Voilà qui est très, très, ambitieux. Y aurait-il, donc, des trucs littéraires cachés depuis les débuts de l’écriture, pour paraphraser le titre du célèbre ouvrage de René Girard « Des choses cachées depuis la fondation du monde », et qui expliqueraient ce qu’on écrit ? Peut-être.

En tout cas, les analyses de la sémiologie indiquent qu’il y a une signification cachée derrière les signes qu’on utilise et qu’elle influence la création littéraire. Bon, très bien. Mais, de quels signes parle-t-on ? « That is the question ».

Et c’est là que la sémiologie, ou science des signes, se divise en sémiotique et en sémantique. En effet, la première traite de certains signes en particulier, pour tout dire, ceux qui concernent les propriétés de la langue, alors que la seconde, s’intéresse plutôt à leur mise en oeuvre. Bref, quiconque écrit met en route des processus qui le dépassent.

Et d’évidence, il est utile d’en connaître l’existence ou les ressorts quand on a le souci d’écrire ce qu’on pense et de rester vrai.

 

Différences entre sémiologie, sémiotique et sémantique 

La porte d’entrée qui conduit aux domaines de la sémiologie, de la sémiotique et de la sémantique ressemble, pour les non-initiés, à celle de l’Enfer, de Dante.

Dante
l’Enfer. Dante

« Vous qui entrez, laissez toute espérance  » dit-il. On peut le voir comme ça, mais si on fait l’effort d’y entrer, on peut découvrir, aussi, que c’est le chemin vers le Paradis.

Celui de la linguistique et de la sémantique générale. Domaines, surtout le dernier, qu’aucun rédacteur web, notamment, soucieux de bien référencer ses textes sur internet ne peut ignorer. 

 

La sémiologie est la science des signes, de tous les signes

La sémiologie s’intéresse à tous les signes. Autrement dit à tous les signes qui s’adressent, entre autres, aux cinq sens. Et cela, quel que soit le domaine où on les trouve.

Cet intérêt porte sur un sujet unique : leur sens ou leur signification. A tout niveau. On peut distinguer ainsi, par exemple, la sémiologie médicale, la sémiologie vocale ou la sémiologie littéraire. Ou encore la sémiologie de la communication.

 

Sémiologie de la communication 

Quand la sémiologie médicale s’intéresse avant tout aux signes cliniques dont une lecture correcte permet de poser le bon diagnostic et le  traitement qui convient ; la sémiologie de la communication s’intéresse, elle, à l’ensemble des signes, écrits aussi bien que visuels, qui font sens pour ceux qui les voient ou les entendent.

couleurs-froides-et-chaudes

De ce dernier point de vue, on peut dire que toutes les études sur la signification des couleurs font partie, d’une manière ou d’une autre, de la sémiologie de la communication. 

 

 

Un exemple, la signification des couleurs

Le choix d’une couleur primaire pour une couverture de livre, ou quoi que ce soit d’autre, n’est absolument pas neutre. Non seulement parce que les couleurs correspondent à différentes longueurs d’onde, mais aussi parce qu’elles sont indissolublement liées à leur environnement culturel. Par exemple, la signification du jaune n’est pas la même en Orient qu’en Occident.

Ou encore, la signification du bleu n’a pas toujours été celle qu’on lui connaît aujourd’hui. Raison pour laquelle aucune agence de design ou de communication ne se risquerait à négliger ces questions au moment de faire leurs propositions à leurs clients.

 

La sémiotique est la science des signes utilisés dans une langue

On la confond souvent avec la sémiologie et certains auteurs n’hésitent pas à dire que la sémiotique est un synonyme de la sémiologie. C’est, de notre point de vue, un abus de langage. Si deux mots existent, c’est qu’ils correspondent à deux réalités différentes ou à des nuances différentes d’une même réalité.

En fait, il y a de fortes chances pour que cet abus de langage soit tout simplement le résultat d’une traduction hâtive du mot anglais semiotic. Ce dernier étant, effectivement, utilisé dans le monde anglo-saxon, pour parler de sémiologie. 

 

ROLAND BARTHES
Roland Barthes

 

La sémiotique est la science qui étudie l’ensemble des structures d’une langue et la manière dont ces structures constituent son architecture. On parle aussi de sémiotique littéraire. Les grands textes fondateurs de cette science sont le livre de Roland Barthes, S/Z, essai sur Sarrasine d’Honoré de Balzac, celui de Algirdas Julien Greimas, Maupassant, la sémiotique du texte, exercices pratiques et, enfin, celui de Umberto Eco, Lector un fabula.

D’une manière générale, ils s’inscrivent dans l’histoire des travaux sur la linguistique inaugurés par Ferdinand de Saussure.

 

Sémiotique et métalangage

L’objectif de la sémiotique littéraire est de prendre suffisamment de hauteur avec un texte pour ne plus en voir que ses structures, de façon neutre et objective. Ou encore, à la manière d’un anthropologue. La phrase ou le texte lui-même, dans son entier, devient ainsi un signe en tant que tel, et son contexte, le cadre déictique.

Autrement dit, l’analyse sémiotique d’un texte passe par l’acquisition d’un métalangage, dont le signe et le cadre déictique ne sont que des parcelles. Ce métalangage permet, de fait, de s’abstraire du texte pour mieux comprendre le système de rouages sous-jacents qui le constituent.

Tels que les détaille, par exemple, Per Aage Brandt dans son article, joliment intitulé, « Qu’est-ce que la sémiotique ? Une introduction à l’usage des non-initiés courageux. »

 

La sémantique est la science de la signification des signes utilisés dans une langue 

La sémantique se focalise, quant à elle, sur le sens des mots proprement dit. Leur signifié. Ses concepts ont été définis par Alfred Korzybski dans ses séminaires de sémantique générale et popularisés par Henri Laborit dans son livre « La nouvelle grille pour décoder le message humain« , mais aussi dans le film « Mon oncle d’Amérique » réalisé par Alain Resnais en 1980 ou encore dans son autre livre, tout aussi important, « Eloge de la fuite« . 

Ils constituent également la trame de la série de romans de science-fiction de A.E van Gogt, commencé avec le Monde des non-A, traduit en son temps par Boris Vian

 

Henri Laborit dans son livre "La nouvelle grille pour décoder le message humain"
Henri Laborit

 

En bref, il faut veiller à ne pas confondre le réel avec sa représentation. La carte avec le territoire. La représentation du réel, notamment avec les mots, est une manière commode de pouvoir l’appréhender et de s’orienter.

Comme peut le faire une carte géographique. Cette façon de faire est à la base du raisonnement aristotélicien ou cartésien. Sauf qu’il est éminemment réducteur.

D’où le mantra « La carte n’est pas le territoire ». Le mot n’épuise pas le réel et le réel ne peut être réduit au mot employé.

Entre le monde aristotélicien et le monde non aristotélicien, la différence est entre le recours systématique à la conjonction de coordination « ou  » ou à la conjonction de coordination « et ». Dans un cas, on décrit un monde exclusif, soit, soit, dans l’autre, un monde extensif.et, et, etc.

 

Utilité de la sémiologie, de la sémiotique et de la sémantique pour la création littéraire

Bon, tout cela est très bien, quoiqu’un peu compliqué, et naturellement, en tant qu’auteur de roman, on peut, bien sûr, s’interroger sur l’utilité de connaître toutes ces choses. En quoi, notamment, cela peut-il « booster » une création littéraire ? 

Sémiologie et création littéraire

Si on reste sur un plan général, celui de la sémiologie, il est certain qu’elle fait partie de toutes ces recherches documentaires qu’un auteur peut faire pour situer l’intrigue de son roman et définir les caractères de ses personnages. Difficile d’imaginer, par exemple, un personnage décrit comme timide se baladant dans les rues de sa ville dans des atours d’un rouge éclatant. Sauf à vouloir signifier, dans l’intrigue justement, que le personnage en question vient de perdre la tête.

On en a un bel exemple avec le rôle joué par la robe rouge de Madame de Winter dans le grand roman classique, archétype du thriller psychologique, intitulé Rebecca, de Daphné du Maurier. Lorsqu’elle la revêt, pour la fête qu’elle a organisée dans le manoir de son riche mari, la toute nouvelle Mme de Winter jette un froid dans l’assistance. Et cela constitue un tournant dans l’intrigue romanesque.

Pourquoi ? Parce qu’elle est jeune et timide, tout ce que n’était pas la précédente Mme de Winter, dont elle a emprunté la robe rouge et qui a disparu dans des conditions mystérieuses. 

Autrement dit, le choix d’un contexte, celui d’une intrigue particulière, ou encore, entre autres, celui d’un type de phrases ou de décors correspondent à autant de choix de signes, signifiants ou signifiés, connotés, d’une manière ou d’une autre. En général, on fait ces choix sans vraiment y réfléchir, comme monsieur Jourdain et sa prose, mais, le fait d’y réfléchir permet, non seulement d’éviter des incohérences qui peuvent discréditer un texte, mais aussi de l’enrichir en trouvailles qui auraient pu, sinon, passer inaperçues.

 

Exemples d’analyse sémiotique d’un texte

L’analyse sémiotique est une autre façon de booster par la sémiologie, une création littéraire. On le voit bien avec l’écriture d’un roman à choix multiples. Qu’est-ce que c’est qu’un roman d’un point de vue sémiotique ?

Un enchaînement de phrases dont la finitude produit une unité minimale de la narrativité, nous dit Per Aage Brandt dans l’article précité. Et il ajoute :

Si l’enchaînement reste ouvert, le produit relève plutôt du discours historique ou mythique. 

Sémiotique narrative

Par ailleurs, toujours sur ce même plan de la narrativité, c’est-à-dire de la manière dont se déroule un enchaînement de phrases, il analyse également la modalité du rôle joué par le sujet. Cela en termes de pouvoirs. Ainsi, le sujet a-t-il toujours le pouvoir de faire ou de ne pas pouvoir faire X ?

Auquel s’ajoute, ou interfère, le pouvoir des circonstances. Si celles-ci, dans l’arbre des choix du sujet, coupent une de ses branches majeures, on dit alors que ce pouvoir devient un devoir. 

 

Per Aage Brandt
Per Aage Brandt

 

Cette analyse de la narrativité peut sembler artificielle quand on écrit un roman, mais elle a l’avantage de modéliser le champ d’intervention du sujet, c’est-à-dire le personnage, et de veiller à la cohérence des péripéties qui s’imposent à lui ou qu’il suscite. Du fait, entre autres, de l’identité qui lui a été attribuée par l’auteur. Encore une fois, un roman dont l’architecture repose sur des structures mal ajustées, qu’il s’agisse d’éléments de narrativité, d’énonciation ou autres, a tôt fait de lasser des lecteurs exigeants.

Et cela est particulièrement vrai dans le cas de l’écriture de romans à choix multiples. Du moins, si leurs auteurs veulent dépasser le stade de simples jeux ou divertissements momentanés.

 

Sémiotique et sémantique : la carte n’est pas le territoire

On a tendance à l’oublier, mais s’il y a un domaine où la sémiotique, quand elle se limite, notamment, à la sémantique, est fondamentale, c’est bien sur internet. A un moment ou à un autre, tout auteur d’un texte rendu public veut qu’il puisse être trouvé, du premier coup, par les moteurs de recherche, et surtout, par le premier d’entre eux, par Google

En général, on pense que cette recherche est facilitée par le choix de mots-clés appropriés et qu’il suffit de se concentrer sur ce choix. C’est vrai. Ou plutôt, c’était vrai.

Car un moteur de recherche, comme Google, utilise désormais des algorithmes, de plus en plus puissants après chaque actualisation, qui analysent, sémantiquement et automatiquement, le contenu des pages publiées et les requêtes des utilisateurs. Cela, de façon à ce que les contenus proposés correspondent, au plus près, aux intentions de recherche. 

 

CARTE ROUTIERE
la carte n’est pas le territoire

 

Dans ces conditions, plus que jamais, il convient de veiller à ce que les mots utilisés puissent s’inscrire dans des enchaînements de phrases tels que leur analyse par les algorithmes conduise à la meilleure représentation possible du réel qu’ils veulent décrire. Et donc à un SEO, ou référencement naturel, de qualité. Ce qui dépend, de plus en plus, de son contenu.

Plus le territoire est « visible » sous une carte, plus cette carte sera privilégiée par les moteurs de recherche comme Google.

Ce qui doit se traduire, nécessairement, pour les auteurs, qui veulent être vus sur « la toile », par une discipline d’écriture qui ne peut se réduire à un amoncellement de mots-clés et de textes déstructurés. Attention donc, en particulier, à la manière dont sont rédigés les résumés des livres qu’on a écrit et qu’on publie dans des bibliothèques numériques.

 

Ce qu’il faut retenir de l’apport de la sémiologie, de la sémiotique et de la sémantique dans la création littéraire

A première vue, ces sciences des signes peuvent sembler réservées à des spécialistes. C’est vrai qu’elles exigent l’appropriation d’un vocabulaire et de concepts particuliers pour être réellement maîtrisées. On parle d’un métalangage

Cependant, sans être un spécialiste, ni chercher à en devenir un, il est profitable pour tout auteur d’en comprendre l’esprit. Autrement dit, de prendre suffisamment de hauteur par rapport à un texte pour comprendre qu’il véhicule des idées et des représentations qui sont propres à son contexte et qui échappent, la plupart du temps, à son auteur. 

Le comprendre, c’est se faire un allié de ce qui apparaît, a priori, comme très difficile à appréhender. Mais, guère plus, finalement, que les recherches qu’on peut entreprendre autour des notions d’humanisme ou des éléments constituant une sociologie de la littérature. Ces recherches peuvent être entreprises, soit seul ; les ouvrages spécialisés ne manquent pas; soit dans le cadre de la participation à des cours ou à des ateliers comme par exemple, des ateliers d’écriture.

Quoi qu’il en soit, il en reste toujours quelque chose. Et ce quelque chose, souvent indéfinissable, renforce le désir et le plaisir d’écrire, celui, par exemple, de Madame de la Fayette, quand elle a écrit La princesse de Clèves, qui n’avait pas cette chance de pouvoir accéder à quelque notion de critique littéraire que ce soit, et naturellement d’imprimer ce qu’on a écrit. Pas si mal, non ?

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