Waouh ! De la sociologie ! Et de la sociologie de la littérature ! Dans un roman !
Celui que je suis en train d’écrire ? Pour quoi faire ? Stop arrêt !
Oui, on peut faire de la sociologie dans un roman. D’ailleurs, la plupart du temps, on en fait sans s’en rendre compte. C’est comme la prose de Monsieur Jourdain. Vous ne vous en souvenez plus ? Rappelez-vous, c’est dans l’acte II, scène IV, du Bourgeois Gentilhomme, de Molière.
Dans cette scène, Monsieur Jourdain qui veut copier les bonnes manières des gens du monde, apprend de son maître de philosophie qu’il pratique la prose depuis longtemps sans le savoir:
» – Par ma foi ! dit-il, Il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela.«
Molière se moque là des prétentions inutiles et excessives de Mr Jourdain. On remarquera, en passant, le « j’en susse rien » au lieu de « je n’en susse rien« . Mais, oui, on peut faire sciemment de la sociologie de la littérature dans un roman et oui, ça peut être utile.
Qu’est-ce que c’est qu’une approche de la sociologie de la littérature ?
C’est comme la prose. Cela paraît compliqué, mais c’est simple. Faire de la sociologie de la littérature, c’est une façon de dire qu’on parle de la littérature.
Sous ses différents angles et rapports. Par exemple, la littérature vue par les lecteurs. La littérature vue par les écrivains. Le rapport entre écrivains et lecteurs. etc.
Autant de sujets et de thèmes qui peuvent être passionnants. Pourquoi ? Parce que les développements qu’ils suscitent aident à mieux comprendre l’art d’écrire.
Pour soi-même, en tant qu’auteur. Mais aussi, pour ses lecteurs. Et bien d’autres choses, encore.
Revenons donc au Bourgeois Gentilhomme. Même si Molière se moque, dans un premier temps, de ce pauvre monsieur Jourdain qui cherche à copier des apparences et non pas à comprendre ce qui lui est utile ou pas ; dans un deuxième temps, il amène les spectateurs de la pièce à s’interroger, plus sérieusement, sur la place respective de l’expression en vers et de l’expression en prose au théâtre. Et en dehors du théâtre, d’ailleurs. Interrogation pleine de sens, en tout cas, à une époque où beaucoup de pièces, même comiques, étaient écrites en vers. Qu’on peut encore, de plus, se poser aujourd’hui.
Intéressant, non ? Or, finalement, qu’est-ce que fait, au passage, Molière ? Mais, de la sociologie de la littérature, bien sûr !
Car, la question qu’il soulève fait bien partie de ces questions qui servent de cadre d’étude à de la sociologie de la littérature. Et, en y réfléchissant un instant, on se rend compte combien ce questionnement est un des éléments clés de la scène écrite par Molière. Alors, comment faire pareil dans un roman écrit pour aujourd’hui ?
Différentes branches de la sociologie de la littérature dans un roman
Eh bien, figurez-vous que dans ce domaine on a un paquet d’exemples où la sociologie de la littérature est, sinon le sujet central du roman, en tout cas, un contexte omniprésent. Rien, au fond, d’étonnant, à cela. Car, s’il y a une chose que partagent, entre eux, pratiquement tous les auteurs, c’est de savoir pourquoi ils écrivent.
Auxquels on doit ajouter tous ces lecteurs qui se demandent pourquoi ils n’ont pas encore écrit et pourquoi leur auteur préféré a, lui, écrit. D’où deux catégories de roman sur ces thèmes.
L’écrivain, personnage clé du roman
C’est évidemment la manière la plus simple, mais aussi la plus ardue, de faire de la sociologie de la littérature dans un roman. Là, les choses sont claires. Le héros du roman est un écrivain. Mais, et c’est là que nait le paradoxe, quel genre de héros ?
Traits communs
Ce sont pratiquement tous des héros que tourmentent les affres de la création et la peur de la page blanche. Tout auteur y est immanquablement confronté à un moment ou à un autre. Au point que certains n’arrivent même pas écrire faute de pouvoir écrire quelque chose qui leur soit assez convenable.
Un des meilleurs textes sur ce thème est la nouvelle écrite par Herman Melville intitulée « Bartleby, the Scrivener ». Bartleby est clerc de notaire de son état. Très professionnel et très consciencieux, Bartleby a cependant un défaut. Il ne veut jamais s’engager. Pour rien. Si petite soit la demande. A tout, il répond donc par la même phrase mantra : » I would prefer not to« . Qu’on peut traduire en français de multiples façons, mais qui, toutes, aboutissent à la même impossibilité. Celle de créer et, en l’occurrence, celle d’écrire. Attitude qui a d’ailleurs généré l’expression « être atteint du syndrome de bartleby » appliquée à tous ceux qu’elle paralyse.
La nouvelle de Herman Melville est tellement sidérante qu’elle a fait des émules. Comme, par exemple :
- Bartleby et compagnie, le roman de Enrique Vila-Matas.
- Ou Elizabeth Costello, de J.M Coetzee, prix Nobel de littérature.
- Encore, L’écrivain des ombres, de Nathan Zuckerman.
- Et, pour finir cette brève liste, bien loin d’être exhaustive. Le jardin d’Eden, de Ernest Hemingway.
Comme quoi, les difficultés de l’écriture, la perte de l’inspiration, voire même l’incapacité d’écrire peuvent être de très bons sujets d’écriture.
Signes particuliers
A partir de ces traits communs, les auteurs qui ont fait de la sociologie de la littérature sans le dire se répartissent en deux catégories, mais toujours à forte consonnance biographique. Il y a, ainsi, ceux qui ont mêlé beaucoup d’éléments de leur vécu à leur récit romanesque, ce qui, en soit, est un procédé couramment employé par les auteurs.
Et puis, il y a ceux, plus rares ou plus malheureux ; quoiqu’ils ne se voient pas forcément comme tels ; dont l’oeuvre, exemplaire, se résume souvent à un titre unique ou à quelques titres fétiches. Au grand dam des critiques ! Qui ne voient pas toujours que c’est précisément cet aspect unique qui contribue largement à la grande originalité des oeuvres en question.
Ce qui, naturellement, se discute. C’est bien pourquoi on peut alors parler d’un exercice de sociologie de la littérature quand on cherche à comprendre les raisons de cette originalité.
Que peut-on dire, en effet, de l’oeuvre poétique d’Arthur Rimbaud, toute concentrée sur quatre années et en trois recueils ? On encore des quelques nouvelles et romans, dominés par le monumental « L’attrape-coeurs », paru en 1951, de l’écrivain américain J.D Salinger, né en 1919, qui finira sa vie en reclus, sans rien avoir écrit de 1965 à sa mort en 2010 ?
Contexte littéraire omniprésent des personnages du roman
On peut aussi faire de la sociologie de la littérature dans un roman, même sans avoir d’écrivain comme personnage principal. Car le livre, lui-même, peut jouer le premier rôle. N’oublions que l’étymologie du mot livre vient du mot latin liber et que ce même mot signifie également libre. On voit, d’emblée, tous les ressorts romanesques que cette étymologie peut susciter dans l’imaginaire fécond d’un romancier.
Plusieurs livres illustrent bien cet aspect des choses, où le livre est présenté à la fois comme « oeuvre du diable » et instrument de libération, comme :
- Fahrenheit 451, de Ray Bradbury.
- Le nom de la rose, de Umberto Eco.
- Le bibliomane, de Charles Nodier.
Enfin, cette esquisse de contexte littéraire comme élément clé d’une sociologie de la littérature en action ne serait pas complet si, outre le livre comme personnage même du roman, on ne prêtait attention à tous ces romans et récits où l’intrigue se déroule dans des lieux où l’écriture règne en maître. On veut parler, naturellement, des campus universitaires. Lesquels peuvent être considérés comme de véritables fabriques de livres.
On ne sera donc pas étonné que cette particularité ait généré une catégorie particulière de livres qu’on a pris l’habitude d’appeler « campus novels« . Le fait est que c’est un genre curieusement spécifique au monde anglo-saxon. Inutile de dire que c’est là un sujet d’étude qui fait la joie de beaucoup d’étudiants en sociologie de la littérature.
Un des maîtres des campus novels est incontestablement David Lodge. Né en 1935, David Lodge est un distingué universitaire anglais, titulaire d’un doctorat en littérature anglaise. De sorte que parallèlement à son oeuvre d’écrivain de fictions, il est aussi l’auteur de nombreux essais de critique littéraire.
Son premier grand succès littéraire date de 1988 avec son roman « Jeu de société ». Il y raconte l’histoire d’un universitaire anglais, dans l’Angleterre de Margaret Thatcher, qui quitte son université pour devenir trader. Beau thème de sociologie de la littérature que celui des rapports entre le monde de l’université et celui de la finance.
En résumé
Mettre de la sociologie de la littérature dans un roman n’est pas si compliqué que ça. Pratiquement, tout auteur, comme le monsieur Jourdain, de Molière, en fait un minimum quand il écrit. Ne serait-ce qu’en transposant dans son récit des éléments se rapportant à son expérience d’auteur.
Mais comme ce thème touche de près à celui de la création, notamment littéraire, on peut être tenté d’aller plus loin et de choisir comme personnage principal de son roman, un écrivain, ou de faire évoluer ses personnages dans un environnement où le livre est omniprésent. Mais, on peut encore repousser ces limites et faire de son oeuvre même une sorte de performance artistique en en faisant une énigme permanente pour ses lecteurs et ses critiques.
Cela dit, il faut bien avouer que la sociologie de la littérature n’est tout de même pas un thème récurrent des dizaines de milliers de romans qui paraissent chaque année. En effet, selon des observateurs bien avertis, les thèmes les plus populaires retenus par les auteurs concernent plutôt :
- Le développement personnel.
- L’anticipation dystopique.
- Le sentiment amoureux, mêlé d’érotisme.
- L’héroïsme,
- La magie.
- Le passé.
- L’horreur.
Ecoles de la sociologie de la littérature
Si on est particulièrement friand de sociologie de la littérature, que cette addiction aide à créer un univers romanesque et qu’on veut être un auteur à succès, on peut faire en sorte de combiner un ou plusieurs de ces thèmes avec quelques fines remarques tirées de la sociologie de la littérature et de son expérience en tant qu’auteur. On peut le faire de manière traditionnelle en respectant les règles habituelles de construction d’un roman.
On peut aussi suivre une autre école, en corsant un peu les choses, à la manière, par exemple, d’un auteur comme Julien Gracq. Dans ce cas, l’incipit devient la clé d’entrée de tout le récit romanesque dont la construction se fait, en quelque sorte, en marchant.
Cependant, on ne devient pas Marcel Proust en ayant à la main un essai de Pierre Bourdieu ou de Danilo Martuccelli. Si intéressantes que soient les recherches menées par ces derniers, ou d’autres sur la littérature comme fait social, production d’une institution ou d’une histoire, reflet d’un discours ou d’une théorie en vogue, la création littéraire reste l’expression d’une inspiration venue, finalement, on ne sait d’où. Et c’est ce qui fait la force de ces grandes oeuvres classiques qui ont fait la grandeur de la littérature en France.
Bref, quand on est auteur, il faut écrire et avoir pour objectif d’imprimer son livre.