Pour la rentrée littéraire 2022, quatre éditeurs innovent. Ils vont faire chacun la promotion d’un de leurs romans en faisant du bookcrossing dans 18 villes de France. Avec plusieurs centaines de romans publiés en quelques semaines seulement, d’août à octobre, on comprend l’intérêt suscité par toute nouvelle formule de promotion indépendante des prix littéraires.

Pour autant, le bookcrossing existe maintenant depuis une bonne vingtaine d’années. Ce qui est nouveau, c’est l’usage que veulent en faire des éditeurs bien en place. Or, pour le coup, si la plupart du temps les moyens promotionnels auxquels ont recours les maisons d’édition traditionnelles sont hors de portée des auto-éditeurs, il se pourrait bien qu’en l’occurrence, ce soit aussi un moyen qui leur soit approprié. Sous réserve de quelques adaptations, bien sûr.

 

Le bookcrossing, c’est quoi ? 

Origines et définition du bookcrossing 

Le  bookcrossing, c’est presque de l’histoire ancienne. En effet, l’idée date très exactement de mars 2001. Et c’est celle de Ron Hornbaker, l’homme qui a lancé le site web Bookcrossing.com, juste quelques semaines plus tard, le 17 avril 2001

Bon, super, mais c’est quoi au juste le bookcrossing. C’est simple à comprendre, mais ça nécessite de faire un petit détour par le site web du même nom, car site et procédé sont intimement liés. 

Donc, le bookcrossing, ça consiste à remettre en circulation,  gratuitement, le livre qu’on a lu et cela comme on veut. Libre ensuite à d’autres lecteurs de se l’approprier et de faire de même, après l’avoir lu. 

Le bookcrossing, comment ça marche ?

Jusque là rien de vraiment sensationnel. Mais, tadam ! le site web est arrivé ! Autrement dit, avant de remettre le livre en circulation, il convient de l’inscrire sur le site bookcrossing et d’en imprimer l’étiquette, payante, reçue en échange. Attention, c’est très important !

En effet, c’est cette étiquette collée sur le livre « abandonné » qui va permettre de le suivre, de savoir où il va et ce que d’autres lecteurs en pensent. A condition, bien sûr, qu’ils jouent le jeu, s’inscrivent eux aussi sur le site et donnent leur avis sur le bouquin. 

En résumé, le bookcrossing, c’est toute un philosophie

Le bookcrossing est autant un art de vivre qu’une pratique

disent ainsi de nombreux spécialistes. 

 

Le bookcrossing est autant un art de vivre qu'une pratique

 

Pour les sociologues ou anthropologues « maussiens », le bookcrossing est quasi du « pain béni ». En effet, dans un monde qui se caractérise par une marchandisation exacerbée, la gratuité a toujours un petit côté étrange qui rappelle des pratiques ancestrales fondées sur le troc ou le « potlatch ». 

Encore plus amusant, Marcel Mauss (1872-1950), neveu du père de la sociologie française, Emile Durkheim, qui est le grand ordonnateur des recherches et de la théorisation du don, du contre don et notamment du potlatch participera, en 1928, au premier cours universitaire de Davos organisé pour traiter, entre autres, de ces questions.

Signe des temps, les préoccupations qui sont débattues, de nos jours, à Davos, dans le cadre du forum éponyme, ne s’inscrivent pas vraiment dans la même perspective. 

Cela dit, année après année, les recherches anthropologiques sur la thématique défrichée par Marcel Mauss se poursuivent et font l’objet d’une publication dans la revue du Mauss. Le nom patronymique de Marcel Mauss servant, de fait, d’acronyme au Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales, éditeur de la revue. 

Comme on pouvait s’y attendre, la pratique du bookcrossing n’est pas restée longtemps sous les radars des chercheurs du Mauss, et c’est à Céline Bryon-Portet que l’on doit l’un des premiers articles de fond sur celle-ci, intitulé « Bookcrossing : le médium livre au service d’un projet socio-culturel« . Elle y propose, entre autres, de traduire l’expression anglaise par « passe-livre » ou « livre voyageur« .

 

 

L’opération de bookcrossing des quatre éditeurs 

Il faut bien l’avouer, si la gratuité n’est pas absente de l’opération lancée par les quatre éditeurs, il n’en reste pas moins que son objectif  est bien de pouvoir en mesurer les résultats en monnaies sonnantes et trébuchantes.

Qui sont les éditeurs concernés ?

Les quatre éditeurs engagés dans cette opération de bookcrossing d’un nouveau genre sont les éditions Anne Carrière, Slatkine et compagnie, Michel Lafon et Le Mot

Les éditions Anne Carrière

Les éditions Anne Carrière sont nées en 1993 et ont été fondées par Anne et Alain Carrière. Elles sont actuellement dirigées par Claude de Saint Vincent et sont domiciliées au n°57 de la rue Gaston Tessier à 75019 Paris. Elles publient de la fiction française et étrangère, des documents d’enquête, des témoignages et des essais. Parmi les auteurs publiés, on trouve Marina Carrère d’Encausse, Paulo Coelho, ou encore Laurent Gounelle

Par ailleurs, à toutes fins utiles, comme on dit, précisons que pour les éditions Anne Carrière qui n’acceptent de manuscrits qu’en format pdf, lettre de présentation incluse :

Il n’y a pas de bons ou mauvais sujets, mais seulement de bons ou de mauvais livres

On peut aussi s’adresser à l’agence d’édition Elisabeth Samama qui a noué un partenariat privilégié avec les éditions Anne Carrière, mais qui travaille aussi avec d’autres maisons d’édition. 

Slatkine et compagnie

D’origine Suisse, la maison d’édition actuelle date de 2016 avec l’arrivée de Henri Bovet, éditeur jamais à court d’idées. Elle est étroitement liée aux éditions du Seuil qui assure sa diffusion. Par ailleurs, comme elle le précise elle-même :

Libraires, imprimeurs, distributeurs et toujours éditeurs, les Slatkine se consacrent depuis quatre générations à la diffusion du savoir et des idées. Ouvertement généraliste et tournée vers le grand public des lecteurs, Slatkine et compagnie explore sans exclusive tous les champs éditoriaux. 

Mais, ajoute-t-elle :

La douceur est la traduction du mot russe Slatkine. C’est notre raison d’éditer.

Côté manuscrits, la maison ne fait pas de lecture en format pdf. On ne peut donc de lui adresser uniquement que des manuscrits papier au 3 rue Corneille 75006 Paris.

Michel Laffon 

Fondée en 1980 par Michel Laffon, la maison est aujourd’hui, une des plus grandes en France, toujours indépendante, et toujours tournée vers le grand public. Elle publie pas loin de 150 livres par an.

Son catalogue est d’une grande variété, on y trouve aussi bien des témoignages, des romans, des thrillers, des livres pour la jeunesse que de beaux-livres. Elle bénéficie d’une puissante capacité de diffusion grâce à ses partenariats prestigieux et bien implantés.

Pour les manuscrits, c’est simple, il suffit de se rendre sur le site de l’éditeur, d’aller à la rubrique contact, puis de cliquer sur le lien « je dépose mon manuscrit« . 

Le Mot et le reste éditions

Les éditions Le mot et le reste ont été fondées, en 1996, à Marseille par Yves Jolivet. Là, pas de « lézard », la ligne éditoriale est très claire, tout pour la musique, et principalement, son histoire, et on y est fan de Henry D. Thoreau. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Henry Thoreau  (1817-1862) s’est rendu célèbre avec, notamment,  ses livres très connus  « Walden ou la vie dans les bois » et « La désobéissance civile« . 

La maison ne dispose pas d’une grande puissance de diffusion, mais est très active pour faire connaître ses publications. Pour ce qui est des manuscrits, il faut les lui envoyer  BP 21, 1 square Stalingrad 13209 Marseille Cedex 20, mais on peut aussi les lui adresser par mail à direction@lemotetlereste.com.

Evidemment, mieux vaut vérifier qu’on s’inscrit bien dans les deux axes éditoriaux de la maison avant de lui envoyer quoi que ce soit. 

 

Quelles sont les modalités de leur opération ?

Depuis un certain nombre d’années, de nombreuses villes ont installé dans des endroits stratégiques, en général, des parcs et des jardins, des boites à livres. Ces boîtes ouvertes à tous les vents, mais protégées, en général,  par un petit rideau en plexiglas, permettent à tous qui veulent redonner une seconde vie aux ouvrages qu’ils ont lus, de les y mettre et de les offrir à qui veut bien s’en saisir.

 

Quelles sont les modalités de leur opération ?
Quelles sont les modalités de leur opération ?

 

Ce qui a l’avantage de faire de la place dans les rayons de sa bibliothèque et d’éviter d’avoir à les jeter, ce qui est toujours crève-cœur, ou de s’embarrasser à chercher à les revendre à une plateforme quelconque.  Libre ensuite au nouveau lecteur de rapporter le livre trouvé dans la boîte, une fois lu, ou pas d’ailleurs, dans la boîte d’origine ou une autre. Ce qui est le mieux, ou de le « repasser » à quelqu’un d’autre. 

18 villes sont concernées par cette opération qui doit démarré courant septembre 2022 : Marseille, Orléans, Le Mans, Paris, Montpellier, Colmar, Strasbourg, Toulouse, Pau, Bordeaux, Talence, Lyon, Saint-Etienne, Besançon, Lille, Bayonne, Grenoble, Nantes.

Quand on sait qu’une ville comme Pau a mis en service pas moins d’une quinzaine de boîtes à livres, on comprend toute l’ampleur de l’évènement qui bénéficie d’un partenariat avec le site web ActuaLitte.com et le réseau des Librairie indépendantes

 

Quels sont les livres concernés ? 

« Au départ, nous étions quatre », P.E Cayral, Anne Carrière.

Le roman raconte l’histoire d’une famille de paysans en Bretagne et surtout d’une fratrie dont la mère, grande lectrice et guérisseuse à ses heures, s’efforce de corriger les prédestinations. Il s’agit du premier roman de P.E Cayral jusqu’à présent auteur de nouvelles. 

"Au départ, nous étions quatre", P.E Cayral, Anne Carrière
« Au départ, nous étions quatre », P.E Cayral, Anne Carrière

 

« Mon frère chasse les dinosaures », Giacomo Mazzariol, Slatkine.

Là encore, il est question de fratrie, celle constituée d’un petit garçon de 5 ans et de ses deux sœurs. Il s’agit du récit témoignage d’un jeune italien de 19 ans qui traite du choc que peut ressentir un petit garçon de 5 ans, quand il voit arriver dans sa famille un frère bien différent de lui.

"Mon frère chasse les dinosaures", Giacomo Mazzariol, Slatkine
« Mon frère chasse les dinosaures », Giacomo Mazzariol, Slatkine

 

« La nurse du Yorkshire », Stacey Halls, Michel Laffon.

Histoire de famille, encore avec ce nouveau roman de Stacey Hall, déjà auteur des « Sorcières de Pendle » et de « L’orpheline de Foundline« . L’action se passe en 1904 et raconte l’histoire de Rudy May qui prend ses fonctions de nurse dans la riche famille de Charles et de Lilian England, dans le château de Hardcastle, le bien nommé. Car tout ne va pas être « rose » pour la pauvre miss Rudy.

 

"La nurse du Yorkshire", Stacey Halls, Michel Laffon
« La nurse du Yorkshire », Stacey Halls, Michel Laffon

 

« Le bord du monde est vertical », Simon Parcot, Le Mot et le reste.

Aventure en haute montagne, dans le froid et la neige, et quête mystique pour ce roman qui met en scène une cordée composée de deux chiens, d’une femme et de trois hommes. Le roman débute par l’incipit suivant :

Notre histoire commence dans un nuage, bien au-delà de la Terre, bien au-delà des montagnes. En ce nuage logeait un ange qui enroulait et déroulait du coton pour l’éternité en chantant de tristes complaintes qui parlaient d’hommes, de sueur et de sang.

Pas mal comme incipit,  non ? On y  perçoit tout de suite la tonalité voulue par l’auteur pour son roman.

 

"Le bord du monde est vertical", Simon Parcot, Le Mot et le reste
« Le bord du monde est vertical », Simon Parcot, Le Mot et le reste

 

Comment dupliquer l’opération des quatre éditeurs quand on est simple auto-éditeur ? 

Bon, tout ce qui précède est sans doute intéressant, mais en quoi cela peut-il être utile pour quelqu’un qui veut autoéditer son livre et gagner un peu d’argent avec. Car, enfin, pouvoir vivre de sa plume ou, à tout le moins, pouvoir compter sur un complément de revenu quand on aime écrire, ce n’est pas si mal. Mais, pour ça, il faut faire un peu plus qu’écrire. 

Les principes du benchmarking 

Une des premières choses à faire, c’est de regarder ce qui se passe ailleurs et de s’en inspirer pour s’en servir pour son propre compte. C’est ça le benchmarking. Pour les spécialistes, c’est évidemment, un peu plus compliqué, ainsi pour certains d’entre eux : 

Le benchmarking est un ensemble de procédures de recherches et d’analyse comparatives de la concurrence. Il permet d’améliorer les performances d’une entreprise grâce à l’élaboration d’un plan d’action, rédigé grâce aux conclusions tirées de cette analyse. 

En clair, l’autoéditeur est bien sur le même marché que n’importe quel autre éditeur et sur lequel il veut lui aussi vendre ses livres. Et même si les tailles et les moyens sont manifestement difficilement comparables, il n’en reste pas moins que ce qui est bon pour Michel Laffon et les trois autres éditeurs engagés dans l’opération bookcrossing est bon aussi pour n’importe quel autoéditeur. 

Car évidemment, ces maisons d’édition ne font pas ça par pure gratuité, elles escomptent bien en tirer un profit d’une manière ou d’une autre. Ne serait-ce que d’un point de vue promotionnel et publicitaire. Sans compter que cela leur évite d’avoir à se démener pour glaner un prix.

Pourquoi il faut faire de la promotion pour vendre

« Pour faire tourner un moulin, il faut du vent« , dit un dicton éculé de vieux vendeur. Eculé, sans doute, mais terriblement vrai. Ce qui ramène à la triste réalité de l’autoéditeur qui, par principe, n’a pratiquement pas de moyens. C’est déjà bien quand il parvient à faire imprimer à coût réduit quelques exemplaires de son roman grâce à une plateforme d’autoédition.

 

"Pour faire tourner un moulin, il faut du vent"
« Pour faire tourner un moulin, il faut du vent »

 

Mais, des trucs existent pour les accroître et d’autres trucs existent pour les utiliser au mieux. On peut y ajouter le bookcrossing. Alors comment faire et quels résultats en attendre ?

Coût réduit du bookcrossing 

D’abord, le bookcrossing, ce n’est pas cher. Par définition, c’est gratuit. Du moins pour ceux qui en profitent, pas pour ceux qui l’alimentent en premier. Mais, même ainsi, ça reste abordable. Pour les maisons d’édition précitées, les livres offerts ne représentent qu’une très faible partie de leur budget promotion. D’autant plus faible, d’ailleurs, que ça peut leur rapporter bien plus que ça ne leur coûte. 

A quoi se résume ce coût ? A l’achat de étiquettes de suivi auprès du site bookcrossing ;  pas de quoi se ruiner ; et à l’impression ou à l’achat de quelques ouvrages. Dans le cas d’une autoédition, tout est question de dimension donnée à l’opération.  

Modalités de dépôt des exemplaires 

En effet, pour un autoéditeur, faire du bookcrossing dans une optique promotionnelle, ça consiste, outre l’achat des étiquettes correspondantes, à faire imprimer autant de livres que de boîtes à livres que l’on veut alimenter. Rappelons que pour ce faire, il n’y a d’autorisation à demander à personne. La responsabilité engagée est uniquement celle qui se rapporte à la liberté d’expression.

Evidemment, on comprend qu’alimenter autant de boîtes à livres que les quatre éditeurs dont on a parlé, ça fait beaucoup. Mais, grâce à une meilleure connaissance du terrain, un autoéditeur peut davantage cibler les zones, ou les quartiers, qui l’intéressent. C’est ce qu’on appelle faire du géomarketing. Sur Pau, par exemple, pas besoin d’alimenter toutes les boîtes à livres recensées, moins d’une dizaine peuvent suffire, choisies en fonction de l’environnement dans lequel elles se situent.

Enfin, il n’est pas inutile d’accompagner son dépôt d’une lettre au lecteur de passage, le remerciant de son intérêt pour le livre offert, l’invitant à se connecter au site bookcrossing pour assurer son suivi et donner son avis. Et plus, bien sûr, si affinité ! Dans ce cas, il ne lui reste plus qu’à acheter un exemplaire de plus qu’il conservera ou offrira à son tour.

En bref, si tout se passe bien, l’opération devrait être au minimum « blanche » et permettre d’avoir des statistiques de « vente » positives. Toujours utile quand on veut approcher un éditeur, un agent d’édition ou le libraire du coin. 

 

Le bookcrossing pour les autoéditeurs, en bref

Le bookcrossing est une pratique ancienne, mais en plein développement, fondée sur la gratuité et la convivialité. Des maisons d’édition classiques ont bien compris tout l’intérêt que cette pratique pouvait représenter pour « booster » leurs ventes. 

Les autoéditeurs peuvent aussi l’adapter à leur propre problématique. C’est une bonne façon de contourner l’obstacle du prix à payer pour un ouvrage d’un auteur inconnu publié en autoédition.

Enfin, les boîtes à livres ne sont pas les seuls « outils » à pouvoir être utilisés dans ce domaine. Il ne faut pas hésiter à donner libre cours à son imagination ! Alors, vive les bancs des jardins publics, les sièges vides dans les trains, les avions, ou les autocars, etc.

 

Le bookcrossing pour les autoéditeurs, en bref
Le bookcrossing pour les autoéditeurs, en bref

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