les voyageurs.

 

RELAIS H
Kiosque à journaux Relais H en gare de Rennes en octobre 1998, France. (Photo by Alain LE BOT/Gamma-Rapho via Getty Images)

 

Quoi de mieux dans ces conditions que les meilleures ventes. Cela dit, sa liste des meilleures ventes, faite à la suite de son enquête, a de quoi laisser perplexe. En effet, on y trouve, par exemple, pêle-mêle :

  • Le journal de Bridget Jones, de Helen Fielding.
  • La fille de Brooklyn, de Guillaume Musso.
  • Chiens perdus sans collier, de Gilbert Cesbron.
  • Complètement crâmé, de Gilles Legardinier. 
  • La vérité sur l’affaire Harry Québert, de Joel Dicker, un auteur suisse comme son nom ne le dit pas et qui, notamment, a reçu pour son roman, un prix de l’Académie française. 

Bref, des auteurs habitués à être en haut des listes et qui ne se voient probablement pas comme des auteurs de romans de gare.

 

Sélection de maisons d’édition spécialisées ?

 

COUVERTURE COLLECTION HARLEQUIN
Collection Harlequin

 

Autre piste, plus prometteuse, celle des éditeurs spécialisés. Eux, a priori, ne s’y trompent pas. C’est le cas de Harlequin et de ses collections ou encore d’une nouvelle maison, lancée en 2006 par Nathalie Carpentier, baptisée French Pulp. Tout un programme ! En effet, « pulp » fait référence aux magazines américains bon marché imprimés sur du papier à base de pulpe de bois. Là, on se rapproche de ce qu’est un roman de gare avec au catalogue de ces maisons des romans comme :

  • Noces orientales, de Lynne Graham, de la collection azur de Harlequin,
  • Adrianna et l’homme du désert, de Miranda Lee, toujours de Harlequin, mais de la collection Horizon, 
  • La compagnie des glaces, vieille série romanesque reprise par French Pulp. 

Est-ce tout ? Et les livres autoédités et distribués, entre autres, par Kobo et Amazon ? Signalons notamment :

  • Plage, passion et … Patatras, de Nathalie Doassens, sur Kobo, 
  • ou encore, Passagers de la passion, de Mary Nichols, toujours sur Kobo. 

Et d’autres encore qu’on peut trouver dans la bibliothèque de CoolLibri.

 

Ce que le roman de gare n’est pas

Avec les exemples qui précèdent on se rapproche de ce qu’est un roman de gare. Peut-être s’en rapprochera-t-on encore plus si on prend en considération l’évolution des habitudes de lecture et des choix marketing des maisons d’édition

Reprenons le fil de l’histoire. Il était une fois le roman de gare. Les trains corail traversaient à pleine vitesse la campagne française ponctuée d’une multitude de villages aux noms bucoliques ou chargés d’histoire. A cette époque, on ne parlait pas de bestsellers, de polars nordiques, de thrillers américains et encore moins de feel good books ou de light novels.

 

Train Corail
Train Corail

 

Pour une raison simple, prenons le risque de l’affirmer, c’est que le roman de gare était tout cela à la fois. Les San Antonio de Frédéric Dard, aujourd’hui réédités dans la collection Bouquins, de Robert Laffont, faisaient la pige aux SAS, de Gérard de Villiers, de son vrai nom, moins poétique, Jacques Boularan. Avec la diversité des modes de lecture, le roman de gare en est réduit à une portion congrue aux côtés des autres sous-genres qu’il regroupait autrefois. 

Bon très bien, mais, enfin, qu’est-ce que c’est qu’un roman de gare ?

 

Ce qu’est la littérature de gare

Risquons là aussi une affirmation que d’aucuns trouveront sans doute abrupte. 

La littérature de gare est ce que la série B est aux films d’art et d’essai ou à gros budget.

Le spectateur y entre facilement et applaudit l’économie de moyens, mais aussi l’inventivité. De fait, sans prétention, art modeste, la littérature de gare n’a pas d’autre objectif que de distraire ses lecteurs, un court moment et sans effort, de ses préoccupations quotidiennes. C’est simple, non ?

 

Perspectives du roman de gare

Alors, est-ce que ça vaut le coup d’écrire un roman de gare ? C’est que ce n’est pas si facile à faire. Les contraintes d’écriture sont un peu les mêmes que celles des contes ou des nouvelles et les frontières avec les autres sous-genres de la littérature de divertissement, thrillers et polars nordiques, par exemple, sont vite atteintes.

 

Signes éditoriaux

Que de grandes maisons d’édition comme Robert Laffont s’intéressent aux romans de gare en publiant certains d’entre eux dans sa collection bouquins est incontestablement un signe que le roman de gare correspond toujours à une attente du public. Certes, dans le cas de cet éditeur, et d’autres ayant fait le même choix, on peut toujours dire que leurs collections ont surtout une vocation patrimoniale

En l’occurrence, il s’agit de sauver de l’oubli des auteurs, hier considérés comme mineurs, et aujourd’hui, comme témoins de leur temps et dotés d’un réel talent littéraire. Ainsi, par exemple, de Georges Simenon, dont l’oeuvre est inscrite au catalogue de la prestigieuse collection La Pléiade, de Gallimard. Presque le Panthéon !

Cela dit, l’aventure de la maison d’édition French Pulp en est un autre signe. Aventure, puisque celle-ci vient de tourner court. En effet, sa liquidation judiciaire a été prononcée par le Tribunal de Commerce de Paris, le 7 janvier 2021. 

S’agissait-il d’un mauvais choix éditorial ? Pas forcément, tant les errements de gestion de la fondatrice, relevés par le mandataire chargé d’en examiner les comptes, ont été nombreux. Et l’éditrice, se voyant elle-même, plus comme une commerçante que comme une éditrice, on peut d’autant plus faire confiance à son « flair ».

Rappelons, au passage, que les auteurs voulant récupérer la libre disponibilité de leurs droits d’auteur ont deux mois, à partir de la date de publication de l’avis de liquidation, pour le faire savoir au liquidateur et obtenir un récépissé validant leur demande de restitution. Cela, selon les termes de l’article L 132-15 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Ajoutons-y enfin, un roman au titre explicite comme celui de Dumitru Tsepeneag, intitulé « Roman de gare« , un film non moins explicite, sous le même titre, réalisé par Hervé Picard,  en 2007, en réalité Claude Lelouch et un article de référence, publié par le Monde Diplomatique, sous la signature de Hubert Prolongeau. Autant de signes qui ne peuvent que susciter la curiosité de tous les spécialistes de la sociologie de la littérature, en particulier, au XXIème siècle.

 

Plateformes spécialisées

Autre signe encore plus marquant, celui de l’essor formidable de plateformes comme Wattpad. Là, pas de doute possible, le roman de gare règne en maître. Mais, il n’en a plus le nom. Qu’est-ce que c’est que Wattpad ? Une communauté d’auteurs et de lecteurs, reliés par la plateforme fondée au Canada en 2006 par Allen Lau et Ivan Yuen. Avec déjà près de 100 millions d’usagers, son objectif est d’atteindre au plus vite le milliard. Intérêt pour les uns et les autres, auteurs et lecteurs, publier sur la plateforme de courts textes, lisibles sur un smartphone, dans n’importe quelles conditions, dans le métro, par exemple.

Comme il est difficile d’en rester à de courts textes, les auteurs, jeunes pour la plupart, en ont fait des séries. Ce qui donne quoi ? Eh, le feuilleton, bien sûr ! Celui-là même qui a fait le bonheur d’Eugène Sue, un des auteurs les plus marquants du genre, avec ses Mystères de Paris, publiés en feuilleton dans le Journal des Débats

 

EUGENE SUE
Eugène Sue

 

Dans les années 1842-1843. L’oeuvre eut un retentissement énorme. Porté par son enthousiasme, Théophile Gautier dira : 

Des malades ont attendu, pour mourir, la fin des Mystères de Paris. 

Bon, on ne dirait plus ça aujourd’hui, et on ne manifestera sûrement pas de la même façon son enthousiasme pour connaître la fin de « Kissing Booth » ou « After« , séries qui ont connu un tel succès qu’elles ont été reprises par Netflix, avant d’etre éditées en bonne et due forme. Pas mal, non, pour un genre parfois mal jugé par les critiques officiels !

 

Perspectives bien réelles du « roman de gare »

En bref, le roman de gare a ainsi des perspectives bien réelles. Mais, mieux vaut l’encadrer de guillemets. De cette façon, on risque moins d’aller sur d’autres platebandes littéraires, de plagier ce qui est inimitable et de s’empêcher d’explorer les nouvelles formes d’écriture permises par des plateformes spécialisées comme Wattpad ou encore la toute nouvelle Rocambole. A noter pour cette dernière qu’elle rémunère bien ses auteurs et que les séries qu’elle publie peuvent l’être également sous forme audio

 

Rocambole
Rocambole

 

Et tiens, allons encore plus loin dans les nouvelles façons d’écrire et de publier. Vous avez publié des textes sur Wattpad ou sur Rocambole et, par bonheur, ça marche ! C’est le bon moment de passer à l’autoédition ! Grâce à votre plateforme vous avez pu tester votre marché, vous avez désormais une petite idée de votre lectorat et autant garder pour vous le maximum de droits d’auteur.

Attention, tout de même, à bien négocier ce point quand vous abordez la question des à-valoir avec la plateforme éditrice.

 

Ce qu’il faut savoir pour écrire un roman de gare

Super alors les « romans de gare » ? Oui, mais à condition d’en respecter les conditions. Rien de mieux, à cet égard, que de se remémorer ce que disait Frédéric Dard sur sa manière d’écrire : 

J’ai fait ma carrière avec 300 mots, tous les autres, je les ai inventé. 

 

Frédéric Dard
Frédéric Dard

 

Autrement dit, le vocabulaire d’un « roman de gare  » doit rester simple d’accès. Ce qui signifie également que l’intrigue doit aussi rester simple à comprendre. Et de là, naturellement, découle aussi le fait qu’un « roman de gare » est un texte court qui ne dépasse que très, très rarement, 250 pages. 

Mais, et tout est dans le « mais ». C’est en quoi la remarque de Frédéric Dard est plus qu’intéressante. Un « roman de gare » peut être extrêmement inventif. Ajoutons que l’auteur d’un « roman de gare » situe souvent son histoire dans un environnement a temporel et populaire. De ce fait, le lecteur s’y trouve d’emblée chez lui. 

 

Ecrire : un besoin constant

Le « roman de gare » a toujours un bel avenir devant lui. A condition de le voir autrement que ce qu’il a pu être. Mais, après tout, c’est le sort même de tout genre littéraire que de se renouveler en permanence. Personne n’écrit plus comme Homère ou Corneille et bien présomptueux qui tenterait de le faire. Cependant, les attentes fondamentales des lecteurs restent les mêmes. 

Et on aura toujours besoin d’auteurs capables de mettre en scène des personnages héroïques, tragiques ou familiers, capables d’être en résonnance avec les peurs et les rêves des lecteurs du moment et d’alimenter leur bibliothèque. Charles Nodier, auteur un peu oublié aujourd’hui, mais figure incontournable de la période romantique disait pour sa part : 

Je veux mourir la tête appuyée, à droite et à gauche, sur des piles de bouquins ; il faut bien s’amuser à quelque chose quand l’âge, les soucis et les infirmités nous ont fait perdre le seul avantage de nous amuser de tout. 

Belle formule à méditer, non ?

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