La saison des prix littéraire qui revient chaque année à l’automne est l’occasion de s’interroger sur les tendances éditoriales et d’identifier les thèmes susceptibles de séduire les comités de lecture des différentes maisons d’édition. Le fait est que même si elles cultivent avec soin ce qui peut apparaitre comme une originalité, il n’en reste pas moins que toutes poursuivent le même objectif : vendre le plus grand nombre possible d’exemplaires. De ce point de vue, les prix littéraires, qui, d’une manière générale, ne sont attribués qu’à ce qui peut se vendre, sont de bons indicateurs sur ce qu’il convient d’écrire pour être publié à un moment donné.
Comment sont attribués les prix littéraires
Les prix littéraires de l’automne
Tous les automnes, les prix littéraires envahissent les étals des libraires et les colonnes des chroniqueurs spécialisés. De fait, près d’une dizaine de prix prestigieux font la Une de l’actualité littéraire chaque année entre les mois de septembre et de décembre.
Ce sont les prix du roman de la Fnac, de l’Académie française, Goncourt, Renaudot, Décembre, Fémina, Médicis, et Interallié. Entre le moment où les organisateurs de chacun de ces prix annoncent les titres sélectionnés et celui où ils annoncent celui qu’ils ont décidé de récompenser, les pages littéraires des médias vivent au rythme de leur actualité et bruissent des bruits de coulisse.
C’est sans doute, d’ailleurs, leur premier intérêt pour les éditeurs. On parle d’eux et de leurs « poulains » de l’année. Auteurs confirmés ou nouveaux auteurs à lancer. A bien des égards, leur catalogue de livres publiés ressemblent à la matrice BCG bien connue des managers. On peut les y classer en titres dilemmes, vedettes, vaches à lait et poids morts. Ce classement est naturellement officieux.
La première fonction de la saison des prix littéraires est donc d’entretenir et de renouveler le classements implicite des titres dans le catalogue des éditeurs. Et accessoirement de participer à la création littéraire. Certes, le jugement peut paraître excessif. Mais il est bon que les auteurs soucieux d’adopter une stratégie gagnante pour faire publier leur production éditoriale par une maison d’édition classique l’ait bien en tête. Et cela, bien avant de se lancer dans leurs travaux d’écriture.
Modalités d’attribution des prix littéraires
Le temps fort du comité de lecture
A y regarder de près, les modalités d’attribution de la plupart d’entre eux sont aussi difficiles à suivre que les pas d’une valse à cinq temps. Elle commence par la sélection du manuscrit par le comité de lecture de la maison d’édition. Evidemment la sélection se fait en fonction de la ligne éditoriale décidée par la direction de l’entreprise d’édition. Et cette ligne éditoriale quelle que soit la manière dont elle est présentée s’efforce de coller au plus près des attentes du lectorat ciblé par la maison d’édition. Mais pas que. S’y ajoute aussi le public particulier, autrement dit les membres des jurys des prix littéraires également visés.
La publication du manuscrit
C’est loin d’être une formalité. Le parcours du titre sur les tables des libraires, et donc sa première audience, va, en effet, largement dépendre de ses paratextes. Autrement dit, ce premier « audimat » du titre va résulter, en particulier, de l’impact de sa première et de sa quatrième de couverture, de son bandeau commercial et de sa préface. On peut y ajouter la fraction du texte constituant son incipit. L’ensemble se doit de « matcher » avec les attentes des deux publics cibles : le lectorat et les membres des jurys des prix littéraires.
L’opinion des critiques littéraires
Les titres dont on ne parle pas dans les médias ont peu de chance de percer. En revanche, ils ont toutes celles de rejoindre la catégorie honnie des poids morts. Honnie pour les éditeurs parce que les lecteurs et le bouche à oreille peuvent leur réserver un tout autre sort. Heureusement ! Mais, reste l’opinion des critiques littéraires. Elle est déterminante.
Difficile d’échapper aux foudres des chroniqueurs des médias dominants s’ils ont décidé que tel texte ou tel auteur était maudit. Selon eux, c’est-à-dire selon ce qu’ils croient être juste. Ils ont bien intégré les leçons d’Antonio Gramsci pour lequel il n’y a pas de pouvoir sans hégémonie culturelle.
Les sélections pour les prix
Bien avant l’attribution d’un prix, il y a la phase des sélections pour le dit prix. Il y a d’abord la sélection de tous les titres qu’on estime pouvoir concourir avec une relative chance de succès, puis celle du dernier carré, juste avant l’attribution proprement dite. Ce sont autant d’occasions d’entretenir un buzz sur un certain nombre de titres et d’optimiser le coût de l’effort promotionnel. Ce sont aussi autant de ballons d’essai d’éventuelles variations de la ligne éditoriale.
L’attribution du prix par le jury
Après l’écrémage des phases précédentes, la décision du jury correspond à l’écrémage final. Aux multiples raisons de valoriser ou de ne pas valoriser tel titre décortiquées précédemment, s’ajoute celles propres à chacun des membres du jury. Ce sont, en général, des personnalités bien installées dans le milieu culturel et qui tiennent à y rester. Tout en sauvegardant et en entretenant l’image publique qu’elles ont su se créer au fil des années et de leurs publications. Lesquelles d’ailleurs profitent évidemment de leur statut de membre d’un jury de prix littéraire. A plus forte raison quand il est prestigieux.
Les tendances éditoriales 2024 selon les prix littéraires
A partir de tous les éléments qui précèdent un observateur attentif peut déceler les tendances éditoriales du moment. Comme peut le faire dans le domaine des couleurs, un institut comme l’institut Pantone. Mais, comme nous n’en avons, ni les moyens, ni l’envie, on peut se contenter pour illustrer notre propos d’examiner les titres en lice pour l’attribution du grand prix du roman de l’Académie française et pour celle du prix du roman Fnac. Et encore en ne s’intéressant qu’aux trois premiers. Les conclusions que l’on peut en tirer sont forcément biaisées, mais cela n’enlève rien à la pertinence de la démonstration.
Grand prix du roman de l’Académie française 2024
Le prix est indéniablement intéressant. En effet, si prend connaissance de tous les grands prix attribués depuis l’origine du prix, c’est-à-dire depuis 1905, on s’aperçoit que beaucoup de lauréats ont effectivement laissé une trace dans la littérature française. Ce qui semble indiqué que le jury de l’Académie française a un jugement relativement sûr.
Citons, entre autres, parmi les lauréats anciens et récents, Pierre Benoit pour L’Atlantide en 1919, François Mauriac pour Le désert de l’amour en 1926, Georges Bernanos pour Journal d’un curé de campagne, en 1936, Michel de Saint Pierre, pour Les aristocrates en 1955, Jean d’Ormesson, pour La gloire de l’Empire, en 1971, Joel Dicker, pour La vérité sur l’affaire Harry Quebert, en 2012, ou encore, Boualem Sansal, pour 2084 : La fin du monde, en 2015.
Autant d’auteurs incontestablement marquants et témoins de leur époque.
Pour ce qui est de 2024, la publication de la première sélection du grand prix du roman est prévue le jeudi 26 septembre, la seconde sélection, le jeudi 10 octobre, et la décision finale, le jeudi 24 octobre.
Le prix du roman Fnac
Changement de décor et de méthode avec le prix du roman Fnac. Il est récent. En effet, il n’existe que depuis 2002. Il est très intéressant à suivre. Le prix est attribué à la suite d’un processus qui associe libraires experts et lecteurs amateurs comme le précise son site.
De ce fait, les 30 titres de la sélection pour le prix 2024 rendus publics le 12 juillet 2024 constituent, sans doute mieux que celle établie pour le grand prix du roman de l’académie française, mais le registre est différent, une bonne idée de ce que peuvent être les tendances éditoriales pour 2024.
Parmi les titres des trente titres en lice notons :
- Au soir d’Alexandrie, d’Alaa El Aswany (Actes Sud).
- Les merveilles, de Viola Ardone (Albin Michel).
- Fragile/s, de Nicolas Martin (Au diable Vauvert).
En 2023, le prix a été attribué à « Veiller sur elle » de Jean-Baptiste Andrea (L’Iconoclaste).
Etre publié en s’affranchissant des prix littéraires
Vouloir être publié à tout prix n’est pas la meilleure façon pour l’être. Analyser les lignes éditoriales, identifier les tendances éditoriales du moment, s’astreindre à lire les commentaires des chroniqueurs, autant d’actions desséchantes qui peuvent avoir pour résultat de tuer toute envie d’écrire et à développer le syndrome de la page blanche.
On peut remplacer ces actions par une imprégnation informelle de ce qui s’écrit et de ce qui se publie. Ou encore plus simplement en se mettant à l’écoute de son environnement.
Quant à être publié, on peut toujours le faire et en toute liberté en passant par une plateforme d’autoédition. Si cette autoédition rencontre un lectorat, ce qui ne dépend que de la promotion qu’on peut lui faire, ce qui est facile à l’heure des réseaux sociaux, elle suscitera, tôt ou tard, l’intérêt d’une maison d’édition classique.